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Culture - Docu-série

Pourquoi tout le monde raffole-t-il de Fran Lebowitz ?

Réalisé par pas moins que Martin Scorsese, « Pretend It’s A City » (Netflix) cartographie le New York prépandémie à travers le regard drolatique, caustique et éternellement de mauvais poil de l’autrice américaine.

Pourquoi tout le monde raffole-t-il de Fran Lebowitz ?

Lebowitz-Scorsese : duo détonant et humour grinçant.

Depuis début janvier, elle est sur toutes les lèvres. Au cœur de toutes les conversations, derrière tous les écrans, omniprésente dans les rubriques culture, mode ou lifestyle de la presse internationale, partout sur les réseaux sociaux qu’elle abhorre pourtant, et puis surtout, indétrônable, au faîte du classement des séries les plus visionnées de Netflix. Avant cela, l’autrice, humoriste et conteuse Fran Lebowitz était l’un des trésors nationaux américains, méconnue de l’autre côté de l’Atlantique à moins d’être familier avec la biosphère culturelle new-yorkaise des années 70 ou d’avoir collectionné le magazine Interview où elle tenait une chronique à la même époque. Il aura donc fallu que son éternel ami et acolyte Martin Scorsese la mette en vedette de sa série documentaire Pretend It’s A City (Netflix) pour que Lebowitz devienne déjà, et en l’espace de quelques jours, l’une des figures marquantes de 2021. Cela dit, ce n’est pas la première fois que cette observatrice drolatique, caustique et invariablement de mauvais poil fait l’objet d’une œuvre de Scorsese : en 2010, elle était le (seul) personnage principal de son film Public Speaking, sorte de prélude à Pretend It’s A City. Alors, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi il a fallu tant de temps pour que le monde, de concert, raffole de Fran Lebowitz.


Lebowitz décrit New York et se confie avec son bagou si particulier dans une docu-série qui cartonne sur Netflix. Photos DR

Le portrait de New York

Certes, de prime abord, en suivant la caméra de Scorsese qui documente jusqu’au plus infime battement de cil de Lebowitz, en regardant le réalisateur de légende (qui fait intrusion à l’écran) totalement hilare à la moindre plaisanterie de l’autrice, on pourrait penser, et à raison, que cette dernière est l’objet, la matière, le sujet et pour tout dire le décor de Pretend It’s A City. Erreur. Même si les logorrhées parfois problématiques de Lebowitz – « Un jour un ado m’a dit : si tu veux comprendre la génération Z, je te passe mon e-mail. Je lui ai répondu : Et pourquoi voudrai-je même comprendre une chose pareille? » – même si son humour au vitriol – « J’ai deux activités dans la vie : fumer et préparer ma revanche » –, même si ses prises de position tranchées et tranchantes occupent tout l’espace des sept épisodes, c’est du portrait de New York, et non pas du sien, qu’il est question. Se promenant dans les rues de la ville, alignant les pas dans le panorama de Robert Moses au Queens Museum, piochant dans un verre de rouge au club The Players sur Gramercy Park, Fran Lebowitz et Martin Scorsese cartographient ainsi, ensemble, le New York prépandémie. L’esquisse d’une ville qui manque cruellement aujourd’hui et réjouit d’autant qu’elle se trace à la faveur de l’intelligence taquine de cette Dorothy Parker contemporaine, à mesure que celle-ci épluche les travers d’une société qu’elle a du mal à comprendre. Déjà, rien que le titre de Pretend It’s a City (« Faites comme si c’était une ville ») est la remarque que lance Fran Lebowitz aux passants pressés qui lui rentrent dedans parce qu’ils ont le nez dans leurs écrans. Ensuite, à chacun des chapitres, à la manière d’une stand-up comedian, elle aborde une des facettes inhérentes aux New York d’aujourd’hui, à savoir les nouvelles technologies qui lui répugnent (jusqu’à ce jour, elle ne possède ni portable ni ordinateur), les transports publics et leurs dysfonctionnements, l’art conceptuel qu’elle se plaît à desquamer – « Dans une vente aux enchères, lorsqu’un Picasso est dévoilé, personne ne bronche. Mais tout le monde applaudit le prix de vente » – ou encore la notion de wellness qui la fait râler : « Les gens payent des fortunes pour des cours de sport qui ne sont en fait que ce genre d’entraînements qu’on avait l’habitude d’infliger à l’armée. »


L'affiche de « Pretend It’s A City ».

Une influenceuse d’un autre genre

Pourtant, en y regardant de plus près, cette satire sociale ne nous apprend rien de vraiment transcendant, et elle serait même passée inaperçue si ce n’était l’infini talent de Martin Scorsese qui l’enrubanne, ou du moins le personnage singulier de Fran Lebowitz qui lui donne ce petit quelque chose de plus. Car, elle a beau s’inscrire en faux contre l’empire des Kardashian, il n’empêche que Lebowitz est une influence comme une autre. D’un autre genre, bien sûr, mais une influenceuse tout de même dont la dégaine emblématique est forcément l’une des composantes de la formule de son succès. D’ailleurs, depuis début janvier, les magazines de mode n’arrêtent pas de détricoter son look reconnaissable entre mille, ses vestes de costume pour hommes de chez le tailleur Anderson & Sheppard, ses bottes de cow-boy, ses chemises, pour hommes aussi, de chez Hilditch & Key, ses jeans Levi’s 501 et ses lunettes en écaille. Plus encore, si Lebowitz continue de se présenter en tant qu’autrice, il serait bon de rappeler qu’elle n’a plus rien publié après Metropolitan Life (Dutton, 1978) et Social Studies (Random House, 1981), réédités conjointement dans The Fran Lebowitz Reader en 1994. Depuis, elle gagne sa vie en donnant des conférences dans des facs (alors qu’elle avoue que les jeunes ne l’intéressent nullement) et en participant à des émissions télévisées (alors qu’elle n’a pas la télé chez elle) où elle ne cesse de parler, comme d’ailleurs dans Pretend It’s A City, de son blocage d’écriture qui dure depuis quarante ans. À la manière d’une influenceuse, donc, Fran Lebowitz doit sa notoriété, et celle de la série de Scorsese à une chose : son point de vue, sa manière de regarder le monde qui l’entoure. À la seule différence que ce point de vue repose sur une immense culture, sur des livres et des rencontres marquants, et un mélange réjouissant de colère et de connaissance, d’humour et d’humanité. « Je suis en colère, parce que je n’ai aucun pouvoir, mais je suis pleine d’opinions », concède d’ailleurs celle qu’on se surprend à aimer au bout des sept parties de Pretend It’s A City, en dépit de son abord acerbe, de son approche rugueuse et de ses opinions controversées. Et si Fran Lebowitz était en fait New York incarné ? 

Depuis début janvier, elle est sur toutes les lèvres. Au cœur de toutes les conversations, derrière tous les écrans, omniprésente dans les rubriques culture, mode ou lifestyle de la presse internationale, partout sur les réseaux sociaux qu’elle abhorre pourtant, et puis surtout, indétrônable, au faîte du classement des séries les plus visionnées de Netflix. Avant cela, l’autrice,...

commentaires (1)

Super bien ecrit cet article!

Massabki Alice

09 h 14, le 29 janvier 2021

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Commentaires (1)

  • Super bien ecrit cet article!

    Massabki Alice

    09 h 14, le 29 janvier 2021

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