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Monde - Focus

Dépolariser l’Amérique ? Les bonnes volontés existent, mais les espoirs sont minces

Dépolariser l’Amérique ? 
Les bonnes volontés existent, mais les espoirs sont minces

Duel d’affiches entre un manifestant pro-Trump et un autre contre, devant le Capitole, le 8 janvier 2021. Leah Millis/Reuters

Peut-on encore « dépolariser » l’Amérique ? Après les violences du Capitole et à l’approche de l’investiture de Joe Biden, des milliers d’Américains se disent prêts à tendre la main à « l’autre camp », mais beaucoup jugent le mal trop profond pour que leur bonne volonté puisse payer.

Au moment où l’inquiétude montait la semaine dernière devant la possibilité de nouvelles violences, Braver Angels (« Anges plus courageux »), association créée en 2016 pour surmonter les divisions, a organisé une réunion virtuelle ouverte à tous ceux qui veulent « ressouder l’Amérique ». Elle a rassemblé sur Zoom 4 500 participants, de tout le pays, et gagné plus de 2 000 nouveaux abonnés dans la foulée, selon un porte-parole, Ciaran O’Connor. Tous désireux d’« écouter » l’autre camp et de redoubler d’efforts, pour éviter « une guerre civile », comme l’ont dit plusieurs participants.

La réunion a été l’occasion de faire témoigner trois « duos » formés d’un « bleu » (démocrate) et d’un « rouge » (républicain), qui ont réussi à établir un dialogue amical malgré leurs divergences politiques.

Kouhyar Mostashfi, musulman proche de l’aile gauche des démocrates, et Greg Smith, ex-policier pro-Trump et chrétien fervent, ont ainsi raconté les liens qu’ils ont noués depuis quatre ans. À force de discussions, d’humour, et de visites communes, à la mosquée de l’un et à l’église de l’autre.

Réduits depuis la pandémie à des échanges virtuels, leur relation semble néanmoins avoir résisté aux événements du Capitole – que Greg juge « horribles », au nom de sa foi chrétienne.

Carlos Hernandez, latino pro-Trump, et Amania Drane, militante noire antiraciste, qui échangent eux depuis quelques mois, sont tombés d’accord pour dire qu’il fallait d’abord combattre sa « propre polarisation » – en mesurant d’abord ses clichés sur l’autre camp.

Pessimisme

Il existe d’autres initiatives favorisant le dialogue entre personnes d’opinions opposées, locales ou nationales, parfois beaucoup plus anciennes, comme l’association « Living Room Conversations » (« conversations de salons »), créée en 2010. Elles se sont multipliées avec la présidence Trump, qui a brouillé nombre de familles et d’amis de longue date.

Mais que pèsent ces bonnes volontés face à la détermination des extrêmes, alimentée par un climat de surenchère sur les réseaux sociaux ?

La semaine dernière, on a vu, d’un côté, certains opposants de Trump prôner la mise à l’index de tous les manifestants pro-Trump du 6 janvier et, de l’autre, des fidèles du président présenter l’arrestation des émeutiers et la fermeture de plates-formes conservatrices comme Parler comme l’instauration d’un État totalitaire...

Le futur président Joe Biden – élu avec 81 millions de voix contre 74 millions pour Donald Trump – a beau se présenter comme l’homme de la réconciliation, les Américains sont pessimistes : 56 % s’attendent à ce que les divisions restent inchangées sous sa présidence et 31 % seulement le pensent capable d’« unir le pays », selon un sondage Quinnipiac du 11 janvier.

« Les gens qui participent (à ces initiatives) ne sont pas ceux qui causent les conflits, souligne Kai Ruggeri, professeur à Columbia et coauteur en 2019 d’une étude sur la polarisation. Si ces programmes n’ont pas lieu là où les problèmes existent, je ne pense pas qu’ils puissent avoir beaucoup (d’effets). »

L’étude qu’il a menée suggère cependant que la polarisation pourrait être grandement atténuée par moins de politisation. Les Américains ne sont « pas si divisés que ça » lorsqu’on les interroge sur des problèmes concrets, comme l’immigration, sans étiqueter politiquement les différentes positions, dit-il.

Tribal

« Démocrates et conservateurs sont divisés sur les questions politiques, mais pas plus qu’ils ne l’étaient il y a 30 ans », dit aussi Robert Talisse, expert en polarisation à l’université Vanderbilt. « Ce qui a changé, c’est (...) l’animosité envers l’autre camp, qui s’est intensifiée bien plus que les divisions politiques. »

Une animosité exacerbée par un fonctionnement de plus en plus « tribal », selon lui : chaque camp a ses valeurs, ses modes de consommation et de moins en moins d’endroits où côtoyer l’autre côté, loin de toute politique.

« Tous les lieux de socialisation – lieux de travail, destinations de vacances, magasins, écoles – sont désormais séparés selon des lignes de fracture politiques (...) Nos interactions au quotidien ont donc tendance à nous mettre en contact uniquement avec des gens qui sont comme nous », dit-il.

La tendance est alimentée par les réseaux sociaux depuis des années et la pandémie, qui depuis dix mois réduit les interactions en personne, l’a encore renforcée.

« Aucun homme politique ou élu, nouveau président compris, ne peut vraiment remédier à ça, dit M. Talisse. Si on veut vraiment réparer notre démocratie, nous devons apprendre à faire des choses ensemble (...) qui ne s’organisent pas autour de la politique. »

Catherine TRIOMPHE/AFP

Peut-on encore « dépolariser » l’Amérique ? Après les violences du Capitole et à l’approche de l’investiture de Joe Biden, des milliers d’Américains se disent prêts à tendre la main à « l’autre camp », mais beaucoup jugent le mal trop profond pour que leur bonne volonté puisse payer.Au moment où l’inquiétude montait la semaine dernière devant la...

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