Plusieurs dizaines de proches de victimes de la double explosion du 4 août ont tenu dimanche soir devant le port de Beyrouth une veillée de prière à la lueur de bougies. Prenant la parole lors de cet événement symbolique, organisé deux jours après la nomination d'un nouveau juge chargé de l'enquête sur la catastrophe, le porte-parole de ces familles a mis en garde les responsables politiques qui refuseraient de se plier à la justice lors de la poursuite de l'instruction et affirmé que "cette fois-ci, les choses seront différentes".
En silence, les proches des victimes sont arrivés devant le port à 18h07, juste l'heure de la double déflagration l'été dernier dans le hangar 12, qui a dévasté plusieurs quartiers de la capitale. Tenant des portraits des membres de leur famille décédés à cause de l'explosion, ils ont récité des prières pour le repos de leur âme, au son de cloches d'églises et de muezzins de mosquées voisines. "Nous voulons savoir qui a tué nos enfants", a lancé le père d'une des victimes au micro de la chaîne LBCI.
"Grand complot"
De son côté, le porte-parole de comité des familles des victimes, Ibrahim Hoteit, dont le frère est décédé dans l'explosion, a qualifié la mise à l'écart du juge Sawan de "nouvelle explosion". Il a annoncé qu'un assistant judiciaire avait été nommé en plus du juge Tarek Bitar "grâce à la pression" exercée par les familles, soulignant que Fadi Sawan "s'était plaint de devoir traiter seul un grand nombre de dossiers". "Avec la nomination rapide d'un nouveau juge d'instruction près la Cour de justice et celle d'un assistant, nous avons pu marquer des points" contre ceux qui veulent enterrer l'enquête et notamment "contre les partis et la Cour de cassation, sur laquelle des pressions ont été exercées", a ajouté M. Hoteit. "Cette fois-ci, les choses vont changer, parce que ce qu'il s'est passé (la mise à l'écart de Fadi Sawan) a donné l'impression aux familles des victimes qu'un grand complot était à l'œuvre". Puis menaçant, il a affirmé que les proches des victimes "iraient manifester devant les maisons de tout responsable politique qui serait convoqué et refuserait de se rendre devant la justice". "Nous allons organiser une conférence de presse au cours de laquelle nous allons dévoiler beaucoup d'événements honteux que nous avons eus à subir", a-t-il aussi mis en garde, citant notamment parmi les institutions visées les ministère de la Défense, des Finances et de l'Intérieur, ainsi que la municipalité et le mohafazat de Beyrouth. "Si les injustices dont nous avons été victimes ne sont pas réparées, nous révélerons tout", a-t-il lancé.
Cette veillée de prière a eu lieu alors que l'enquête sur les causes de la double explosion est revenue au point zéro en fin de semaine dernière après la mise à l'écart du juge Fadi Sawan. Le juge Tarek Bitar, nommé pour le remplacer en tant que juge d'instruction et procureur près la Cour de justice, va désormais reprendre l'instruction à ses débuts. Ce remplacement fait suite à la décision de la chambre pénale près la Cour de cassation de Beyrouth d'accepter le recours pour suspicion légitime présenté à l'encontre de M. Sawan par deux anciens ministres inculpés dans cette affaire, les députés Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil (Amal).
"Cheval de Troie"
Dans la soirée, le leader druze libanais Walid Joumblatt avait pour sa part estimé que la mise en place d'une "nouvelle équipe" chargée de l'enquête pourrait servir de "cheval de Troie pour enterrer le dossier". "Le plus important en ce qui concerne l'explosion au port et les dégâts et victimes qu'elle a provoqué, ce n'est pas d'enquêter sur ce qui a déclenché l'explosion, mais plutôt de révéler l'identité de ceux qui ont amené la cargaison de nitrate (d'ammonium) et qui ont autorisé sa présence jusqu'à ce que la catastrophe se produise", a écrit Walid Joumblatt sur son compte Twitter. Avant de se demander si "la nouvelle équipe chargée de l'enquête fait office de cheval de Troie pour tourner la page du dossier et l'enterrer".
De leur côté, des députés du groupe parlementaire des Forces libanaises présenteront lundi à la coordinatrice spéciale ajointe des Nations Unies et coordinatrice humanitaire pour le Liban, Najat Rochdi, une pétition réclamant la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale, sous l'égide de l'ONU pour faire la lumière sur les causes de la double explosion. Cette pétition, signée par tous les députés du groupe parlementaire, exhorte le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, à former une commission d'enquête internationale "parce que les gens n'ont plus confiance dans l'enquête locale", précise un communiqué du bureau de presse du parti chrétien.
Plusieurs parties ont exprimé leurs doutes quant à une volonté réelle des autorités de mener à son terme l'enquête, qui n'a pas encore permis de dévoiler, en tout cas via les canaux officiels, les circonstances qui ont provoqué la catastrophe du 4 août. Il est reproché aux autorités libanaises, qu'il s'agisse des responsables politiques, sécuritaires ou judiciaires, de n'avoir pris aucune mesure pour évacuer les 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium qui se trouvaient dans le hangar 12 du port depuis leur arrivée au Liban en 2013, et dont l'incendie a provoqué la déflagration meurtrière.
Ya ikhwan, aidez-moi à trouver une réponse à mon interrogation : quel est ce quelque chose qui est passé pour que le nouveau magistrat accepte la proposition de la Cour après l’avoir refusé auparavant, au prétexte de sa charge de travail ? Le dossier du port est plus prioritaire au détriment d’autres dossier dont il a déjà la charge ? Je le dis et le répète, que la justice fasse son travail, et que les politiciens Geagea et Joumblatt lèvent leurs mains de ce dossier ; ce n’est pas avec ce dossier qu’on fait de la récupération.
20 h 04, le 21 février 2021