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Culture - Musique

Et si Venus était un garçon ?

Le musicien et artiste visuel Venus Bleeds se lance avec son single « Dolorosa », le premier des trois chapitres d’un album intitulé « Catharsis » à travers lequel le Libanais de 23 ans raconte son parcours intime et explose les barrières entre les genres...

Et si Venus était un garçon ?

Venus Bleeds, musicien et artiste visuel de 23 ans, fait exploser les barrières du genre. Photo DR

« Everybody hurts, but nobody wants to bleed. » Tout le monde souffre, mais personne ne veut saigner. Cette phrase intrigante est la première chose qui aimante l’attention aussitôt qu’on atterrit sur le profil Instagram de l’artiste Venus Bleeds. Une allusion au sang que l’on devine non seulement dans son nom de scène, lunaire et énigmatique, mais aussi dans ses portraits, tout aussi étranges, où ses joues, ses rétines, sa peau et ses doigts sont constellés de larmes d’hémoglobine. « J’ai grandi dans un environnement où l’on apprend aux hommes, et notamment les hommes queer, que la vulnérabilité est une faiblesse. On nous interdirait presque de nous épancher, de pleurer ou même montrer ne serait-ce qu’un signe de fragilité », confie l’artiste dont la maturité contredit son jeune âge, 23 ans, et qui, après avoir longtemps endigué ses vulnérabilités au nom de quelque formatage social, a choisi de renverser la donne et faire de ses failles secrètes son arme de prédilection, en puisant dans ses fêlures la matière de son premier EP Catharsis dont un premier titre, Dolorosa, est sorti vendredi 15 janvier.

Venus Bleeds dirait que cet album est celui de la rencontre, après un long bras de fer entre Omar et Venus. Photo DR

Celui qu’il veut être

Cette libération que Venus Bleeds raconte à la faveur de Catharsis n’est en somme que le parcours intime dans lequel ce jeune Libanais s’est perdu puis retrouvé. Dans l’ombre, il s’est plu à fabriquer son personnage de scène semblable à un caractère de Lars von Trier. Une enfance à Beyrouth, le poids des regards assénés sur ses différences, « la honte d’être queer que j’ai vécu au quotidien », dit-il, la pression sociale qui cherche à l’enfermer dans les codes d’une masculinité rigide, et, au milieu de cet environnement anxiogène, la découverte d’artistes qui l’éclairent, notamment Madonna et Lady Gaga puis un Blackberry, « sa caméra pourrie » qui lui permet de s’évader en se construisant des personnages devant son miroir. Ce sont toutes ces étapes que Venus Bleeds détaille donc, quoique métaphoriquement, dans ce premier album, fruit d’une réflexion de trois années. Mais avant cela, Omar Hamadé, de son vrai nom, n’avait pas la moindre idée qu’il finirait dans la musique. Ce qui explique pourquoi il a toujours refusé de se ranger dans une case, préférant plutôt empiler plusieurs casquettes par le biais d’études en psychologie, de réalisation et de télévision à la LAU, puis de photographie de mode à Copenhague.

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« Je me suis toujours imaginé en tant qu’artiste visuel plutôt que chanteur ou musicien. Comme les artistes que j’admire, je me suis toujours construit des mondes et des ambiances où la musique n’était qu’un élément plutôt qu’une entité. Ce n’est qu’en 2016, en me retrouvant par hasard sur scène, et en voyant la réaction du public lorsque je me suis mis à chanter que j’ai compris que la musique était un médium que je pouvais maîtriser et dont je ferai la pierre angulaire de mon travail », nuance ainsi celui qui se choisira d’abord le patronyme Venus comme nom de scène, « parce qu’étant de signe Taureau, cette planète a depuis toujours eu une résonance particulière en moi ». Mais pas seulement. S’il a opté pour un prénom féminin, c’est parce qu’un pan important de l’œuvre de Venus Bleeds repose sur l’idée d’exploser les barrières qui séparent les genres, sur la notion de porosité entre le masculin et le féminin, sur une volonté de jongler avec les règles de la masculinité, et dans le même temps « en inventer de nouveaux codes. Mêler la violence et le glamour, la force et la vulnérabilité. En fait, la liberté d’être celui que je veux ». Nulle surprise donc que l’artiste ait par la suite augmenté sa marque de fabrique d’un Bleeds, d’un saignement, qui n’est finalement que sa manière de s’autoriser, en tant qu’homme plus précisément, de montrer ses failles au grand jour.

La couverture du single « Dolorosa ». Photo DR

Dans l’ombre de Björk

S’il fallait donc résumer son Catharsis qui condense cette expérience-là, « cette trajectoire vers un regain de confiance en moi », Venus Bleeds dirait que cet album est celui de la rencontre, après un long bras de fer entre Omar et Venus. Rassemblant trois titres, dont le premier Dolorosa, la catharsis telle contée par Venus Bleeds se divise en trois chapitres, plutôt que trois titres, du fait même que ce projet se rapproche plus d’une histoire, d’un film que d’un album au sens stricto sensu. « L’idée est de présenter cet opus par étape, en commençant donc par le premier single Dolorosa, pour passer ensuite à Purgatory et finir par Revelation », explique l’instigateur de ce projet qui a tenu à en cornaquer chacun des aspects, l’écriture « qui démarre toujours de mon cahier personnel de poèmes », la direction artistique mais aussi la réalisation des films qui accompagneront les trois titres de l’album. Et de souligner : « C’est plus par souci de consistance que par volonté de contrôle que je mets la main dans tout. Je raconte une histoire, alors il m’a semblé essentiel que j’intervienne sur tout, afin d’être le plus sincère possible. » Pari gagné, car l’une des grandes qualités d’artiste de ce Libanais installé à Paris est sa littéralité, son talent à mettre en forme mots et idées, qui donne à son projet une dimension d’objet immersif. Ce n’est donc pas une coïncidence que sur le premier single Dolorosa – ses notes vocales plastiques, ses perturbants murmures de mots, ses matières électroniques plastiques – on finit inévitablement par retrouver le désir de Venus Bleeds de se placer dans le sillage de son idole Björk pour qui chaque album musical est un projet pluridimensionnel.

Mais on y décèle quelque chose d’autre aussi, chez Venus Bleeds, quelque chose qui ressemble à de la colère. « Oui, la rage de vouloir montrer au monde d’où je viens. La ville des rêves tués. »

« Everybody hurts, but nobody wants to bleed. » Tout le monde souffre, mais personne ne veut saigner. Cette phrase intrigante est la première chose qui aimante l’attention aussitôt qu’on atterrit sur le profil Instagram de l’artiste Venus Bleeds. Une allusion au sang que l’on devine non seulement dans son nom de scène, lunaire et énigmatique, mais aussi dans ses portraits,...

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