Avec la pandémie, s’habiller est devenu une gageure. Une forme de nonchalance impose son rythme. Travailler de chez soi, c’est aussi un peu se désocialiser, oublier le regard de l’autre qui souvent vous rappelle l’importance de l’apparence, non seulement pour soi mais pour la contribution que cela représente pour l’ensemble de l’environnement. Le vêtement demeure donc le dernier retranchement de la civilisation, voire de la dignité dans un nouveau monde qui oublie petit à petit les codes de l’ancien. Presque une nouvelle philosophie, adaptée à cet étrange épisode de la vie globale, la collection masculine d’Hermès pour l’hiver prochain joue l’équilibre entre le confort et l’énergie, l’élégance et le jeu : « Dedans-dehors, les vêtements sortent de leur cadre, offrent leur palette de jeux de lignes et de couleurs, source d’énergie », explique le manifeste, qui poursuit : « Ils tendent des passerelles entre les mondes : de l’intérieur vers l’extérieur et réciproquement. Hybrides et pratiques, les pièces font rimer nonchalance avec élégance. Les matières voluptueuses ou compactes se télescopent dans des associations audacieuses qui troublent les lignes entre le formel et l’informel. Des signatures graphiques, des poches décadrées, des asymétries ludiques. Empruntées à la sellerie, les piqûres étrivières ou piqûres filantes s’affichent discrètement. Avec optimisme, lignes graphiques et variations géométriques dessinent des illusions de mouvement. Une invitation à la marche et à l’énergie du déplacement. L’envie est au confort. La quête de souplesse et de décontraction s’exprime par des volumes sensiblement raccourcis et des pantalons à taille coulissée. Les couleurs – cumin, glycine, rouge H, bleu givre – viennent bousculer joyeusement des variations de réglisse, poivre et pétrole. »
Une conversation sur l’abolition des frontières entre l’extérieur et l’intérieur
Poursuite d’une expérience inaugurée à l’occasion de la présentation du printemps/été 2020, ce nouveau défilé virtuel reflète lui aussi une conversation entre la créatrice et le cinéaste, Véronique Nichanian et Cyril Teste. Le court-métrage qui en résulte met en scène une collection exceptionnelle à plus d’un égard, notamment en ce qu’elle illustre une brillante adaptation à une réalité en pleine mutation. « Je voulais que mes vêtements reflètent cela. Le magnifique escalier principal où défileront les mannequins est comme une épine dorsale : les lumières y pénètrent et il distribue le haut et le bas, le dedans et le dehors, permettant le mouvement, le déplacement entre ces espaces. Nous allons l’investir depuis le sous-sol jusqu’à la réserve et finir dans la cour », révèle la créatrice dans une interview recueillie par Olivier Séguret.
Cyril Teste précise pour sa part : « Ce film Intérieur/extérieur/jour conçu à partir de ce lieu est né de notre conversation à propos de notre rapport au monde actuel, aux frontières qui s’abolissent entre ces deux notions. Le fil qui me guide est le processus à l’œuvre chez Véronique. L’escalier lui parle tout particulièrement et il est devenu la piste d’envol de notre inspiration. C’est un escalier mais c’est aussi une spirale géométrique, une colonne vertébrale. Il joue parfaitement le rôle qui est le sien, un passage entre l’intérieur et l’extérieur. C’est l’un des défis de cette mise en scène : la verticalité, alors qu’un défilé classique joue sur l’horizontalité. Mais on va continuer à se concentrer sur le vêtement, à distiller le langage académique du défilé dans l’espace et les volumes de cet escalier. »
La promesse de jours meilleurs
Pantalons de jogging, pantalons larges à taille coulissée et piqûres filantes ou poches plaquées, pantalons carotte à taille coulissée, pulls à col polo, col rond, col montant, col roulé, col zippé, ou sans manches à col en V, chemises à col montant, chemises à col montant zippé, chemises amples à jeux de poches et surpiqûres contrastées, T-shirts matelassés H, mais aussi tout un vestiaire d’extérieur qui promet des incursions dans la vraie vie sont mis en scène par des mannequins jouant les employés pressés, se croisant dans les volées de marches, dynamiques, souriants, comme heureux de se retrouver. La collection comme la présentation sont autant une promesse de jours meilleurs qu’une panoplie pour affronter la difficile transition qui nous y mène. Hermès ou l’art de vivre le moment, fût-ce sur le mode de la patience, simplement en beauté.