La convocation mercredi du président du conseil municipal de Tripoli, Riad Yamak, par le mohafez du Liban-Nord, Ramzi Nohra, en vue d’enquêter sur les circonstances de la mise à feu du siège de la municipalité il y a près d’un mois, a suscité hier de vives accusations contre ce dernier. Et pour cause : à l’issue de l’audience, le mohafez aurait empêché le président de la municipalité de sortir de son bureau s’il n’effaçait pas les photos du procès-verbal renfermant sa déposition, ou du moins s’il ne signait pas qu’il a refusé de le faire. Le président du conseil municipal a finalement accepté d’inscrire son refus dans le procès-verbal, et ce n’est qu’alors qu’il aurait été autorisé à quitter les lieux.
L’incident a suscité un tollé au sein de la société civile à Tripoli, qui a organisé devant le palais municipal un sit-in auquel ont participé au premier plan les membres de la municipalité pour protester contre la détention de M. Yamak « pendant une période non courte » dans le bureau du mohafez du Liban-Nord. Les employés municipaux ont de leur côté stigmatisé les « pratiques et agressions », estimant dans une déclaration qu’en visant le président du conseil municipal, celles-ci ont visé « la ville et ses habitants ».
Aucune dimension politique
Plusieurs personnalités ont également exprimé leur solidarité à l’égard de Riad Yamak. L’ancien chef de gouvernement Nagib Mikati a réclamé au ministre de l’Intérieur Mohammad Fahmi (ministre de tutelle des municipalité) d’« ouvrir une enquête et de prendre des mesures adéquates pour préserver le statut du président du conseil municipal élu par le peuple ».
L’ancien député Misbah Ahdab a jugé qu’« aucun fonctionnaire, quel que soit son grade, n’a le droit de porter atteinte à la dignité d’un élu », soulignant dans un tweet qu’une telle violation « porte atteinte à la dignité des Tripolitains ». M. Ahdab a appelé les députés de Tripoli à ne pas rester « sourds et aveugles » à « l’arrogance » de M. Nohra, les exhortant à « demander au ministre de l’Intérieur de le démettre de ses fonctions immédiatement », sans manquer de le décrire comme « le poulain de Gebran Bassil (chef du CPL) et du chef de l’État Michel Aoun ». Moustapha Allouche, vice-président du courant du Futur, estime également que souvent le mohafez du Liban-Nord se comporte de manière « indécente », allant jusqu’à le qualifier de « mégalomane », dans un entretien avec L’Orient-Le Jour. Toutefois l’attitude du mohafez « n’aurait pas de dimension politique en rapport avec le camp aouniste », estime M. Allouche. Des propos que confortent ceux d’une source de la municipalité de Tripoli selon laquelle un ancien ministre, responsable au sein du CPL, a appelé hier Riad Yamak pour lui assurer qu’il condamnait le comportement de Ramzi Nohra.
Dans sa version des faits, M. Yamak affirme à L’OLJ que sur base d’une lettre que lui avait adressée le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, il s’était rendu au bureau de M. Nohra pour « ce qui était supposé être une enquête administrative ». « J’ai très vite réalisé que la façon de Ramzi Nohra de me poser les questions visait à m’impliquer coûte que coûte dans la responsabilité de la mise à feu du palais municipal. Il m’a notamment demandé pourquoi je n’avais pas mobilisé les agents municipaux pour parer à l’attaque, alors que l’on sait que ceux-ci n’ont pas le droit d’utiliser des armes. De plus, en tant qu’autorité de tutelle des municipalités, il aurait dû lui-même solliciter l’armée et les FSI ». « D’ailleurs nous ne nous attendions pas au ciblage du palais municipal, sachant que dans son ensemble la population se sent proche de la municipalité », déclare-t-il au passage, évoquant « l’implication d’une cinquième colonne ». « L’enquête administrative a pris une tournure d’interrogatoire, tant et si bien que j’ai finalement pris des photos de mes propos, craignant qu’ils ne soient déformés. Ramzi Nohra m’a demandé de les effacer, mais j’ai refusé. Il a alors appelé plusieurs de ses gardes de corps, et j’ai persisté dans mon refus. Il m’a retenu pendant au moins dix minutes, jusqu’à ce que je reconnaisse par écrit que j’ai pris des clichés. »
Dans une déclaration lue à la presse, M. Yamak a par ailleurs affirmé que le mohafez du Liban-Nord voulait lui confisquer son portable, soulignant qu’il serait possible de vérifier sa « séquestration momentanée » en consultant les caméras installées dans son bureau. « Le mohafez s’était comporté de la même manière honteuse avec mon prédécesseur et avec le président de la municipalité de Mina », a-t-il noté, relevant qu’« en 2017 il avait menacé avec un bâton hérissé de clous le directeur de l’Agence nationale d’information à Tripoli, Abdel Karim Fayad ».
Enquête secrète...
Pour sa part, le mohafez du Liban-Nord a affirmé dans un communiqué que Riad Yamak « avait contesté de manière mal placée » sa demande de supprimer les images. « Aucun des gardes ne lui a adressé la parole, ne l’a touché ou n’a tenté de lui arracher son téléphone. Le choix lui a été donné entre effacer les photos et reconnaître dans le procès-verbal qu’il a photographié les termes de sa déposition », indique le communiqué. « Ce genre d’héroïsme imaginaire a pour but de dévier l’enquête et d’ orienter les regards ailleurs pour échapper à la responsabilité », lit-on encore. « Il cherche à couvrir sa négligence », poursuit M. Nohra dans un entretien avec L’OLJ, jugeant que Riad Yamak « a enfreint la loi en photographiant une enquête secrète ».
Dans l’entourage de M. Nohra, on estime que le président du conseil municipal a une part de responsabilité dans l’incendie du bâtiment. On soutient ainsi que la centaine d’agents municipaux auraient pu empêcher sa mise à feu, d’autant que le nombre des agresseurs ne dépassait pas la trentaine. Les proches de M. Nohra indiquent à titre de comparaison que le sérail de Tripoli a été défendu avec succès par 40 policiers face à 500 manifestants.
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l'héritage turc !
Le Point du Jour.
20 h 08, le 26 février 2021