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Culture - Hommage

Yo-Yo Ma au sujet de Bassam Saba : Nous avons perdu un grand homme

Depuis la disparition de Bassam Saba, le 4 décembre 2020, des suites de complications liées au coronavirus, les hommages n’ont cessé d’affluer et continuent, deux mois après, de pleuvoir des quatre coins de la planète.

Yo-Yo Ma au sujet de Bassam Saba : Nous avons perdu un grand homme

Yo-Yo Ma : « Bassam disait que l’oud est le roi des instruments, je lui disais alors que le violoncelle est un petit travailleur. » Photo DR

Le temps passe, les souvenirs s’estompent et puis c’est l’amnésie totale. Ce temps, à la fois mortifère et mortifiant, un éternel sablier de l’existence inexorablement assassin, comme un Saturne avide de Francisco de Goya, néantise des consciences, la mémoire de ceux qui ne sont plus. L’art et ses créateurs, seuls, transcendent et subliment ad vitam aeternam la mort. Car, en effet, l’artiste, lui-même une œuvre d’art transgressive, demeure l’une des traces de volontés rares de dépassements de tout genre de frontières qui sclérosent les sociétés. C’est dans cette ambiance que la Arabic Music Retreat – Heritage without Boundaries (Patrimoine sans frontières) présidée par le célèbre oudiste et violoniste américano-palestinien, Simon Shaheen –, a rendu, dimanche dernier à 21h (heure de Beyrouth), un vibrant hommage « virtuel » (sur l’application Zoom) à la mémoire de deux virtuoses : le multi-instrumentiste Bassam Saba, ancien directeur du Conservatoire national supérieur de musique du Liban, et le percussionniste Michel Merhej Baklouk, qui ont succombé tous les deux à la pandémie du siècle.

Voilà exactement deux mois qui se sont écoulés depuis la disparition de Saba, mais du Liban aux États-Unis en passant par la France, une vague d’hommages continue de déferler. Après le New York Times, NBC News et bien d’autres, c’est le maître de l’archet aux accents majestueux et émouvants, le violoncelliste américain Yo-Yo Ma, qui salue la mémoire de son vieil ami. En effet, le talent spectaculaire et la notoriété grandissante de Bassam Saba, qualifié par le New York Times de « véritable maître de son art », lui ont valu, tout au long de sa carrière, l’attention de nombreux musiciens, compositeurs et orchestres de renom international.

Bassam Saba, deux mois se sont écoulés depuis sa disparition. Photo DR

Après avoir effectué son premier enregistrement avec l’ensemble Silkroad au début des années 2000, Yo-Yo Ma avait voulu qu’un musicien représente le monde arabe dans son collectif multiculturel. Son choix s’était aussitôt porté sur Saba qui rejoignit le groupe pour un premier concert à New York avant de devenir partie intégrante du projet, donnant des concerts et dirigeant des résidences à travers le monde.

Pour mémoire

Bassam Saba, le dernier souffle d’un virtuose

« Cet homme merveilleux est revenu au Liban pour deux ans pour ressusciter tout ce qu’il (avait) comme idées pour que la musique vive au Liban. Il a travaillé au Conservatoire national pour vraiment essayer de transmettre l’amour de la musique aux jeunes. C’était ce devoir qui le (pré)occupait, c’était sa passion. C’est (pour cela) qu’il a quitté les États-Unis où il affichait une grande carrière musicale », témoigne Yo-Yo Ma, dans une vidéo envoyée exclusivement à L’OLJ. Et de poursuivre : « Nous sommes tellement tristes (d’avoir) perdu non seulement un ami, un collègue, mais un grand être. Il m’a toujours dit que l’oud est le roi des instruments et nous faisions des blagues parce que je lui disais alors que le violoncelle est un petit travailleur (…) Aujourd’hui, je voudrais jouer pour vous la sarabande de la cinquième suite pour violoncelle de J.S. Bach, (dédiée) à la mémoire de Bassam. C’est avec amour et espérance que ce grand esprit va être dans notre mémoire et nos actions en musique. »

Et c’est là où le pouvoir des mots s’est arrêté que la musique a commencé avec ce mouvement très austère, sévère, dévastateur et pourtant d’une intense beauté.

Gilles Cantagrel : « Il nous faut des Bassam Saba pour survivre ! »

L’éminent musicologue français Gilles Cantagrel, incontournable expert de J.S. Bach mais aussi un grand ami du Liban, livre lui aussi à L’OLJ un message poignant. « Le Liban a impérativement besoin de faire connaître au monde sa culture, ses traditions, ses créateurs et ses artistes. Aujourd’hui plus que jamais. Et Bassam Saba, par son talent, fut l’un des grands entre les mains de qui reposaient les plus grands espoirs, qui portait ce feu qui ne doit pas s’éteindre », déclare-t-il en affirmant avec fermeté qu’un pays qui n’honore pas sa culture et ses traditions est un pays mort. Et d’ajouter : « Il faut à tout prix éviter un tel drame ! Nous vivons dans un monde en voie de décomposition. Il nous faut des Bassam Saba pour survivre ! Honneur à lui, qui s’est battu contre le cancer bureaucratique au péril de sa vie. »

L’hommage de Dalia Jaber

Finalement, face à la mort, tous ces mots perdent leur sens et « la langue se décompose en une masse amorphe de particules privées de significations », pour reprendre la citation de Fritz Angst. Le dernier mot sera ainsi donné à Dalia Jaber, la femme du défunt artiste, qui, après des semaines de silence, rend à travers ces colonnes un hommage à son compagnon de vie. « Il est difficile d’imaginer Bassam sans instrument entre les mains, comme s’il s’agissait d’une extension de son corps et de son âme. Lors de notre première rencontre en 1985, Bassam m’a exprimé son amour à la flûte, sur l’air La Sicilienne de Gabriel Fauré. Je ne savais pas alors que j’étais sur le point de me lancer dans un voyage plein d’amour, de musique et de gentillesse. Je ne savais pas que Bassam traverserait les frontières à travers les océans et hypnotiserait le public », raconte Dalia Jaber avec fierté.En 2018, poursuit-elle, Saba a suivi sa vocation en revenant au Liban dans le but de transmettre ses connaissances à son pays natal pour en faire un carrefour musical incontournable dans le monde. Mais « la corruption politique au Liban et la pandémie étaient sans merci, et Bassam n’a pas pu réaliser son rêve ». Et de conclure : « Il a planté des graines. Les étudiants et les musiciens qui l’aimaient et le pleurent aujourd’hui incarneront sa vision et continueront son chemin.

Le temps passe, les souvenirs s’estompent et puis c’est l’amnésie totale. Ce temps, à la fois mortifère et mortifiant, un éternel sablier de l’existence inexorablement assassin, comme un Saturne avide de Francisco de Goya, néantise des consciences, la mémoire de ceux qui ne sont plus. L’art et ses créateurs, seuls, transcendent et subliment ad vitam aeternam la mort. Car, en...

commentaires (1)

Bonjour! Où pourrai-je retrouver l'entretien et la musique de Yo - Yo Ma ? Merci

ELIAS SKAFF

12 h 21, le 08 février 2021

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Commentaires (1)

  • Bonjour! Où pourrai-je retrouver l'entretien et la musique de Yo - Yo Ma ? Merci

    ELIAS SKAFF

    12 h 21, le 08 février 2021

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