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Pire que les fléaux


À grands coups de matraque cathodique, les médias du monde entier viennent de rappeler à notre souvenir le triple cataclysme de Fukushima qui, il y a exactement dix ans, endeuillait le Japon et semait l’effroi aux quatre coins de la planète.

En termes d’invraisemblance, le fatal enchaînement des événements paraissait défier alors les plus débridés des scénarios de films-catastrophes : un séisme, phénomène somme toute assez courant dans l’archipel japonais, mais qui s’avérait particulièrement meurtrier cette fois ; puis un monstrueux tsunami engendré par les secousses, et qui emportait tout sur son passage; et enfin un réacteur nucléaire en phase de fusion qui, pour être pourtant inondé par les eaux, perdait – cruelle ironie – son système de refroidissement ; il explosait alors, projetant dans l’atmosphère d’énormes quantités de matière radioactive. Bilan : 20 000 morts, un demi-million de déplacés et dix ans plus tard, les mêmes incertitudes quant aux retombées à long terme, sur la population de la zone contaminée, de tout ce flot de radiations échappé de l’usine. C’est là que la poisse nucléaire collant à la peau du Japon atteint des sommets d’ironie : comme si Hiroshima et Nagasaki n’étaient pas encore assez, c’est Dame Nature qui, surgissant des entrailles de la Terre, puis des profondeurs de l’océan, s’est chargée d’y réveiller brutalement le dragon nucléaire…

Dieu merci, il n’existe pas au Liban de centrales atomiques et même les vulgaires, les inoffensives centrales électriques y sont une espèce en voie de disparition avancée. Il n’y a pas de volcans au Liban et cela fait bien des siècles qu’on n’y a pas signalé le moindre tsunami. Mais il faut croire que le Diable, lui, ne se l’est pas tenu pour dit ; ce pays à la vitalité débordante, relativement épargné par les calamités naturelles, jalousé de ses voisins, il lui réservait en effet le pire des instruments d’annihilation massive, à savoir des dirigeants aussi criminels qu’incompétents. Quel besoin encore d’autres fléaux, en présence d’une telle malédiction ?

Notre mini-Hiroshima à nous, c’est la double explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth ; elle n’était pas due à quelque malheureuse séquence de facteurs d’accident mais à l’assassin compagnonnage entre malveillance, négligence et vénalité, et plus de sept mois après l’hécatombe, les réels coupables ne sont pas près d’être démasqués et châtiés. De même, si la pandémie a sérieusement grippé les économies des pays les plus industrialisés, elle aura seulement fait figure de traînard au Liban ; pour jeter le peuple dans la misère, l’avaient devancée, de loin, l’incurie et les malversations éhontées des dirigeants, qui ont fini par assécher complètement le Trésor public.

Et ce n’est pas encore fini, comme l’illustrent les péripéties des tout derniers jours. Après plus de 40 milliards de dollars engloutis dans le secteur de l’électricité (mais pas perdus pour tout le monde !), c’est d’un black-out total dès la fin du mois en cours que nous menace ainsi le ministre de l’Énergie, si des crédits frais ne lui sont pas alloués. Sans doute pense-t-il que tout chauffage est superflu dans l’enfer prédit aux Libanais par le chef de l’État en personne, à qui il s’en ouvrait. En dépit d’une hyperinflation galopante, c’est un insensé recours à la presse à billets qu’implique une proposition de loi visant à octroyer des primes aux militaires, qui ne dissimulent plus leur grogne. Il faut dire que l’auteur de cette douteuse entreprise d’apaisement n’est autre qu’un ancien ministre des Finances qui s’est distingué – à sa manière – dans la gestion très particulière des deniers publics : ce qui lui a d’ailleurs valu des sanctions américaines…

Que penser face à tant d’acharnement dans la déraison? La peu flatteuse image de nos dirigeants est fixée une fois pour toutes à l’étranger, et le ministre français des AE s’est toujours montré très explicite sur la question. Jeudi, il allait jusqu’à se dire tenté de les accuser, tous autant qu’ils sont, de non-assistance à pays en danger. Mais pourquoi tenté seulement, Monsieur le Ministre ? Et quelles avanies doit encore subir le peuple libanais otage, ce peuple lui-même en danger, pour que l’on cède enfin à ladite tentation, pour que soit enfin porté devant l’ONU le cas de ce tuteur indigne, criminel, voleur, affameur, naufrageur, qu’est l’État libanais ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

À grands coups de matraque cathodique, les médias du monde entier viennent de rappeler à notre souvenir le triple cataclysme de Fukushima qui, il y a exactement dix ans, endeuillait le Japon et semait l’effroi aux quatre coins de la planète.
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