S’il faut tenter d’expliquer l’inexplicable, voire l’injustifiable, concernant l’immobilisme dans le processus de formation du gouvernement, deux approches sont actuellement retenues. La première insiste sur le fait que le blocage est interne et qu’il est essentiellement dû à la crise de confiance entre le chef de l’État et le Premier ministre désigné. La seconde, elle, considère que les entraves sont plutôt externes et qu’elles se résument à la nécessité d’attendre les grandes lignes de l’action de la nouvelle administration américaine, d’autant que des changements importants s’annoncent.
Parmi les partisans de la thèse du blocage interne, il y a bien entendu le président de la Chambre Nabih Berry qui a lancé il y a quelques jours une initiative dans laquelle il préconise qu’aucune partie ne détienne seule le tiers de blocage et que chaque camp choisisse ses ministres selon la règle suivante : « Ni avec nous ni contre nous. » Les réponses ont immédiatement fusé. La présidence de la République a affirmé qu’elle ne réclame pas, et ne songe même pas à réclamer, pour elle le tiers de blocage. D’un autre côté, certains députés du Courant patriotique libre ont estimé que cette proposition est en quelque sorte une pierre jetée dans le jardin du Premier ministre désigné, qui ne reconnaît pas au chef de l’État le droit de choisir les ministres chrétiens, sous n’importe quelle règle que ce soit. Bref, la proposition du président de la Chambre n’a pas réussi à ouvrir une brèche dans l’impasse actuelle et elle a ajouté une polémique à toutes celles qui existent déjà et alimentent en permanence la scène médiatique. Si tout le monde est d’accord pour adopter la thèse de la crise de confiance entre Michel Aoun et Saad Hariri, chacun en attribue l’origine à des raisons différentes. Pour les fidèles du courant du Futur, le chef de l’État veut concentrer tous les pouvoirs et gouverner pratiquement seul en balayant les dispositions de l’accord de Taëf, alors que pour les proches du chef de l’État, le Premier ministre désigné et plusieurs autres parties politiques veulent des garanties pour que les dossiers de corruption ne soient pas ouverts...
Du côté des partisans de la thèse du blocage externe, qui sont essentiellement des diplomates et des analystes, une attention particulière est accordée à la visite de Saad Hariri en Égypte. Selon eux, Le Caire est en effet une capitale-clé pour définir l’étape à venir et le chef du Futur a certainement dû entendre du président égyptien des conseils avisés sur la démarche à suivre, dans le processus de formation du gouvernement. S’il est vrai que l’Égypte travaille de concert avec les Émirats arabes unis, et dans une moindre mesure avec la France, elle reste la première capitale de la région à saisir les contours de l’étape à venir, car elle a des liens étroits avec les Américains, mais aussi avec les Russes et la plupart des pays de la région. Traditionnellement, les responsables égyptiens sont les premiers à sentir le vent tourner et ils donnent des conseils en ce sens aux Libanais qui les consultent. Il faudrait donc guetter l’attitude de Saad Hariri à son retour à Beyrouth pour voir si les responsables égyptiens lui ont, par exemple, conseillé de prendre son temps et d’attendre un peu ou bien d’aller de l’avant car le temps presse. Pour le Liban qui se débat dans mille et une crises internes et externes, essayer de voir clair dans les développements à venir est primordial. Surtout en cette période de changements qui pourraient être importants.
Plusieurs indices semblent annoncer la couleur. Il y a ainsi la décision de suspendre la vente des armes américaines à l’Arabie saoudite, ainsi que celle similaire, pour la vente d’avions militaires américains aux Émirats arabes unis... Laquelle a provoqué une réaction de la part des Israéliens qui ont considéré qu’elle portait un coup au processus de normalisation entre eux et les Émiratis. De même, la décision du Pentagone de retirer le porte-avions Nimitz de la région du Golfe peut être considérée comme un signe de bonne volonté à l’adresse de l’Iran. Il est vrai que le Pentagone a annoncé que ce porte-avions a passé trop de temps loin de sa base et qu’il doit y retourner pour des raisons logistiques, mais en langage diplomatique et militaire, cette démarche ne peut pas être dissociée de la préparation des négociations avec l’Iran. Cette décision est ainsi considérée comme une mesure d’apaisement et un prélude à la reprise des négociations sur l’accord nucléaire, en attendant une levée éventuelle des sanctions américaines frappant l’Iran, qui exige plus de temps et qui est assez complexe. En même temps, l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi est revenue sur le tapis dans les médias américains, alors que la nouvelle administration semble déterminée à désigner de nouveaux ambassadeurs en Arabie saoudite, en Jordanie et en Israël. Ce qui peut signifier un changement de cap dans ces pays. Il faut aussi ajouter les dernières déclarations de l’ancien ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford, et de l’ancien secrétaire général adjoint du département d’État, Jeffrey Feltman, sur la Syrie. Enfin, la soudaine crise dite des drones entre le Liban, Israël et Gaza (au moins deux drones israéliens ont été abattus en une seule journée au Liban et à Gaza) ne peut pas être dissociée des préparatifs en vue de la prochaine étape, chaque camp essayant de renforcer ses cartes et de consolider sa position au cas où de nouvelles négociations seront entamées sous l’égide des Américains. Pour toutes ces raisons, il est donc important pour Saad Hariri de sonder les responsables égyptiens avant de poursuivre sa tournée... Et de revenir au Liban, avec peut-être de nouvelles perspectives.
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Pour les fidèles du courant du Futur, le chef de l’État veut concentrer tous les pouvoirs et gouverner pratiquement seul en balayant les dispositions de l’accord de Taëf, alors que pour les proches du chef de l’État, le Premier ministre désigné et plusieurs autres parties politiques veulent des garanties pour que les dossiers de corruption ne soient pas ouverts...J’ajouterai que les deux ont parfaitement raison puisqu’il s’agit aussi bien pour l’un que pour l’autre d’étouffer tous les scandales economico-fininaciers et trahisons avérée politique qu’ils ont commis en connaissance de cause et sans vergogne. Alors maintenant il y a une troisième version que vous avez oublié de citer qui est celle des libanais qui veulent que ces deux là ainsi que leurs troupeaux dégagent au plus vite pour permettre à ce pays de redevenir un, puisque depuis leur accession au pouvoir il l’ont transformé en bordel ou même la traînée la moins chère est trop payée.
Sissi zayyat
15 h 47, le 05 février 2021