Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Patrimoine

Le prototype de la statue des Martyrs acquis par deux collectionneurs libanais

La sculpture de la femme au flambeau réalisée par le sculpteur Mazzacurati trône dans le salon de Gaby Daher, à Achrafieh.

Le prototype de la statue des Martyrs acquis par deux collectionneurs libanais

Gaby Daher et le prototype de la statue en pied mesurant 90 cm, réalisée en bronze brut et poinçonnée Mazzacurati, qui trône aujourd’hui en bonne place dans son salon à Achrafieh. Photo DR

Accro à internet et passionné de « la traque et de la découverte » des œuvres d’orientalistes, l’antiquaire et collectionneur Gaby Daher réussit à dénicher en ligne des pièces majeures. Tant et si bien qu’il tombe un jour sur une vente à Rome proposant un buste de 54 x 31 x 40 cm en bronze patiné, signé Renato Marino Mazzacurati (1907-1969). Celui-là même qui a réalisé le monument des Martyrs du centre-ville de Beyrouth. Une sculpture composée de quatre éléments : une femme debout brandissant d’une main le flambeau de la liberté et étreignant de l’autre un jeune homme symbolisant la nouvelle génération de l’indépendance. À leurs pieds gisent deux martyrs. Le buste déniché est justement celui du jeune homme du monument dédié aux martyrs. Gaby Daher l’acquiert pour le compte de Berthe Chaghoury qui l’offrira à son beau-frère Gilbert à l’occasion de ses 70 ans.

Mais pour ce passionné, la chasse au trésor n’est pas finie. Gaby Daher se lance désormais en quête de la femme au flambeau. « Cela m’a pris six mois pour la trouver. » Cette fois, la trouvaille est plus importante, car il s’agit de la statue en pied. Réalisée en bronze brut et poinçonnée Mazzacurati, elle mesure 90 cm. Elle trône aujourd’hui en bonne place dans son salon à Achrafieh.

Lire aussi

Pyramide, dolmen... Une nouvelle découverte dans le Akkar

Ces deux sculptures sont des œuvres originales. On ignore si elles ont été fabriquées en d’autres exemplaires, puisqu’il est courant qu’un artiste reproduise un maximum de six pièces identiques (numérotées) de son œuvre originale. Gaby Daher relance ses recherches sur internet et finit par découvrir une autre tête masculine qu’il achète. « Celle-ci n’est pas signée ; mais les traits distinctifs ont été identifiés à ceux de la statue de Mazzacurati. On suppose qu’il s’agit du premier prototype réalisé avant que sa ciselure et sa patine ne soient perfectionnées », explique le collectionneur. Également féru de cartes postales sur le Liban – il en possède aujourd’hui 6 000 – et d’œuvres orientalistes, Gaby Daher détient aujourd’hui les connaissances et l’expertise qui lui ont permis de gérer et valoriser des collections privées, notamment celle de Philippe Jabre, à laquelle il a assuré un grand succès dans un environnement compétitif.


Le prototype de la statue en pied, 90 cm, réalisée en bronze brut et poinçonnée Mazzacurati, retrouvée par Gaby Daher. Photo DR


Deux artistes et un architecte pour un monument

À la suite de ces découvertes, Lina Ezzeddine, graphiste qui prépare un ouvrage historique sur le nom des rues de Beyrouth, s’est penchée sur l’histoire du monument aux Martyrs. Puisant ses sources dans différents quotidiens de langue arabe, principalement Lissan el-hal, fondé en 1877, Mme Ezzeddine raconte que le projet du monument a été confié successivement à trois artistes. La première œuvre est réalisée en 1930 par le père de la sculpture libanaise, Youssef Hoayek. Elle a été inaugurée au cours d’une cérémonie officielle par le président de la République Charles Debbas en présence du haut-commissaire français en Syrie et au Liban, Auguste-Henri Ponsot. Intitulée Les Pleureuses, elle représente deux femmes, une musulmane et une chrétienne, se tenant la main dans un geste d’unité et de solidarité, au-dessus d’un cercueil symbolisant les nationalistes libanais pendus en 1915 et 1916 sur ordre du gouverneur ottoman Jamal pacha al-Saffah (le sanguinaire), personnage honni de l’histoire du Liban. Mais la sculpture de Hoayek sera fortement critiquée par les membres fondateurs de La Ligue, une association créée pour honorer la mémoire des nationalistes pendus. Considérant que l’ouvrage ne sied pas aux héros de la nation, qu’ « il leur ôte tout ce qu’ils avaient de fierté et de courage », ils demandent qu’elle soit retirée de la place et qu’une autre statue soit érigée.

En conséquence, sous le mandat de Béchara el-Khoury, un concours pour ériger un nouveau monument est lancé. Il est remporté par l’architecte libanais Sami Abdelbaki.

Lire aussi

La passion et l’expertise au secours des plafonds du palais Baz Dagher

Dans son étude, Lina Ezzeddine signale que le 6 mai 1953, le président Camille Chamoun posa la première pierre d’une nouvelle statue en présence du chef du Parlement, Adel Osseirane, et du Premier ministre, Sami el-Solh. Mais le projet est délaissé… puis oublié par un gouvernement embourbé, en 1958, dans les problèmes politiques. La municipalité de Beyrouth prend alors l’initiative de faire appel à l’artiste italien Renato Marino Mazzacurati (1907-1969) pour exécuter le projet de Abdelbaki. Et confie le 23 mars 1959 les travaux d’aménagement de la place aux pères paulistes (Société missionnaire de saint Paul) et à l’entrepreneur Acar. Le 6 mai 1960, la statue est dévoilée au grand jour par le président Fouad Chehab. Mais, surprise, celle-ci n’avait rien à voir avec le dessin de Abdelbaki. Pour des raisons inconnues, le projet lauréat du concours n’a pas été réalisé. Le sculpteur italien – créateur de la statue du Premier ministre Riad el-Solh – a érigé un magnifique groupe statuaire devenu lieu de mémoire.


Le monument de la place des Martyrs devenu aussi un des symboles de la thaoura d’octobre 2019. Photo Michel Sayegh


Le modèle libanais qui a posé pour Mazzacurati

Dès 1960, la statuaire en bronze de 4 mètres 30 qui se dresse à Bourj (ou place des Canons), désormais appelé place des Martyrs, attise la curiosité des passants et suscite le débat auprès de La Ligue. Cette dernière condamne le projet, affirmant que les traits des martyrs n’ont rien de libanais. Pour le public, le jeune homme ressemblerait à l’icône du cinéma et du théâtre français Gérard Philipe. « Je me suis inspiré du visage de l’acteur libanais Dani Tabbara », rétorque alors Mazzacurati. Après s’être renseigné auprès d’un membre de ladite famille, Gaby Daher indique qu’il s’agit en fait de Adnane Tabbara. Rêvant de devenir une star, celui-ci s’était envolé pour l’Italie, obtenant de petits rôles dans des séries sans réussir à percer. Dani Tabbara était un grand ami de la fille Mazzacurati... Quant aux Pleureuses de Hoayek, elles sont aujourd’hui exposées dans le jardin du musée Sursock.

Accro à internet et passionné de « la traque et de la découverte » des œuvres d’orientalistes, l’antiquaire et collectionneur Gaby Daher réussit à dénicher en ligne des pièces majeures. Tant et si bien qu’il tombe un jour sur une vente à Rome proposant un buste de 54 x 31 x 40 cm en bronze patiné, signé Renato Marino Mazzacurati (1907-1969). Celui-là même qui a...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut