Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - DIX ANS DE CONFLIT / Éclairage

Pourquoi ils sont restés loyaux à Assad

Le régime a pu s’appuyer tout au long du conflit sur une partie de la population qui ne l’a jamais lâché. Mais la situation est en train d’évoluer au gré de la crise économique.

Pourquoi ils sont restés loyaux à Assad

Le président Bachar el-Assad salue ses soutiens durant une rare apparition publique lors d’une manifestation organisée par des loyalistes du régime de Damas, en février 2013. Photo AFP

Ils l’ont suivi jusqu’en enfer. Malgré les centaines de milliers de morts, les millions de déplacés et d’exilés, les barils d’explosifs largués sur les marchés publics, les bombardements d’écoles et d’hôpitaux, l’utilisation à plusieurs reprises d’armes chimiques, ils sont restés fidèles au régime, par conviction, par peur, par intérêt, parce qu’ils étaient convaincus d’être du bon côté de l’histoire ou parce qu’ils étaient convaincus que, dans cette guerre, Bachar el-Assad était, pour eux, le moindre mal. « Oui le régime est une dictature, mais quel pays dans le monde n’a pas connu de dictature ? Ce n’est pas le diable. Je sais que le régime est mauvais, mais le changement est bien pire », affirme Majd, 27 ans, Alépin de confession chrétienne arrivé en France en 2018.

Alors que beaucoup d’observateurs avaient parié sur l’effritement du régime, force est de constater, dix ans après le début du soulèvement populaire, qu’il a gagné la guerre. Une victoire à la Pyrrhus qu’il doit avant tout à l’intervention massive des Russes et des Iraniens qui ont engagé de lourds moyens pour le maintenir au pouvoir. Mais il la doit également aux loyalistes, cette partie de la population qui ne l’a pas lâché au moment où il était le plus en difficulté.

Composée majoritairement des minorités confessionnelles, chrétienne, druze, ismaïlienne et surtout alaouite, laquelle forme le socle traditionnel du régime, sa base de soutiens compte également des membres de la bourgeoisie d’affaires sunnite. Habitant la côte ouest, où se trouve le gouvernorat de Lattaquié, le cœur des grandes villes développées économiquement comme Damas et Alep ou encore le jebel druze, dans le sud du pays, ces soutiens étaient estimés à 30 % de la population au début du conflit syrien.

En mars 2011, la révolte éclate dans le pays sur un terreau d’inégalités économiques et sociales ainsi que de répression politique pratiquée depuis quarante ans par le clan Assad. Le mécontentement gagne rapidement les zones les plus pauvres comme Deraa et Homs ainsi que les zones rurales et les quartiers périphériques des grandes villes. En 2005, 30 % des Syriens vivaient sous le seuil de pauvreté, selon le Programme des Nations unies pour le développement. Avant 2011, 10 % de la population détenait 70 % des richesses du pays.

Lire aussi

Oppositions syriennes : anatomie d’un échec

Soigneusement attisés par le régime, les ressentiments communautaires et les divisions entre classes sociales vont faire le jeu du président. Pour les loyalistes issus des classes sociales privilégiées, la révolution est perçue comme une menace qui pourrait entraîner la perte de leur statut. « La vie était belle en Syrie avant ce qu’on a appelé “révolution”. L’économie et le système de santé fonctionnaient bien, les écoles et les universités étaient gratuites. C’était l’un des endroits les plus sûrs au monde », affirme Falak, pédiatre à la retraite ayant quitté Damas en 2015 avec son mari pour rejoindre leur fils à Dublin, en Irlande.

On l’oublie trop souvent, mais la guerre syrienne est aussi un conflit de castes. « Bachar el-Assad et son épouse Asma sont des gens modernes, formés en Angleterre, qui commençaient à ouvrir le pays et à permettre à de plus en plus de jeunes d’apprendre de nouvelles langues alors qu’il n’y avait que l’arabe avant », affirme Roula*, 47 ans, partie de Syrie en 2012 pour le Liban et revenant régulièrement à Damas ainsi qu’à Alep depuis 2019. « J’en veux beaucoup aux Alépins de l’est. De quoi se plaignaient-ils ?

Ils avaient tout, absolument tout. Notre femme de ménage venait de là-bas, elle menait la plus belle des vies. Elle vit maintenant dans un camp de réfugiés à Bar Élias, au Liban. » Alep-Est a été prise par les rebelles en juillet 2012 jusqu’en décembre 2016.

« Une de ses grandes supercheries »

Pour fidéliser les minorités, le régime agite en parallèle la peur de la majorité sunnite, qui chercherait soi-disant à les faire disparaître. L’argument fait mouche dans un pays où la dimension communautaire est bien présente, bien que voilée. « À Alep-Est, la zone était sous le contrôle des rebelles soi-disant “modérés”. On voyait pourtant de plus en plus de gens porter la barbe et la moustache et adopter les signes extérieurs des Frères musulmans », avance Majd. À ses yeux, les révolutionnaires sont rapidement devenus antichrétiens et antialaouites car « ils ont supposé que nous étions avec le régime simplement parce que nous n’avions pas participé aux manifestations ».

La révolution était à la base pluricommunautaire, même si les sunnites, qui représentent 70 % de la population, y étaient majoritaires. Mais le régime syrien va tout faire pour confessionnaliser la guerre, en réprimant durement les zones sunnites et en libérant des prisons les islamistes. L’appui des pays du Golfe aux forces islamistes et salafistes va finir de donner une coloration religieuse à la rébellion, renforçant les craintes des minorités qui perçoivent le régime – pourtant aidé par des groupes islamistes chiites à l’instar du Hezbollah – comme un rempart. « Je n’étais pas particulièrement prorégime. Au début de la révolution, je me disais : pourquoi ne pas obtenir un peu plus de libertés politiques. Mais comment voulez-vous que je participe aux manifestations lorsque j’entends crier dans la rue “les chrétiens à Beyrouth et les alaouites au tombeau” ? » s’indigne le jeune homme.

Cette phrase, prononcée en mai 2011 à Homs, a fait beaucoup de bruit et de mal à la révolution. Les membres de l’opposition ont toutefois accusé le régime de les avoir noyautés et d’être à l’origine de ce slogan pour effrayer le reste du pays. « Le régime a fait croire aux chrétiens qu’il veillait sur leur sort. C’est une de ses grandes supercheries. Sous les Assad, l’État a fondé sa légitimité intérieure et extérieure sur le mythe d’une menace islamiste forte contre laquelle se dressait un régime laïc », commente Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie. Laïc, le régime Assad ne l’a jamais été. « Les alaouites ont toujours bénéficié d’une situation privilégiée. Ils formaient les cadres les plus importants des services de sécurité et de l’armée et avaient des privilèges d’accès aux universités ainsi que sur le plan économique », ajoute Michel Duclos.

« Avec Hafez el-Assad, peut-être n’en serions-nous pas arrivés là »

Face à la contestation, le président syrien a réactivé le logiciel de son père, qui pour mater les Frères musulmans avait sévèrement réprimé la ville de Hama en 1982. « Je pense qu’il a toléré ces manifestations au début. Mais il aurait dû mater ce conflit d’une main de fer », affirme Yazan, 22 ans, étudiant en droit habitant Damas. Plusieurs soutiens à Bachar el-Assad le considèrent alors comme trop laxiste comparé à Hafez el-Assad. « Personne ne marche droit, tout est tordu. Avec Hafez el-Assad, qui avait une main de fer, peut-être n’en serions-nous pas arrivés là », insiste la mère de Roula.

Dans la rhétorique du régime, tout opposant est associé à un terroriste et toute dissidence à une tentative de complot menée par l’étranger. Alors que le conflit syrien s’est internationalisé, il a eu beau jeu de prétendre incarner la résistance face à une volonté régionale et internationale d’en finir avec la Syrie. « Lorsque les manifestations ont éclaté, j’ai eu la mauvaise surprise de constater que les fils de mon pays prenaient part à une révolution qui était planifiée par d’autres États se servant des citoyens syriens pour essayer de détruire notre président et notre système », déclare ainsi Ramez, réparateur informatique de Damas âgé de 29 ans, qui accuse ici l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, Israël ainsi que des pays occidentaux comme la France et les États-Unis.

Lire aussi

Syrie : les coulisses d’une justice en exil

« Les soulèvements du printemps arabe ont été motivés par des décennies d’oppression et de corruption dans toute la région, mais tous les dirigeants des pays ciblés ont affirmé qu’ils étaient menacés par des forces extérieures et étrangères et qu’il y avait eu un complot contre eux », commente Elizabeth Tsurkov, chercheuse au Newlines Institute for Strategy and Policy.

Cette croyance en l’existence d’un complot étranger s’est progressivement renforcée jusqu’à souder et polariser les soutiens du régime au fil des années. D’autant plus que le discours du régime s’est apparenté à une prophétie autoréalisatrice avec l’islamisation puis la jihadisation de la rébellion. Ainsi, en 2013, lorsqu’il utilise pour la première fois des armes chimiques dans la Ghouta orientale, faisant plus de 1 000 morts et plusieurs milliers de blessés, la plupart de ses fidèles soutiennent qu’il s’agit de nouveau d’un complot destiné à faire tomber le gouvernement. « Je ne crois que ce que mes yeux ont vu. J’étais au premier rang dans la plupart des unités militaires combattantes et nous n’avons jamais utilisé d’armes chimiques », insiste Ramez. « L’un des officiers corrompus a utilisé des armes chimiques. Lorsque les autorités l’ont appris, elles l’ont immédiatement arrêté et durement réprimé. L’Armée syrienne libre et l’État islamique ont exploité cette erreur et ont commencé à faire exploser des bombes en accusant le gouvernement de ces actes », affirme quant à lui Yazan.

Au cours des dix dernières années, la population a subi des dizaines d’attaques à l’arme chimique. Le 8 avril 2020, les enquêteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques affirmaient que Damas était responsable de trois attaques, au sarin et au chlore, perpétrées en 2017 dans la ville de Latamné, en banlieue de Hama. Allié indéfectible du pouvoir de Bachar el-Assad, Moscou avait tenté d’empêcher ces investigations.

« La Russie seule, sans l’Iran »

Malgré ces atrocités, le noyau dur a tenu et s’est même renforcé autour du clan. Ces derniers mois, Bachar el-Assad a effectué des visites publiques lors desquelles il se met en scène au chevet de la population. En octobre dernier, le président s’était ainsi rendu à Lattaquié après de graves incendies de forêt ayant fait plusieurs morts. C’est qu’aujourd’hui, le vent commence à tourner, et le président le sent. S’ils soutiennent le régime, les loyalistes savent aussi qu’ils ont fait beaucoup de sacrifices pour sa survie. « Les alaouites ont perdu plus d’entre eux qu’aucune autre communauté. Sur quatre fils, les familles pauvres de la côte ont souvent vu deux d’entre eux revenir estropiés de la guerre », note Michel Duclos.

Ces sacrifices semblent pourtant vains pour le régime, qui a sacrifié sa souveraineté au profit des Russes et des Iraniens pour assurer sa survie. « Le président a laissé aux dirigeants iraniens et russes le contrôle de certaines batailles à la place des officiers syriens. Ces derniers ne manquent pourtant pas d’expérience », regrette Ramez, qui a combattu dans les forces armées syriennes de 2011 à 2017. « Je remercie les pays qui sont intervenus pour résoudre ce conflit, mais je considère la présence de toute force militaire autre que l’armée arabe syrienne comme une violation du droit du pays », affirme pour sa part Yazan.

Si nombre de loyalistes considèrent que la guerre sera terminée lorsque toutes les forces présentes quitteront la Syrie, plusieurs d’entre eux semblent davantage tolérer les Russes que les Iraniens. « À la réflexion, je me dis qu’il aurait peut être été préférable que la Russie intervienne seule, sans l’Iran. L’Iran nous a beaucoup aidés, il faut le reconnaître. Mais c’est un pays qui est englué dans une multitude de problèmes, au Liban avec le Hezbollah ou avec les Américains avec l’accord sur le nucléaire », dit Roula. Le régime est quant à lui englué dans une crise économique dont il ne voit plus la fin, alors qu’il règne sur des ruines. Au cours de ces dernières années, le Syrie a ainsi perdu les trois quarts de son produit intérieur brut (PIB) et les deux tiers de son tissu industriel, rendant toute reconstruction – estimée à plusieurs centaines de milliards de dollars – impossible. À cela s’ajoute l’effondrement du secteur bancaire libanais, où une grande partie des Syriens plaçaient leur argent, sans compter les effets de la loi César. Promulguée en 2019 par Donald Trump, cette dernière vise à sanctionner toute entité apportant un soutien au régime de Damas.

Pour la première fois depuis dix ans, alors que les affrontements sont terminés, la base du régime affiche son mécontentement. « Une grande partie de la société syrienne soutenait le régime car elle considérait l’État comme le garant de la stabilité et du maintien des institutions étatiques. Avec la détérioration de la situation économique, elle ne le voit plus de cette façon », commente Elizabeth Tsurkov. « Le régime syrien était fier de pouvoir subvenir aux besoins élémentaires de la population, y compris du pain subventionné et de l’essence, et de fournir des salaires, certes peu élevés, mais capables d’offrir aux gens un niveau de vie tolérable. Ce n’est plus le cas. Le salaire moyen des employés de l’État en Syrie équivaut à environ 50 dollars. Il est totalement impossible de survivre avec cette somme en Syrie », poursuit la spécialiste.

En parallèle, l’élite du régime et les nouveaux profiteurs de l’économie de guerre ont accaparé la majorité des richesses disponibles au détriment de l’ancienne bourgeoisie. « Le budget de l’État est largement alimenté par des aides humanitaires internationales captées par l’appareil du régime, l’économie de guerre et les redevances des affaires faites avec les Russes et les Iraniens », note pour sa part Michel Duclos. Quant aux ressources naturelles disponibles, la plupart sont aux mains des Kurdes dans le nord-est du pays. À l’approche de l’élection présidentielle prévue au printemps, cette grogne peut-elle avoir un impact ? « Assad sera réélu à 100 % pour un nouveau mandat car ce n’est pas une vraie élection. Il connaît le résultat des élections syriennes bien avant leur tenue », résume tristement Elizabeth Tsurkov.

Ils l’ont suivi jusqu’en enfer. Malgré les centaines de milliers de morts, les millions de déplacés et d’exilés, les barils d’explosifs largués sur les marchés publics, les bombardements d’écoles et d’hôpitaux, l’utilisation à plusieurs reprises d’armes chimiques, ils sont restés fidèles au régime, par conviction, par peur, par intérêt, parce qu’ils étaient...

commentaires (4)

La constitution syriènne n'interdit pas un troisième mandat (article 88) ?

Luis Miguel Costa

01 h 23, le 16 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • La constitution syriènne n'interdit pas un troisième mandat (article 88) ?

    Luis Miguel Costa

    01 h 23, le 16 mars 2021

  • Il tombera , ce n’est qu’une question de temps. Il ne pourra pas s’en tirer après ce qu’il a fait. Je compare son cas à celui de Omar El Bachir qui a longtemps défié la justice internationale et fait de son pays un enfer jusqu’à ce qu’il se retrouve à La Haye, depuis le Soudan revit. Assad la brute coute trop aux Russes qui finiront par le lâcher dès qu’ils en auront obtenu le prix.

    Liban Libre

    23 h 38, le 15 mars 2021

  • ces syriens la ont de TRES bonnes raisons d'appuyer assad- tres comprehensible ! mais comment expliquer l'appui des libanais a papa de tous malgre tout ? moi je n'arrive pas a l'expliquer, vous ?

    Gaby SIOUFI

    14 h 06, le 15 mars 2021

  • SOUS L,IMPLACABLE BOTTE DU REGIME ET LES PLUS IMPLACABLES BOTTES IRANIENNE, RUSSE ET LES TERRORISMES DES MERCENAIRES LOUES, LES DEPLACEMENTS, LES EMIGRATIONS, LA PAUVRETE ET LA FAMINE LE PEUPLE SYRIEN EST UN HEROS QUI A ENDURE TOUS CES CRIMINELS ET LEURS FLEAUX ET SE TIENT DEBOUT ENCORE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 48, le 15 mars 2021

Retour en haut