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Entre-deux

Le roi est mort, vive le roi, comme le veut l’usage en matière de succession ? Pas tout à fait, pas encore. Car ni Donald Trump, pour mis en accusation qu’il soit devant le Sénat, n’est définitivement hors d’état de nuire et ni Joe Biden ne maîtrise encore la potion magique qui rendra rapidement son unité et sa santé à l’Amérique, de même qu’une relative tranquillité d’esprit à une notable partie de l’humanité.


Cet inquiétant phénomène de flottement, à la charnière de deux ères on ne peut plus contradictoires, rien ne pouvait mieux l’illustrer que la surréelle cérémonie de prestation de serment du nouveau président des États-Unis prévue pour aujourd’hui : le centre de Washington désert, bouclé par des milliers de militaires ; près de 200 000 bannières étoilées plantées au sol en guise d’assistance ; et jusqu’aux membres de la garde rapprochée du président passés au crible par le FBI pour dépister d’éventuels extrémistes capables de tout. L’Oncle Sam n’est certes pas une mauviette, mais depuis la prise d’assaut du Congrès et avec les irréductibles de Trump toujours actifs, il a bien raison de redouter le pire.


C’est bien pourquoi le président accordera la priorité absolue à son objectif de réconciliation et de rassemblement internes. Et même s’il sait bien que le chemin sera long, l’un de ses premiers gestes, lors de sa prise de fonctions aujourd’hui, sera de consacrer, par décret, une époustouflante enveloppe (près de 2 000 milliards de dollars !) pour les urgences sociales, la relance de l’économie et la lutte contre ce Covid-19 tenu en un tel mépris par son fantasque prédécesseur.


Fort bien, le plus vite sera le mieux, souhaitera-t-on volontiers au peuple américain ; dans l’intervalle cependant, la terre devra bien continuer de tourner; et avec elle, dans une belle sarabande, les dérèglements insensés laissés en héritage par la présidence Trump et qui requièrent, pour la plupart, un redressement de la politique étrangère qu’a pratiquée, ces dernières années, la première puissance mondiale. D’un trait de plume, Joe Biden ramènera aujourd’hui même l’Amérique à l’accord de Paris sur le climat, et il faut espérer qu’il en fera de même pour l’Office onusien de secours pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) également désertés par son prédécesseur. L’Amérique va reconstituer ses alliances pour mieux faire face à la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran, annonce de son côté le futur chef de la diplomatie US Antony Blinken, un vétéran du département d’État qui était auditionné hier par le Sénat.


Non moins importante toutefois est la nomination, pour la première fois dans les annales, d’un autre diplomate de carrière, William Burns, à la tête de la CIA. Secrétaire d’État adjoint dans l’administration Obama, Burns est en effet le négociateur qui, dans le plus grand secret, avait engagé avec Téhéran les premiers contacts ayant abouti à ce même accord sur le nucléaire iranien qu’a dénoncé Trump, mais que Biden voudrait rétablir. Voilà déjà qui semblait le prédestiner à un recyclage dans le métier des ombres, et cela d’autant que dans ses écrits comme dans ses apparitions télévisées, il n’a cessé de voir dans le renseignement un des outils de base de toute diplomatie rationnelle. Mais surtout, Bill Burns est un homme qui a des idées bien arrêtées et qui n’a pas craint de les exprimer, notamment dans les colonnes des influents Washington Post et Foreign Affairs. En ce qui concerne plus particulièrement le plan de paix préparé par Jared Kushner, il estime illusoire toute tentative d’ignorer les aspirations des Palestiniens; et il ajoute qu’en trois décennies et demie de carrière, il n’a jamais vu un président faire autant de concessions (à Israël) pour si peu en échange…


Iran et Palestine : de tous les dossiers en souffrance amoncelés dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche, ce sont, bien sûr, ces deux-là qui nous concernent du plus près. De l’une et de l’autre des tractations attendues, le Liban est en droit d’espérer des retombées positives ; encore faut-il que ses dirigeants, dans leur criminelle inconscience, ne se contentent pas, précisément… d’espérer : d’attendre que la fortune du pays lui tombe du ciel, de s’en remettre exclusivement au bon gré des puissances, ne serait-ce que pour former un malheureux simulacre de gouvernement. Or, qu’il s’agisse de l’Iran ou de la Palestine, toute recherche d’un règlement comporte de sérieux risques de dérapages militaires, susceptibles d’affecter toute la région. Mais des solutions mal inspirées peuvent, elles aussi, faire des ravages tout autour. À travers l’histoire, bien des États mal gérés, mal défendus, ont pâti d’ententes qui les dépassaient.


C’est là ce qu’on appelle cyniquement des victimes collatérales.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Le roi est mort, vive le roi, comme le veut l’usage en matière de succession ? Pas tout à fait, pas encore. Car ni Donald Trump, pour mis en accusation qu’il soit devant le Sénat, n’est définitivement hors d’état de nuire et ni Joe Biden ne maîtrise encore la potion magique qui rendra rapidement son unité et sa santé à l’Amérique, de même qu’une relative tranquillité...