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Économie - Focus

Un an après le défaut de paiement, où en est-on ?

Le 9 mars 2020, le Liban décidait de ne pas honorer une échéance de 1,2 milliard d’eurobonds, afin de restructurer rapidement sa dette en devises...

Un an après le défaut de paiement, où en est-on ?

En annonçant le défaut, le Premier ministre Hassane Diab, aujourd’hui démissionnaire, avait alors défendu les raisons de ce choix en invoquant le faible niveau des réserves de la Banque du Liban. Photo João Sousa

Il y a un an aujourd’hui, le Liban faisait défaut, le Premier ministre Hassane Diab annonçant aux Libanais que le pays ne rembourserait pas une tranche de 1,2 milliard de dollars de sa dette en eurobonds arrivant à échéance. Une première dans l’histoire du Liban qui, jusque-là, avait une réputation de bon payeur, même s’il se trouvait sur la troisième marche du podium en termes de ratio dette/PIB derrière le Japon et la Grèce il y a un an.

Il y a un an aujourd’hui, le 9 mars 2020, le Liban annonçait donc qu’il ne paierait pas à ses créanciers une série d’eurobonds (titres de dette en devises) d’une valeur de 1,2 milliard de dollars. Le même mois, l’État libanais indiquait faire défaut sur la totalité de la dette en devises (35,8 milliards de dollars sur un total de 95,5 milliards à fin novembre 2020), soit 29 séries dont les échéances courent jusqu’en 2037 (à l’exception des années 2029, 2033, 2034 et 2036). En tout, le pays devait payer environ 4,6 milliards de dollars entre intérêts et principal (le montant qui a été prêté) en 2020 et environ 4 milliards cette année. En revanche, le Liban n’a pas fait défaut sur sa dette en livres. En annonçant ce défaut, le Premier ministre Hassane Diab, aujourd’hui démissionnaire, avait alors défendu les raisons de ce choix en invoquant le faible niveau des réserves de la Banque du Liban (BDL), tandis que plusieurs acteurs, dont les agences de notation américaines – Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s (S&P) – indiquaient depuis la fin 2019 que les réserves nettes de la banque centrale étaient négatives. De fait, la livre libanaise avait commencé à décrocher à la fin de l’été 2019, passant de 1 507,5 livres pour un dollar, un taux fixé par la BDL depuis 1997, à environ 2 700 livres début mars 2020, la banque centrale ayant limité la circulation du billet vert dans l’économie. En parallèle, les banques avaient imposé de manière unilatérale des restrictions sur les comptes en devises, réduisant l’accès des Libanais à leurs dépôts. Restrictions toujours en vigueur.

Une situation qui avait mobilisé la société civile dès novembre 2019, dans le sillage du mouvement de contestation contre la classe dirigeante enclenché le 17 octobre, et alors que le Liban avait payé une échéance de 1,5 milliard de dollars de principal, ainsi que 40 millions de dollars d’intérêts. La rue réclamait ainsi un défaut de paiement, afin que les faibles réserves restantes soient utilisées pour les importations de biens essentiels, tels le blé, le carburant, les médicaments et le matériel médical, dont une partie de la facture est subventionnée par la BDL au taux officiel via les circulaires n° 530 et n° 535, respectivement publiées en octobre et novembre 2019.

Crédibilité du pays

C’est justement cet argument qu’a avancé une source ministérielle, concédant qu’« en payant 1,2 milliard de dollars en mars, nous n’aurions pas pu faire face à la pandémie de Covid-19 ». Une autre source révèle pour sa part que « le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, avait prévenu le Conseil des ministres de la faiblesse des réserves, pouvant uniquement couvrir l’échéance de mars ». Ainsi, ces sources indiquent que le défaut a permis de prolonger la capacité de la BDL de subventionner une partie de la consommation, en évitant de payer des « dollars frais » (en espèces ou transférés de l’étranger), dont la valeur dépend dorénavant du marché noir et est estimée ces derniers jours à plus de 10 000 livres, en opposition avec « dollars libanais », coincés dans les comptes bancaires, au taux fixé à 3 900 livres le dollar.

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Une opinion que ne partage pas Nassib Ghobril, le directeur du département de recherches de Bank Byblos, qui rappelle que la BDL possédait des réserves brutes (en comptant l’or) de 51 milliards de dollars en février 2020, avant qu’elles ne tombent à 39,3 milliards de dollars à fin février 2021, montrant ainsi que le défaut n’a pas permis de préserver les réserves en devises de la BDL. Le défaut, estime-t-il, a terni la crédibilité du Liban et a également impacté négativement les établissements bancaires qui « sont depuis mis à l’écart de la finance mondiale ». « Cette perte de crédibilité a impliqué un arrêt des flux de capitaux vers le Liban. Sans oublier que les fonds d’investissement et les banques étrangères qui avaient accordé des prêts au secteur bancaire libanais ont demandé un remboursement dès l’annonce par le gouvernement de discussions autour de l’éventualité d’un défaut », poursuit-il.

Une autre source bancaire pointe du doigt ce qu’elle qualifie de « calculs d’épicier » du gouvernement. Selon elle, cette situation a conduit à « ce que les banques correspondantes et les fournisseurs des importateurs libanais refusent de leur octroyer des crédits. Ainsi, pour économiser 1,2 milliard de dollars, le pays a perdu entre 4 et 5 milliards de crédits ». Un argument balayé d’un revers de la main par une source gouvernementale, qui indique que c’est plutôt la baisse de la notation souveraine, antérieure à l’annonce du défaut, qui est la cause de la baisse de confiance envers le Liban. En effet, l’agence américaine Moody’s a octroyé la notation « Ca » au pays du Cèdre le 21 février 2020, qualifiant donc la dette d’« ultraspéculative », tandis que Standard & Poor’s (S&P) l’a dégradée le même jour de « CCC » à « CC », faisant du Liban un pays « très vulnérable » où le risque de défaut est « très élevé ou imminent ».

Défaut désordonné

La question du défaut ainsi que les différents scénarios possibles ont longuement été étudiés, confie une source gouvernementale, « et le défaut était la moins pire des solutions », notamment car le cabinet se dirigeait vers « un défaut de paiement organisé », selon une source proche du dossier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il avait choisi deux cabinets de conseil internationaux – Lazard, pour le volet financier, et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP, pour le volet légal – dans le but de l’épauler dans le processus de restructuration de la dette.

L’exécutif avait besoin de l’accord d’au moins 75 % des créanciers pour atteindre ce but. « C’était tout à fait faisable, car il y avait quatre grands groupes : la BDL, les banques libanaises (représentées par l’ABL, NDLR), (le gestionnaire d’actifs britannique) Ashmore et (le fonds d’investissement) Fidelity », explique la source. « Les créanciers étrangers étaient d’accord pour une restructuration, ravis d’entendre que le Liban reconnaissait enfin ses pertes », poursuit-elle. Mais c’est là que les banques libanaises sont entrées en jeu, vendant une grande part des eurobonds qu’elles détenaient à des fonds d’investissement étrangers pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il honore au moins la première échéance de mars. À tel point que la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a demandé en février 2020 au procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, de prendre contact avec l’instance de régulation du secteur financier britannique (Financial Conduct Authority, FCA) afin de « clarifier la question de la multiplication par dix du volume d’échanges d’eurobonds arrivant à échéance à court terme sur le marché londonien ».

Pour mémoire

Un an de crise : du défaut de paiement au blocage des négociations avec le FMI

Conséquence, « au lieu du défaut ordonné auquel aspirait le gouvernement, en concertation avec les créanciers, un plan de redressement et un contrôle des capitaux, c’est un défaut désordonné qui a eu lieu. Et, dans ce cas, tout le monde est perdant », soupire la source gouvernementale. Nassib Ghobril, lui, diverge sur ce point, indiquant que « 97 % des pays qui décident de ne pas honorer leur dette entreprennent des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et/ou leurs créanciers bien avant d’annoncer un défaut pour maintenir la crédibilité du pays ». Il regrette donc que le Liban ait annoncé ce défaut sans avoir négocié auparavant avec le Fonds monétaire international. Et ce d’autant plus, selon lui, que le Liban « aurait pu faire un swap (des échanges de titres de dette, NDLR) pour honorer les trois séries d’eurobonds de 2020 (mars, avril et juin). Cette démarche aurait offert 10 mois au gouvernement pour la négociation avec le FMI avant la prochaine échéance d’avril 2021, évitant un défaut désorganisé ».

Nassib Ghobril pointe aussi du doigt le fait qu’un an après, ni les banques ni la BDL ne savent combien d’argent elles vont récupérer de leurs investissements dans les eurobonds. Les établissements financiers naviguent donc à vue, en raison du processus de restructuration de la dette qui a échoué, rendant la restructuration du secteur bancaire, prévue ce mois, plus compliquée. Selon le plan de redressement économique de l’Association des banques du Liban (ABL), publié en mai 2020, les banques détiennent 11 milliards de dollars d’eurobonds et, selon le dernier bilan de la BDL de fin février, celle-ci en détenait 5,03 milliards sur une dette en devises de 35,8 milliards de dollars à fin novembre 2020. Par ailleurs, la banque centrale a fixé les provisions des eurobonds à 45 % dans la circulaire n °567 du 27 août 2020.

« Les créanciers ont accepté le plan de redressement économique conçu avec Lazard et voté en avril 2020 », souligne, de son côté, la source gouvernementale, sans oublier que le FMI avait jugé crédibles les chiffres avancés dans le plan. Mais, début juillet 2020, les négociations avec l’institution internationale pour une aide financière sont suspendues, le FMI demandant au Liban d’unifier ses positions, alors que deux camps s’affrontent. D’un côté, le gouvernement négociant sur la base d’un plan de sauvetage approuvé à l’unanimité par les représentants des partis majoritaires au Parlement ; de l’autre, une commission parlementaire, soutenue par la BDL et l’ABL, disant défendre les intérêts des déposants.

Malgré la suspension de ces négociations, le gouvernement a poursuivi ses réunions avec Lazard, une équipe se trouvait d’ailleurs au Liban au moment de l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Démissionnaire le 10 août suivant, le gouvernement de Hassane Diab « n’a donc plus constitutionnellement le droit de négocier ni avec le FMI ni avec les créanciers », indique une source proche du dossier. « Aujourd’hui, les créanciers, en particulier les fonds d’investissement étrangers, pourraient intenter un procès contre le Liban pour non-paiement des dus. C’est la crise sanitaire liée au Covid-19, qui a causé des pertes plus importantes dans d’autres pays, qui a retardé cette procédure », estime une autre source.

Il y a un an aujourd’hui, le Liban faisait défaut, le Premier ministre Hassane Diab annonçant aux Libanais que le pays ne rembourserait pas une tranche de 1,2 milliard de dollars de sa dette en eurobonds arrivant à échéance. Une première dans l’histoire du Liban qui, jusque-là, avait une réputation de bon payeur, même s’il se trouvait sur la troisième marche du podium en termes de...

commentaires (7)

Quelle question! On est dans la merde jusqu’aux oreilles et il ne faut pas un analyste des finances pour nous l’annoncer.

Sissi zayyat

18 h 59, le 11 mars 2021

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Commentaires (7)

  • Quelle question! On est dans la merde jusqu’aux oreilles et il ne faut pas un analyste des finances pour nous l’annoncer.

    Sissi zayyat

    18 h 59, le 11 mars 2021

  • Comment s’assurer que la réserve en or n’a pas été dilapidée aussi puisque c’est le parlement qui est le garant et que depuis des années le chef du parlement a pillé tout le reste ? Avec son protecteur derrière lui on peut imaginer le pire. Alors qui peut rassurer les libanais de la présence effective de cet or?

    Sissi zayyat

    18 h 48, le 11 mars 2021

  • Dans les années 80, le parlement a fait de sorte que personne ne puisse disposer de l'or sans son accord. Je ne pense pas que la BDL peut vendre par son choix et me demande même si comptablement elle a le droit de comptabiliser cette réserve nationale dans ses réserves en devises. L'or du Liban est comme le temple de Baalbek, un monument national.

    Shou fi

    14 h 24, le 10 mars 2021

  • " où en est-on?" Réponse simple il ya un an le gouvernement pensait avoir des co-----s grosses comme des pastèques et, de plus, en acier inox, mais il a fallu qu'un an se passe pour qu'il se rende compte que ce n'était qu'une hernie monstre! Bon Ben au moins le diagnostique est fait!!!

    Wlek Sanferlou

    20 h 23, le 09 mars 2021

  • OLJ, MALHEUREUSEMENT AVEC VOTRE CHANGEMENT DE LA PRESENTATTION DES COMMENTAIRES DES INTERNAUTES DANS L,ANCIENNE PRESENTATION DU JOURNAL ET LEURS PLACEMENT CACHE A DROITE DE CHAQUE ARTICLE QUE SEULEMENT LES INTERNAUTES LE SAVENT NOS COMMENTAIRES NE SONT PAS LUS NI PAR LES AUTRES CITOYENS LIBANAIS ET NI PAR LES CORROMPUS AUXQUELS ILS SONT ADRESSES. DONC NOS COMMENTAIRES VONT DANS LE VIDE ET N,ONT PAS L,EFFET ESCOMPTE DANS L,OPINION PUBLIQUE. VOUS EN ETES RESPONSABLES. ET AVEC CA VOUS OSEZ AUSSI CENSURER DES COMMENTAIRES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 09, le 09 mars 2021

  • AVEC LES CLIQUES MAFIEUSES QUI NOUS ONT GOUVERNE ET GOUVERNENT ENCORE ON EST DANS LES TREFONDS DE L,ENFER. SI LE PEUPLE NE SE DEBARRASSE PAS DE CES INCOMPETENS CORROMPUS JUSQU,AUX OS IL N,Y AURA PLUS DE LIBAN, D,AILLEURS IL N,Y EN A PAS MAINTENANT, ET L,EMIGRATION DE LA FAIM VA BATTRE SON PLEIN. LIBANAIS, DEBARRASSEZ-VOUS DE CES CRIMINELS. DEGAGEZ-LES DE MALGRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 29, le 09 mars 2021

  • "... En effet, l’agence américaine Moody’s a octroyé la notation « Ca » au pays du Cèdre le 21 février 2020 "... - Depuis, nous sommes passés à « caca » ...

    Gros Gnon

    08 h 25, le 09 mars 2021

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