Les plus hauts sommets des montagnes libanaises ne sont pas épargnés par la crise. À l’heure où l’attention est tournée vers les patients atteints du Covid-19 contraints de se faire traiter dans les parkings d’hôpitaux débordés, vers la livre libanaise qui poursuit sa chute vertigineuse face au dollar et vers le bouclage total qui freine une activité économique déjà dans les limbes, des groupes d’inconnus brûlent des pneus usagés sur les hauteurs des jurds de Akoura (caza de Jbeil) pour en dégager le métal qu’ils revendent.
Selon Ghassan Germanos, activiste originaire de la région, les pneus sont déposés par des camions au milieu de la nuit dans les jurds, où ils sont incinérés de manière sauvage. Les chauffeurs reviennent le lendemain, poursuit-il, pour récupérer le métal et déposer une nouvelle cargaison de pneus usagés à brûler. « Nous avons découvert plus de deux cents endroits dans le jurd pollués par cette pratique », assure M. Germanos à L’Orient-Le Jour. « J’ai moi-même observé le grand nuage noir qui enveloppe la localité un jour où je me trouvais sur un site surplombant le village. C’est à ce moment que j’ai appris, grâce aux habitants, que l’incinération des pneus dans nos jurds est une pratique courante », raconte-t-il. Pour remédier à ce problème environnemental, l’activiste a lancé une initiative visant à nettoyer le jurd des résidus de pneus, mais également des douilles abandonnées par les chasseurs sur les hauteurs. Paul Abi Rached, président de l’association Terre-Liban et du Mouvement écologique libanais (LEM), n’a pas manqué de répondre à cet appel. « Il faut remédier à ce problème de manière scientifique pour éviter de transporter les résidus toxiques résultant de l’incinération d’une région à une autre, ce qui ne ferait que disséminer la pollution », explique-t-il.
C’est pour cette raison que les activistes prennent actuellement l’avis d’experts avant de lancer leur initiative qui, de toute façon, devra attendre la fonte des neiges. « Nous avons appris, grâce à Naji Kodeih, chimiste et membre du LEM, que les particules émises par l’incinération des pneus ne sont pas solubles dans l’eau, note M. Abi Rached. Nous sommes rassurés parce que cela signifie que ces particules ne s’infiltreront pas dans les nappes souterraines de Akoura, polluant ainsi un grand nombre de sources. » Si ces particules ne sont pas solubles dans l’eau, cela veut-il pour autant dire qu’elles ne sont pas polluantes ?
Rien n’est moins sûr, selon l’écologiste « Ces particules très fines sont une source de pollution de l’air et affectent par le fait même tout l’écosystème du jurd », poursuit M. Abi Rached, estimant que la solution idéale consisterait à transporter ces résidus dans une décharge sanitaire. Dans cette perspective, Paul Abi Rached insiste sur la nécessité d’édicter une loi sur la protection des cimes, qui aiderait à classer ces jurds en tant que réserve naturelle.
Polémique au sein de la municipalité
Interrogé à ce sujet par L’OLJ, Mansour Wehbé, président du conseil municipal de Akoura, estime que les activistes gonflent l’affaire. « Cet incident n’est pas fréquent dans nos jurds. Il n’a eu lieu qu’une seule fois, il y a quelques jours », affirme-t-il d’emblée. La municipalité a immédiatement réagi, poursuit-il, identifiant le coupable, originaire de Ersal selon lui, qui a été arrêté par l’armée. Accusant certains activistes d’agiter cette question « pour servir des intérêts politiques », le président du conseil municipal assure que les centaines de trous noirs trouvés dans les jurds ont été causés par des manœuvres d’entraînement de l’armée. « J’ai tout fait pour empêcher que ces manœuvres aient lieu dans ces secteurs, afin d’éviter notamment les dégâts sur l’environnement, mais en vain », explique-t-il.
Les propos tenus par Mansour Wehbé semblent toutefois infirmés par l’annonce, vendredi soir, par Élias Kamel, membre du conseil municipal de Akoura, de sa démission pour des raisons en relation avec cette polémique. Une annonce que M. Kamel a faite sur sa page Facebook. « L’armée n’a rien à voir avec l’incinération des pneus dans nos jurds, d’autant que la dernière manœuvre organisée par les soldats dans le secteur avait eu lieu en juillet », affirme M. Kamel. Il accuse notamment le président du conseil municipal de « manquer à son devoir et de se servir des manœuvres de l’armée comme prétexte ». « Cela fait plus de deux mois que les camions transportant des pneus usagés passent devant le siège même de la municipalité, tandis qu’ils sont en route vers les jurds pour y incinérer les pneus », martèle M. Kamel. En réponse à ces accusations, M. Wehbé reconnaît avoir effectivement reçu des plaintes à ce sujet, mais qu’à chaque fois qu’il envoyait des fonctionnaires de la municipalité pour inspecter les lieux, ceux-ci revenaient bredouilles.
Les fumées noires c’est du « carbon black ». De très fines particules qui entrent dans la composition des pneus. Le fait qu’ils ne soient pas solubles dans l’eau n’est pas rassurant pour autant. Si respirées, ces particules peuvent se fixer dans les poumons et dans l’organisme. Par ailleurs, même si non solubles, elles peuvent être « lessivées » par la pluie, polluer le sous-sol et atteindre quand même la nappe. Cette histoire est donc grave. Et l’on peut se douter que rien ne sera fait par les autorités. Et cela, c’est encore plus grave.
09 h 28, le 09 février 2021