Trois jours après l'assassinat de Lokman Slim par balles au Liban-Sud, des dizaines de manifestants se sont rassemblés samedi à midi sur la place Samir Kassir à Beyrouth, afin de rendre hommage à cet intellectuel chiite, l'un des opposants les plus farouches au Hezbollah, lequel est pointé du doigt par ses détracteurs dans ce crime.
Lokman Slim, écrivain, éditeur, activiste et opposant déterminé au Hezbollah, a été retrouvé mort jeudi matin au Liban-Sud. Le militant était porté disparu depuis mercredi soir, lorsqu’il était sorti du domicile de l’un de ses amis dans le village de Niha en soirée, et sa famille avait perdu tout contact avec lui. Son corps atteint de plusieurs balles avait été retrouvé dans une voiture de location, une Toyota Corolla qu’il utilisait, près de la localité de Touffahta dans le caza de Zahrani. La victime était régulièrement la cible de menaces de la part de partisans du Hezbollah et du mouvement chiite Amal, mais refusait de s'y plier et continuait de vivre dans la banlieue-sud de Beyrouth, place forte par excellence du Hezbollah. Son assassinat a choqué le pays et fait craindre le retour aux assassinats politiques.
"Il est interdit que le verbe soit menacé"
Plusieurs partis et formations se réclamant de la "Révolution" avaient appelé à un rassemblement aujourd'hui sous le slogan "Nous sommes tous Lokman Slim", afin de "condamner l'assassinat et afficher une position unifiée face à l'injustice, l'agression et le meurtre que subit le peuple libanais". Des dizaines de protestataires, drapeaux libanais à la main, ont répondu présents lors de ce rassemblement, notamment des partisans de la révolte populaire du 17 octobre 2019. Les forces de l'ordre se sont également déployées sur les lieux, mais aucun incident n'a été signalé.
"Depuis le début de la révolution, nous sommes tous menacés, et nous avons tous peur. Mais il est interdit que le verbe soit menacé. Ils ne pourront pas nous voler le mot libre. Si nous ne pouvons plus parler, c'est comme si nous étions déjà morts. Lokman Slim a été tué, mais sa pensée est encore vivante. S'ils tuent une personne, cents autres prendront la relève", affirme Reine, 40 ans, cheffe d'entreprise et professeur des universités venue manifester.
Au micro, Harès Sleiman, professeur d'université et activiste, dénonce "des services de sécurité en faillite et au service d'un système qui a abouti à la faillite du Liban". Certains manifestants n'hésitent pas à accuser le Hezbollah de l'assassinat de Samir Kassir et de Lokman Slim. Ils sont tout de suite pointés du doigt par d'autre protestataires qui les taxent d'appartenance aux Forces libanaises (parti chrétien de Samir Geagea) et de vouloir surfer sur la vague de la révolte populaire. "Ce ne sont que des voyous opportunistes", s'emporte ainsi un jeune homme.
"Nous avons tous le droit d'aller à Haret Hreik"
"Il faut montrer que nous n'avons pas peur, malgré la milice qui contrôle le pays", confie à L'Orient-Le Jour Charbel Chaaya, président du club laïc de l’USJ. "Le pouvoir en place et la milice (le Hezbollah) veulent diviser le pays et empêcher toute volonté de changement", estime-t-il. "Nous nous dirigeons vers une étape dangereuse et nous ne pouvons l'affronter qu'en nous unissant tous", prévient le jeune homme. "Nous n'attendons rien de la justice pour connaître la vérité concernant le meurtre de Lokman Slim. C'est le Hezbollah qui l'a tué", lance-t-il. "La liberté a été atteinte encore une fois", dénonce de son côté Karl, un architecte de 34 ans. "On ne peut pas traiter les autres avec cette logique", insiste-t-il, en allusion à ceux que Lokman Slim dérangeait. Un groupe de médecins, "Les blouses blanches", qui se revendique de la révolte populaire, est lui aussi venu exprimer sa solidarité. "Ce meurtre violent ne vas pas arrêter la révolte", insiste le Dr. Salim Nasser, 52 ans.
Un groupe de femmes venues manifester s'est pour sa part rendu plus tard en début d'après-midi à Haret Hreik, dans la banlieue-sud de Beyrouth afin de présenter ses condoléances à la famille de Lokman Slim. "Cet homme illustre représentait l'espoir des jeunes Libanais", regrette l'une d'entre elles. "Nous n'avons peur de rien. Personne ne peut nous faire taire. Nous avons tous le droit d'aller à Haret Hreik, personne ne peut ne nous l'interdire", insiste-t-elle.
"C'était un homme exceptionnel, regardez toutes les messages de condamnations à travers le monde", rappelle la sœur de Lokman Slim, Rasha Slim el-Amir. "Eux s'opposent avec les munitions en vous trahissant, alors que nous, nous nous opposons avec le verbe. Notre maison est ouverte, ses portes ne se sont jamais fermées. Alors qu'eux vivent cachés et dans le secret", déplore-t-elle, en allusion à ceux qui s'opposaient à Lokman Slim, le Hezbollah en tête.
"Nous attendons que l'enquête en cours nous fournisse des informations", commente pour sa part l'avocat de la famille en charge du dossier, qui a requis l'anonymat. "Le crime a eu lieu il y a moins de 72h. Nous ne sommes donc pas étonnés du peu d'informations encore disponibles. Mais cela ne saurait tarder", espère-t-il.
Dans le Sud du pays également, des militants de Nabatiyé et Saïda se sont rassemblés à Nabatiyé afin de condamner l'assassinat de Lokman Slim, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah.
commentaires (5)
J'espère que le Liban renaîtra comme le Phénix . Amen
Eleni Caridopoulou
20 h 18, le 06 février 2021