Critiques littéraires

Le temps dans l’Occident chrétien

Le temps dans l’Occident chrétien

D.R.

Chronos, l’Occident en prise avec le temps de François Hartog, Gallimard, 2020, 352 p.

François Hartog, historien de l’Antiquité, s’est aussi intéressé à l’histoire de l’histoire, c’est-à-dire l’historiographie, pour déboucher sur les « régimes d’historicité », le rapport des hommes avec le temps. L’ensemble constitue une œuvre conséquente.

Cette fois, il s’intéresse sur une longue durée au rapport des hommes avec le temps dans l’Occident chrétien.

Dans l’héritage grec, il y a chronos, le temps qui passe et se mesure, et kairos, l’instant et l’inattendu, mais aussi l’occasion à saisir, le moment favorable, l’instant décisif, la rupture. Quand la Bible est traduite en grec, kairos est utilisé pour signifier la rupture dans le temps, la fin des temps, le jugement dernier.

C’est repris par le christianisme naissant qui voit la fin des temps comme imminente. Puis, si l’on peut dire avec le temps, se construit un régime chrétien d’historicité, surtout quand le christianisme devient religion d’État. Il s’élabore ainsi un calendrier qui est avant tout liturgique. Alors qu’en soi le calendrier est cyclique (suite d’années identiques), il devient reproduction de l’histoire de la création (repos du dimanche), de la vie du Christ (à partir de l’Avent) et se peuple de saints. En même temps, la fin des temps peut toujours apparaître comme imminente, surtout dans les temps difficiles marqués par les guerres et les dévastations.

Les chronographes travaillent à harmoniser l’histoire biblique avec les histoires profanes, c’est-à-dire à les synchroniser. On en arrive, non sans difficulté, à établir la durée entre Adam et le Christ (de l’ordre de 5500 ans). Il en découle ensuite l’ère chrétienne dite de l’incarnation : « L’installation de l’incarnation comme axe de la chronologie universelle inscrit le triomphe du régime chrétien dans l’espace (Urbi et Orbi) et dans le temps (de la Création au Jugement). Elle est l’aboutissement du travail engagé par les premiers chronographes chrétiens. En droit désormais, rien n’échappe au temps chrétien. Tout et en tout lieu peut et doit être rapporté à lui. Le Kairos christique rayonne sur le monde, traverse le temps chronos, fixe l’ordre chrétien du temps. »

Les meilleures pages du livre sont celles consacrées au rapport entre la perfection divine et la grossièreté humaine. Avec l’idée d’accommodation, il est possible de rendre compte de développement et de changements, tout en les rapportant – c’est essentiel – à l’immutabilité divine toujours réaffirmée. Opérateur de temporalisation, l’accommodation est à l’œuvre dans le temps chronos, sans pour autant dépendre de lui ou être contaminée par lui. Il s’ajoute les translations du pouvoir dans les sociétés humaines. Le troisième opérateur temporel est le retour à l’origine : « L’homme ayant été créé à l’image de Dieu, la reformatio, la renovatio ou la regeneratio ont d’emblée désigné la voie à suivre pour retrouver cette ressemblance perdue par suite du péché originel. »

Ce régime chrétien d’historicité est progressivement remis en cause durant l’époque dite moderne (XVIe-XVIIIe siècle). La Renaissance est le détournement par les humanistes de la notion de rénovation en établissant un retour à l’Antiquité qui rejette les siècles intermédiaires comme des âges obscurs. Rome redevient présent. La succession des empires cesse de suivre un plan divin. L’accommodation devient accommodement. La chronologie biblique se trouve contestée par les chronologies orientales comme la chinoise qui prétend remonter à une époque antérieure à la création. Newton instaure le temps sans commencement ni fin de la gravitation universelle tout en étant un croyant très spéculatif. Les sciences naturelles pulvérisent toute chronologie partant de la date calculée de la création.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, chronos l’emporte tout en construisant un régime futuriste. La révolution française se veut régénération de l’homme mais non pas comme création de Dieu, mais en fonction de la restauration de ses droits naturels. L’histoire humaine est celle de la perfectibilité définie par le progrès et l’on envisage une fin de l’histoire.

Ce régime futuriste se trouve contesté par les catastrophes du XXe siècle qui conduisent au présentisme d’aujourd’hui. Cette dernière partie est la moins développée soit parce qu’elle a déjà été exposée, soit parce que tous ses aspects n’ont pas encore été pris en compte. Il en est ainsi du puissant courant antimoderne et de l’apocalyptique nazie. La difficulté est de saisir l’articulation entre le présentisme d’aujourd’hui et l’apocalyptique du changement climatique.

Cette critique mise à part, ce livre est d’un apport considérable pour son histoire du régime chrétien d’historicité dont bien des aspects demeurent aujourd’hui dans nos religions séculières. Il est bien la démonstration qu’une histoire sur la longue durée – une macro-histoire pourrait-on dire – est un instrument puissant de compréhension de notre monde d’aujourd’hui.

Chronos, l’Occident en prise avec le temps de François Hartog, Gallimard, 2020, 352 p.François Hartog, historien de l’Antiquité, s’est aussi intéressé à l’histoire de l’histoire, c’est-à-dire l’historiographie, pour déboucher sur les « régimes d’historicité », le rapport des hommes avec le temps. L’ensemble constitue une œuvre conséquente.Cette fois, il...

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