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Lifestyle - Patrimoine

Les conteurs d’histoires du Pakistan aux portes de l’oubli

Les conteurs d’histoires du Pakistan aux portes de l’oubli

Âgé de 65 ans, Mohammad Naseem dit connaître « cinquante légendes » apprises de son père, dont la narration « peut durer des jours ». Parfois, une histoire pouvait durer « une semaine ou un mois ». Joris Fioriti/AFP

Il était une fois un prince courageux, amoureux d’une fée, dont les tribulations furent si épiques qu’il donna son nom à un lac... Au Pakistan, les conteurs d’histoires sombrent chaque jour un peu plus dans l’oubli, détrônés par les réseaux sociaux.

Les yeux de Mohammad Naseem brillent lorsqu’il narre la légende de Saif-ul-Malook, monarque aux aventures peu banales : tantôt son chapeau magique le rend invisible, parfois il se cache dans le corps d’un mouton. Une grotte mystérieuse lui permet aussi d’échapper au courroux d’un démon borgne dont il a crevé l’œil. Autour du conteur, une douzaine d’hommes sourient quand est mentionnée la mère du héros, « forte comme vingt-cinq lutteurs », ou sa promise, « tellement belle qu’elle fit s’évanouir ceux qui, cachés, la regardèrent se déshabiller ». Tous se dispersent, visiblement satisfaits, à la fin de l’épopée. Mohammad Naseem, longue barbe blanche et chapeau traditionnel vissé sur le chef, paraît toutefois surpris par l’attention qu’il reçoit, liée selon lui à son interview : « D’habitude, les gens me disent que je suis fou lorsque je raconte ces histoires. »

Âgé de 65 ans, ce petit boutiquier dit connaître « cinquante légendes » apprises de son père, dont la narration « peut durer des jours », remarque-t-il depuis Shogran, un village d’altitude recouvert d’un épais manteau neigeux. Ces récits sont « authentiques », affirme-t-il, et ils constituent « l’histoire, la culture » du Pakistan. Mais Mohammad Naseem ne les a pas partagés avec ses six enfants. Et il les raconte trop rarement à ses amis, qu’ils n’intéressent plus guère, à l’heure de Facebook et d’Instagram. « Quand je mourrai, ces histoires mourront avec moi », soupire celui qui se voit comme « l’un des derniers conteurs d’histoires » de la région.

Bazar des conteurs

À deux heures de route de Shogran, dans le bourg himalayen de Naran, près duquel se trouve le lac Saif-ul-Malook, des apprentis guides maîtrisent aussi l’histoire du prince et de la fée. Qu’ils restituent aux touristes de passage moyennant quelques roupies.

Mais Naran et Saif-ul-Malook relèvent de l’exception. Les conteurs d’histoires, très populaires au Pakistan il y a encore un demi-siècle, se sont depuis lors progressivement tus. Peshawar, la capitale de la province du Khyber-Pakhtunkhwa, où se trouvent Naran et Shogran, a longtemps été leur place forte. La ville compte depuis le XVIe siècle un « qissa khawani bazar », ou « marché des conteurs d’histoires », observe Mohammad Ali, qui a participé à la rédaction d’un livre sur le sujet. Le quartier, aujourd’hui tapissé de néons et encombré de tuk-tuks, fut « le Times Square de la région » de par « l’excellence de ses diseurs d’histoires », s’enthousiasme Naeem Safi, un consultant de Lok Virsa, l’Institut du patrimoine folklorique pakistanais, basé à Islamabad.

Peshawar était alors une plaque tournante du commerce en Asie centrale et du Sud. Des caravanes s’arrêtaient régulièrement dans la ville, qui chaque soir fermait ses portes. Les marchands, coincés sur place, partaient en quête de nouvelles ou de divertissement. Que leur procuraient les orateurs. « L’écrit n’était pas très populaire. Le transfert de connaissances se faisait à l’oral. Raconter des histoires était fondamental : les gens se considéraient comme éduqués s’ils en avaient entendu suffisamment », indique M. Safi. Les conteurs étaient « les outils de communication de l’époque. Ils étaient les messagers », acquiesce Ali Awais Qarni, un chercheur en histoire et littérature de l’université de Peshawar. Certains rapportaient les périls courus sur les routes, les guerres des uns, la paix des autres. Des légendes étaient détricotées jusqu’au bout de la nuit. « Quand ils disaient la vérité, ils y ajoutaient toujours un peu de poésie et de couleur, poursuit M. Qarni. Leur auditoire les écoutait pendant des heures. Parfois, une histoire pouvait durer une semaine, ou un mois. »

Entre les pattes des chameaux

Âgé de 75 ans, Khwaja Safar Ali se souvient de sa jeunesse à Peshawar et de l’excitation quand arrivaient les caravanes. La journée, « nous courions entre les pattes des chameaux », sourit-il. Et quand venait le soir, « nous nous asseyions tous ensemble et nous écoutions les conteurs. Ils nous narraient Kaboul, l’URSS, l’Ouzbékistan. Nous apprenions ces pays à travers eux ». Mais le transport moderne a sonné le glas des caravanes, qui ont cessé de rejoindre Peshawar au début des années 1960, se souvient-il. Si les conteurs ont continué de se produire dans de plus petits cercles, ils ont petit à petit été remplacés par les radios, puis les télévisions. « Maintenant, les diseurs d’histoires ont disparu. Les gens n’ont plus le temps de les écouter. Et puis, ils ont des portables, les réseaux sociaux », constate Khwaja Safar Ali, tout en désignant son propre téléphone cellulaire : « C’est ça, maintenant, qui raconte les histoires. »

L’un des derniers conteurs de Peshawar, né en 1934, y est mort cet automne, regrette Jalil Ahmad, un guide qui emmenait jusqu’à récemment ses clients le rencontrer. Et de soupirer : « Maintenant, la seule manière de voir des conteurs d’histoires, c’est peut-être d’aller au cimetière. »

Source : AFP

Il était une fois un prince courageux, amoureux d’une fée, dont les tribulations furent si épiques qu’il donna son nom à un lac... Au Pakistan, les conteurs d’histoires sombrent chaque jour un peu plus dans l’oubli, détrônés par les réseaux sociaux.Les yeux de Mohammad Naseem brillent lorsqu’il narre la légende de Saif-ul-Malook, monarque aux aventures peu banales :...

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