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Étienne de Montety et le retour du religieux

Étienne de Montety et le retour du religieux

© Patrice Normand

«Hicham sent une force le traverser, une rage, une furie intérieure qui lui ordonne : “Tue!tue !” Ça hurle en lui. Comment faire taire la voix ? Il plonge sa lame dans la poitrine de l’homme en blanc. Une fois, puis une deuxième. Georges s’écroule, le sang coule sur son vêtement. » Le dernier roman d’Étienne de Montety, La Grande Épreuve est construit autour de l’attaque terroriste islamiste du père Jacques Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray, en juillet 2016. À travers une transposition narrative et fictionnelle, le directeur du Figaro littéraire imagine différents personnages reliés à ce drame, par de multiples canaux, et confronte le lecteur à un certain nombre de questionnements structurels sur notre époque contemporaine, ses dangers et ses contradictions.

Dans une ville paisible du Sud-Ouest de la France, un couple sans histoires est déstabilisé par les interrogations croissantes de leur fils adoptif, David, au sujet de ses origines. Lorsqu’il rencontre Hicham et la rhétorique implacable de l’islamisme politique, le jeune homme croit trouver un certain nombre de réponses à son mal-être. La construction chorale du roman permet de mettre en scène des personnages de milieux très variés. Frédéric N’guyen, nouvellement engagé dans la police, Agnès, qui a choisi d'être Petite Sœur de Jésus, mais aussi Zayane, Brahim Boulaïd, de la cité du lac… Et puis il y a le Père Georges Tellier, qui a assisté à une déchristianisation française graduelle au fil des années, et qui tente de tenir bon dans sa foi. Le récit se termine par ses obsèques, où une assemblée composite est unie pour partager une même douleur. Les dernières phrases du roman sont celles d’un cantique que tous partagent, catholiques, musulmans, pratiquants, ou non. « À l’Agneau de Dieu soit la gloire,/ À l’Agneau de Dieu, la victoire,/ À l’Agneau de Dieu soit le règne,/ Pour tous les siècles, Amen. »

Pourquoi avoir choisi d’écrire au sujet de l’assassinat du Père Hamel ?

Au moment des faits, en 2016, j’étais au Figaro, et j’ai suivi ce drame en tant qu’éditorialiste. Je me suis surpris à être particulièrement touché par cette histoire, probablement parce qu'à la différence d'autres attentats, il s’agissait d’un prêtre âgé, dans une église. Ces événements tragiques qui touchent à la religion chrétienne peuvent survenir dans d’autres pays, mais là, c’était en France, à une heure de Paris, et ça m’a perturbé dans la conception que j’avais de la religion, comme un lieu de paix où les hommes pouvaient se retrouver. Une barrière semblait être franchie dans l’horreur, puisque les religions n’étaient plus respectées par des gens se revendiquant de Daech. J’ai choisi de rédiger un roman plutôt qu’un essai parce que j’ai eu l’impression que ce fait divers dépassait le Père Hamel. La forme romanesque allait me permettre une certaine liberté pour explorer, à travers la figure d'un prêtre, la situation de tous les prêtres aujourd’hui en France et d’explorer notre histoire récente à travers deux jeunes assassins que j'ai aussi inventés ou plutôt recréés. Ils m’ont permis de réfléchir à une certaine jeunesse française, à ses problèmes d’identité, à son mal-être et au problème des idéaux que la France leur donne ou pas. Pour des raisons mystérieuses, la société française ne propose pas d’éléments assez stimulants pour eux, il y a une forme de désillusion, certains se sentent trahis ou déçus et, finalement, l’attraction pour un discours islamiste de violence va être plus fort qu’une société moderne et prospère qui n’arrive plus à proposer un sens à la vie de ces jeunes. Si la France ne répond pas à leurs aspirations, d’autres peuvent y parvenir, des marchands de rêve, d’idéal, de promesses qui véhiculent la violence et la mort.

Comment avez-vous tissé votre fiction avec le meurtre lui-même ?

Le déroulé de l’histoire étant connu, un récit linéaire aurait été trop banal. Je me suis très vite beaucoup intéressé à mes personnages et la forme du roman choral a permis de les mettre en valeur, chacun. Je me suis plongé en eux avec une grande passion pour explorer leur intériorité ; je les ai beaucoup aimés d’ailleurs, quels que soient leurs qualités ou leurs défauts. J’ai eu envie de les mettre en scène autrement que par une narration classique, dans cette montée vers un dénouement tragique. Je suis parti de mes souvenirs sur un sujet que j’avais beaucoup travaillé en 2016 et j’ai abordé par la fiction le mal-être de deux jeunes, l’un issu de l’immigration algérienne et l’autre qui était adopté. Je me suis par ailleurs rendu à Saint-Étienne-du-Rouvray pour rencontrer l’équipe de police qui a mené l’intervention, car c’est un univers que je connais assez peu. À partir de là, j’ai reconstruit l’histoire d’un policier qui est assez éloignée de celle du vrai patron qui a dirigé les opérations.

À travers le désarroi des parents de Daoud et de Hicham, souhaitez-vous mettre en lumière les difficultés contemporaines de la transmission ?

La question de la transmission, celle de l’éducation, de l’instruction, de la foi chrétienne, concerne et menace de nombreuses familles. J’ai souhaité l’interroger à travers les Berteau, une famille sympathique, généreuse, plutôt aisée, à qui il manque un petit secret, quelque chose qui permettrait, dans le cas difficile d’un enfant adopté, de lui transmettre ce qu’ils ont de meilleur en héritage et en eux-mêmes. On est dans une époque où ces questions ne sont plus assez considérées et on semble avoir perdu le secret de la transmission. La nouveauté, la modernité ont une telle force qu’elles conduisent à négliger l’héritage familial et culturel avec des mutations énormes. Et ce, avec des paradoxes tout à fait inattendus : je suis toujours stupéfait quand j’entends des groupes ou des communautés qui demandent la bénédiction de l’Église catholique, pour qu’elle reconnaisse leur modèle conjugal ou familial. Ils semblent vouloir une espèce d’unanimité de toute une société pour leur mode de vie. Alors que dans une société laïque et civile, cet assentiment religieux n’est pas nécessaire ; c’est une immense énigme. De la même manière, dans notre société déchristianisée, le scandale des prêtres pédophiles scandalise énormément, comme si, malgré tout, la figure du prêtre gardait son autorité considérable. Je me suis demandé, à travers mon récit, si d’une manière un petit peu subliminale, souterraine, dans le cœur des gens, il n’y avait pas une vieille considération qui ne dit pas son nom, avec l’idée que l’Église était importante pour donner une règle morale, quitte à s’y opposer régulièrement. Mais s’y opposer, c’est encore admettre qu’elle existe et qu’elle a de la valeur. C’est un peu le paradoxe du monde contemporain, le christianisme subsiste et émet encore des ondes, d’une manière assez mystérieuse.

La question de l’engagement, qu’il soit humanitaire, religieux, militaire, me semble également essentielle et j’ai eu envie de rendre hommage aux prêtres et aux religieux qui ont marqué mon enfance. À une époque de zapping permanent, les prêtres, du fait de leur sacerdoce, sont restés fidèles, dans la difficulté et parfois dans la solitude.

Dans votre roman, comment s’articulent l’ancrage de l’islam en France et la déchristianisation ?

Il y a trente ans en France, on parlait de sortie de la religion et on prédisait que le christianisme allait s’estomper au profit d’une société laïque, mais aussi areligieuse, où la modernité, le consumérisme, la liberté, la tolérance seraient des valeurs alternatives plus ou moins intéressantes, plus ou moins nobles de la société. Et puis survient l’islam, qui fait revenir la question de manière tonitruante, surtout quand il s’agit d’un islamisme politique et violent, mais même un islam qui va prier dans la rue, qui va faire largement le ramadan, qui va revendiquer des caractéristiques, des pratiques particulières, des habillements spécifiques... Et tout d’un coup, la société qui pensait s’être débarrassée d’une religion en la remplaçant par un autre mode de vie et d’autres valeurs, se rend compte qu’elle n’en a pas vraiment fini avec elle... D’où un état de sidération générale en France face à des jeunes qui revendiquent un mode d’existence à rebours de leurs aînés. Pour notre société, c’est une espèce de claque dont on aura la clé d’ici 50 ou 100 ans, avec le recul.

Quel est le sens de ce dernier chapitre, empreint de solennité, d’émotion et d’espérance ?

Lorsque j’ai fini mon roman, j’ai senti qu’il manquait quelque chose, la fin de cette histoire ne pouvait pas être la mort ; et j’ai voulu manifester, par cette messe d’obsèques, qui m’est apparue comme absolument nécessaire, la victoire de la vie sur la mort, malgré le chagrin et l’effroi. C’est comme pendant la semaine sainte il y a de nombreux jours de ténèbres et il y a le dimanche de Pâques. Plusieurs personnes parmi mes lecteurs ont été sensibles au caractère sombre et inquiétant du roman et à l’image qu’il renvoie de notre société. Mauriac disait qu’à travers la boue des âmes et la pauvre condition humaine, il cherchait la source d’eau claire... Les questions posées dans La Grande Épreuve ont suscité des réactions multiples, certains considèrent qu’en explorant les psychologies de chacun, on propose des clés pour mieux comprendre ce qu’il se passe et pour, peut-être, donner des signes d’espérance.

La Grande Épreuve d’Étienne de Montety, Stock, 2020, 306 p.

«Hicham sent une force le traverser, une rage, une furie intérieure qui lui ordonne : “Tue!tue !” Ça hurle en lui. Comment faire taire la voix ? Il plonge sa lame dans la poitrine de l’homme en blanc. Une fois, puis une deuxième. Georges s’écroule, le sang coule sur son vêtement. » Le dernier roman d’Étienne de Montety, La Grande Épreuve est construit autour de...

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