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Regains de flamme

Dans l’état d’abattement, sinon d’hébétude, dans lequel est plongé le pays, il suffit parfois de bien peu : de quelques indices surnageant au milieu de tous ces flots de banalités et de stupidités que charrie l’actualité politique, pour ranimer en nous le feu de la révolte, mais aussi l’ardeur de l’espérance.


l Très remarqué fut ainsi ce long entretien téléphonique entre le nouveau président des États-Unis et son homologue français, au cours duquel ils ont passé en revue la conjoncture internationale. Les deux hommes ont notamment évoqué la recherche de la paix et de la stabilité dans notre volatile partie du monde, et ils n’ont pas manqué de s’arrêter au cas particulier du Liban. De nous voir consacrés dans notre statut d’homme malade de la région est fort triste, c’est bien vrai ; mais quitte à s’en tenir à la théorie du verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, il est tout de même réconfortant de constater qu’il existe des médecins étrangers qui s’inquiètent pour nous, en lieu et place de nos propres et exécrables médicastres. La France demeure indéniablement, auprès des autres puissances, le plus ardent des avocats du Liban, de ce qu’il peut encore représenter, pourvu seulement qu’une seconde chance lui soit accordée. Reste donc à espérer qu’Emmanuel Macron trouvera effectivement en Joe Biden un partenaire plus conséquent, plus soucieux de coopération et de synchronisation que le fantasque Donald Trump.


l De Suisse nous vient, dans le même temps, un signal fort, annonciateur de changement, avec l’ouverture d’une enquête fondée sur des soupçons de blanchiment d’argent et de détournements de fonds au préjudice de la Banque du Liban. Que le gouverneur Salamé soit ou non mis en cause, qu’il soit promis au rang de bouc émissaire ou que d’autres personnages publics aient à répondre de leurs initiatives, c’est ce que déterminera l’investigation. Ce qui est surtout nouveau et extraordinaire, c’est que les autorités juridico-financières étrangères – en l’occurrence helvétiques – ne peuvent plus fermer les yeux sur les manipulations et fraudes qui ont conduit à l’assèchement du Trésor public et à la ruine du peuple libanais. C’est là un développement énorme, un vieux rêve qui commence tout juste à devenir réalité, celui de voir les pillards de la République démasqués chiffres à l’appui, sanctionnés, contraints de rendre gorge. Mieux encore, soutiennent les experts, l’enquête ne pourra désormais qu’aller implacablement son chemin, que la coopération des instances locales lui soit ou non acquise.


l Au plan interne était fort remarquée, elle aussi, l’énergique homélie prononcée dimanche dernier par le patriarche maronite. Une fois de plus, le cardinal Raï a vivement dénoncé la coupable inconscience dont font preuve les dirigeants face aux terribles souffrances d’une population laissée à l’abandon. Ne redoutez-vous donc pas le jugement de l’histoire ? a lancé à leur adresse le prélat; mais par-delà la sévérité de l’admonestation, n’était-ce pas présumer généreusement ainsi de leurs possibilités d’amendement, de rachat, même tardif ? Sauf votre respect, Béatitude, il faut bien constater que l’histoire a déjà rendu son verdict, et que celui-ci est absolument sans appel. Le pouvoir libanais est déconsidéré aux yeux du monde, qui ne se prive pas de lui reprocher publiquement son incurie et sa corruption. Et il y a longtemps déjà que ces spoliateurs et affameurs ont été jugés et condamnés par les foules de manifestants. La situation a tellement empiré depuis, la gestion politique, financière et sanitaire s’est à tel point dégradée, la pauvreté et la détresse ont atteint de si terrifiants niveaux que les violentes émeutes initiées à Tripoli font en ce moment tache d’huile : tout se passant comme si d’être fauché par le Covid-19 n’était pas plus grave, au fond, que de mourir de faim…


l Pour finir, ce mot d’adieu au représentant de l’ONU au Liban, qui nous quitte pour rejoindre une nouvelle affectation. Pas plus que divers chefs d’État étrangers, Jàn Kubis ne s’était embarrassé de convenances pour saluer les justes aspirations du peuple et flétrir, souvent sous forme de tweets bien sentis, l’incroyable inconscience des responsables locaux. Comme d’autres amis du Liban, cet ancien ministre slovaque des A.E. n’a pu que constater amèrement l’inanité de ces remontrances, la déconcertante facilité avec laquelle tous ces reproches glissent sur la carapace des intéressés, telles gouttes de pluie glissant sur l’imperméable plumage des canards.


Lundi, l’ambassadeur se voyait décerner la médaille de l’ordre national du Cèdre, en reconnaissance de ses efforts visant à renforcer la coopération entre notre pays et l’organisation internationale. Il est peu probable toutefois que ce colifichet protocolaire figure un jour au premier rang de la classique vitrine affichant ses nombreuses distinctions diplomatiques. Ce qu’en réalité Jàn Kubis emporte avec lui de plus précieux, c’est la gratitude de tout un peuple : de ces Libanais qu’il avait, lui, compris.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Dans l’état d’abattement, sinon d’hébétude, dans lequel est plongé le pays, il suffit parfois de bien peu : de quelques indices surnageant au milieu de tous ces flots de banalités et de stupidités que charrie l’actualité politique, pour ranimer en nous le feu de la révolte, mais aussi l’ardeur de l’espérance.l Très remarqué fut ainsi ce long entretien téléphonique...