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Société - Éducation

« Mon cadeau d’anniversaire ? Voir le virus partir... »

Survenant après les multiples crises du Liban, les contraintes du Covid-19 bouleversent le rythme de vie des enfants, en mal d’école.


« Mon cadeau d’anniversaire ? Voir le virus partir... »

L’enseignement en ligne. Beaucoup d’élèves en sont aujourd’hui lassés. Photo Bigstock

« Mon école me manque. Ma classe, sa bibliothèque, ses livres. Tout y est plus beau qu’à la maison. » Du haut de ses cinq ans, Antoine exprime à sa mère sa frustration de ne pouvoir aller à l’école pour cause de confinement. Une frustration telle que « même les murs de la classe » manquent au petit garçon en cette période de bouclage total et de fermeture des institutions éducatives. En revanche, la pandémie de Covid-19, elle, se porte bien. Après avoir battu des records inégalés au Liban, elle maintient des chiffres élevés de contaminations par jour à la veille des premières vaccinations. Marion, 12 ans, voudrait tellement « que la vie redevienne comme avant ». Comme avant le confinement, entendons. « J’en ai marre ! » lance souvent l’adolescente à sa mère. Marre de ne pas voir ses amies physiquement, de ce stress causé par la peur du virus, mais aussi des modes virtuels de communication qui ont fini par la lasser après l’avoir amusée. Au point qu’« elle en a perdu sa joie de vivre et s’est repliée sur elle-même, déplore sa mère, Caroline. Momentanément, fort heureusement, car nous avons vite géré la situation ». Les enfants vont mal. Même les plus épanouis. Leur rythme de vie a été chambardé par le virus et par la masse d’interdits y relatifs. Interdits de socialiser, de voir les grands-parents, la famille élargie, les amis, les voisins. Interdits de mener la moindre activité sportive ou ludique avec les autres. Interdits de mer, de montagne, de balades en plein air. Même l’école, avec enseignants et camarades, leur est interdite. Symboles par excellence de la normalisation des enfants, les institutions éducatives du Liban sont fermées depuis le mois de novembre. C’est en ligne qu’elles poursuivent leur enseignement désormais. Dans le meilleur des cas, elles auront ouvert leurs portes quelques petites semaines depuis la rentrée de septembre, après une année scolaire particulièrement chaotique. Les autorités ont failli à les maintenir ouvertes par manque de politique globale et de capacité à faire appliquer les mesures barrières en temps de coronavirus. Faut-il rappeler que l’eau et le savon sont des denrées rares dans nombre d’établissements publics et même privés ? « Les enfants vivent des moments particulièrement difficiles. Ils n’ont pas la capacité mentale de comprendre pourquoi ils ne peuvent ni sortir ni voir leurs proches. Et les explications de leurs parents sont trop hâtives », constate Danielle Pichon, psychologue clinicienne, préconisant plutôt « la nécessaire implication des enfants dans la lutte contre le coronavirus ».

Les amis manquent tellement

C’est donc face à leur écran, en classe virtuelle, que les élèves passent désormais le plus clair de leurs journées. Une réalité en contradiction avec les recommandations formulées jusque-là par les spécialistes en éducation. Écran d’ordinateur ou de tablette pour les mieux nantis. Écran de téléphone fatigué que se partage à grand-peine toute une fratrie pour les plus défavorisés, et encore, si la connexion est disponible. Les scénarios diffèrent d’une famille à l’autre, d’une catégorie sociale à l’autre, d’une institution scolaire à une autre. Il en est de même des tracasseries techniques qui entravent le bon fonctionnement du processus et sont source de stress. « Les coupures de courant électrique à répétition, la mauvaise qualité de la connexion internet et la difficulté pour certains d’acquérir des équipements électroniques angoissent aussi bien les élèves que leurs enseignants », reconnaît le directeur du Collège des frères du Sacré-Cœur de Gemmayzé, Rodolphe Abboud. À tel point que la direction a pris l’initiative de prêter des ordinateurs à ceux qui n’ont pas les moyens financiers de s’en procurer. Dans un autre établissement privé, un forfait mensuel est distribué aux familles et aux enseignants les plus défavorisés, représentant le coût de l’abonnement à internet. Mais ces initiatives demeurent insuffisantes face aux profondes inégalités entre les élèves du pays que n’a cessé d’accentuer le Covid-19.

Pour mémoire

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Au-delà des considérations techniques, qui ont vu « quelques améliorations par rapport à l’année précédente », c’est l’isolement et l’interdiction de voir les autres physiquement qui dérangent particulièrement les élèves. Sans parler de cette routine trop lisse qui les ennuie tant. « J’en ai assez d’être enfermée à la maison et de ne voir personne », gronde Caline, élève de terminale. « Et puis, chaque journée passée derrière l’écran est pareille, avec son lot de cours et de devoirs », regrette-t-elle, déplorant « l’absence d’interaction ». La jeune fille attendait tant de cette dernière année scolaire. Non seulement ses amis et ses professeurs lui « manquent terriblement », mais elle se faisait « une joie de faire (ses) adieux à sa vie de lycéenne, de préparer la fête de promotion ». « Je crains que la terminale ne se termine en queue de poisson », se désole-t-elle. « Le plus dur pour les enfants, c’est cette rupture totale de relations et d’échanges. À tel point que pour son anniversaire, un enfant a souhaité comme cadeau de “voir partir le coronavirus”. À cette rupture sociale s’ajoute le bouleversement du rythme de vie des élèves », explique Mme Pichon. « Il découle de l’absence de rituels susceptibles de donner aux enfants un référent sécurisant, comme celui de se lever, d’étudier, de manger à heure fixe ou de réglementer l’usage des friandises… » précise la psychothérapeute.

Une concentration qui faiblit

Malgré les efforts des enseignants qui redoublent d’ingéniosité pour intéresser les élèves, l’interaction fait défaut. La concentration faiblit alors, et pas seulement chez les plus jeunes. Caline, 18 ans, avoue « quelques difficultés de concentration » lorsqu’elle travaille en ligne. Ce qui la dérange le plus, « c’est d’être grondée par les enseignants qui (lui) reprochent ainsi qu’à d’autres élèves (leur) manque de participation ». Même scénario pour Antoine, 5 ans, aîné de trois garçons, qui « a du mal à rester concentré ». Outre ses occupations familiales et professionnelles, sa mère Diane, avocate, n’a d’autre choix que de porter aussi la casquette d’enseignante. « Comme il apprend à lire, je dois rester à ses côtés », affirme-t-elle. Autre constat, une montée de l’agressivité chez les enfants. « Généralement doux, mes garçons sont soudainement devenus agressifs. Ils se disputent beaucoup », déplore Diane. Un jour où la jeune femme a emmené l’un de ses enfants marcher à l’extérieur pour le calmer, elle a été interpellée par un policier. « J’ai dû lui raconter que mes enfants allaient s’entre-dévorer », raconte-t-elle.

Ces états d’âme, les éducateurs les relèvent aussi. « Les élèves sont à la fois fatigués, stressés et angoissés », note Amale Barakat, directrice déléguée du Collège Saint-Grégoire à Beyrouth. « Nous le constatons par le manque de concentration d’une minorité d’élèves lors des cours (4 à 5 par classe), par des devoirs bâclés et par les excuses derrière lesquelles ils se cachent pour ne pas accomplir leur travail », relève la responsable. « Et lorsque nous leur proposons de s’exprimer librement sur un sujet qui leur tient à cœur, ils évoquent leur lutte contre le virus », ajoute-t-elle.

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« Certains élèves expriment ouvertement la fatigue ressentie, d’autres deviennent totalement apathiques, voire placides », observe Zeina, une enseignante. « Je ne les reconnais plus », ajoute-t-elle. Car derrière leur écran, les enfants se désintéressent des cours et n’écoutent plus la leçon. « En même temps, ils n’ont pas envie de retourner à l’école par peur d’attraper le virus. » Une peur qui s’explique par la perte de proches atteints du Covid-19, « des grands-parents ou même des parents pour certains ». « Un élève a récemment éclaté en sanglots. Une autre a subitement quitté le cours, sa grand-mère venait de mourir », regrette l’enseignante. Sans compter que nombre d’élèves ont été contaminés eux aussi. « Nous devons alors gérer leur fatigue en même temps que la nôtre », constate-t-elle.

Troubles du sommeil, décrochage, perte de l’appétit

Impossible pour certains de gérer ces affects négatifs, anxiété, fatigue, ras-le-bol, déprime. Incapables de trouver un substitut à l’absence de leurs amis ou de s’adapter à la réalité du confinement, ils présentent des troubles sérieux du comportement. Comme Habib, élève de terminale, qui multiplie les insomnies après les longues heures passées sur son écran à suivre les cours, écrire ses devoirs et présenter des demandes d’admission aux universités. Comme Marc aussi, 8 ans, qui décroche carrément. « Il refuse d’assister aux cours et même de se connecter », confie sa mère, Rania. Benjamin d’une fratrie de quatre enfants, le garçon était déjà suivi par un spécialiste, avant le confinement, pour difficultés scolaires. Des difficultés exacerbées par le divorce parental, par le peu d’espace personnel dont il dispose dans leur petit appartement, mais aussi par le fait que sa mère, qui travaille, ne peut lui servir de professeur. « Lorsque j’insiste, il s’emporte, déplore-t-elle, impuissante. Mais en même temps, la sanction est la seule façon de le convaincre. »

Dans un Liban en crise aiguë, on ne peut ignorer le cumul néfaste des événements sur la santé mentale des enfants. Caroline et ses enfants en gardent un goût amer. « En plein confinement il y a quelques jours, les avions israéliens ont survolé la ville à basse altitude, au-dessus de nos têtes. Les enfants ont paniqué, demandant s’ils allaient frapper », s’insurge la jeune femme.

« La situation est particulièrement perturbante pour les élèves et leur entourage », souligne la psychologue Myrna Ghannagé, doyenne de la faculté des lettres de l’Université Saint-Joseph. « À lui seul, le confinement est déjà source de stress et d’anxiété. Ajouté aux crises politique, économique, financière et sécuritaire, et à l’explosion du 4 août, il ne peut que fragiliser les personnes déjà vulnérables qui voient leurs ressources épuisées », explique-t-elle, évoquant à titre d’exemple « une baisse des rentrées financières, un parent au chômage ou une baisse de confiance en soi ». « On assiste parallèlement à une montée de la violence dans les familles en période de confinement », note la spécialiste. Sauf qu’au final, « tout dépend de la façon dont les familles gèrent les difficultés ». Alors, « si vous sentez que votre enfant se comporte de manière anormale pour lui et que cela dure dans le temps, n’hésitez pas à consulter un spécialiste », conseille la psychologue.

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