Entretiens

De Yann Queffélec à Florence Arthaud, la belle histoire d’eau

De Yann Queffélec à Florence Arthaud, la belle histoire d’eau

D.R.

On sait que Yann Queffélec n’est pas un auteur qui écrit à la commande. Un vrai auteur fait bien ce qu’il veut. Cette liberté-là, Queffélec l’a conquise depuis toujours grâce à l’écriture de ses livres et son prix Goncourt obtenu en 1985 pour Les Noces barbares. Mais il est certainement un homme de parole. Plus de cinq ans que la navigatrice Florence Arthaud est morte dans un accident d’hélicoptère lors du tournage d’une émission de télévision. Elle et lui se connaissaient bien. Très bien même. C’est comme s’ils avaient été sur le chemin l’un de l’autre et n’avaient jamais eu besoin de se donner rendez-vous pour se retrouver. « Nos atomes se reconnaissaient dans la fuite », déclare Queffélec qui recompose dans ce livre vibrant les souvenirs de leur rencontre, de leurs balades, de leurs cuites et de leurs débats.

Tout commence à Ajaccio dans les années 90. Queffélec accoste au port. Dans la marina, son bateau le Baba Yaga jouxte un autre voilier, le Pierre 1er. Pour se rendre sur le quai, Queffélec doit enjamber le pont du bateau voisin. On se fait des petits signes. On échange quelques mots. On s’invite à bord. Et de fil en aiguille, la nuit aidant, l’été aidant, l’alcool aidant, la soirée devient homérique avec sortie en mer et serments sous la lune. À bord, Pierre Bachelet le chanteur et l’auteur qui ne sait pas que son hôte est une star s’entraînent à qui mieux mieux aux jeux de boissons. Florence n’est pas en reste. Mais c’est elle, « la gamine », qui couchera tout le monde et ramènera le bateau au port et au compas, évitant les passes dangereuses comme une vraie pro.

Dès le lendemain, reprenant un peu pied sur terre et soignant son mal de tête en lisant Corse-matin, Queffélec comprend avec qui il a passé la soirée. Cependant que le star-system ne l’impressionne guère, il a en revanche été littéralement stupéfait par cette fille « aux grands cheveux et aux yeux clairs ». « Elle vivait l’instant, vivait la mer, vivait chaque battement de son cœur, n’ayant jamais voulu autre chose que cet accord primordial entre sa peau et le temps qui passe, entre sa peau et le voilier », dit-il.

Pour comprendre Florence Arthaud, pour comprendre comment cette jeune femme élevée au collège de la Tour dans le 17e arrondissement a pu devenir « la petite fiancée de l’Atlantique » et remporter la mythique course de la route du Rhum au nez et à la barbe de vieux loups de mer, il faut s’intéresser à son étoile. C’est ce que fait le livre de Queffélec. Il y a des gens hors-normes, des gens appelés par un destin. Toute vocation est un appel que l’on entend et auquel on répond. Pour les prêtres, c’est la voix de Dieu ; pour Florence Arthaud c’est le bruit de la mer. Et qui sait si le second n’est pas une manifestation du premier…

Queffélec la décrit comme une meneuse et une belle insolente. Jamais elle ne se laissait dicter ce qu’elle doit faire ou pas. Elle l’a compris très tôt. À dix-sept ans, elle manque mourir en faisant sept tonneaux avec la BMW familiale dérobée pour une virée ! Elle aurait dû y rester. Plusieurs longs mois d’hospitalisation et de rééducation vont lui forger un gros mental. Il s’agit là de la qualité première des marins. Comme toute activité ou presque lui est interdite, elle se tourne vers la voile qui lui est miraculeusement recommandée et y met toute sa force et toute son âme. Elle deviendra auprès de ses illustres aînés, la plus respectée des navigatrices.

Mieux qu’une biographie, en regroupant les souvenirs et les soirées mémorables qu’il a passées en compagnie de Florence Arthaud, Yann Queffélec rend à la navigatrice disparue le plus bel hommage qui soit. Il compose un récit, la transforme en personnage. Alchimiste hors pair, Queffélec fait fusionner dans ce livre le portait d’un être et d’une passion. Ode à la femme. Ode à la mer.

À l’occasion de la parution de La Mer et au-delà chez Calmann-Lévy, Yann Queffeclec a accordé l’entretien qui suit à L’Orient littéraire.

Vous écrivez un livre étonnant sur Florence Arthaud, à la fois hommage inspiré et biographie fragmentée. Comment caractérisez-vous votre propre travail ?

Je ne veux pas le caractériser justement. Ce n’est pas un livre sur la mer, ce n’est pas une bio non plus. On est davantage du côté du roman, d’une fiction puisqu'il s’agit d’une personne qui devient un personnage. Florence était à la fois une femme que je connaissais et une professionnelle de la voile que je respectais énormément. Lorsqu’elle a disparu lors de ce terrible accident d’hélicoptère, elle m’est apparue comme un personnage au destin mythique. D’un coup, le personnage prenait le pas sur la personne. Mon livre tente de raconter non pas son histoire mais une belle histoire, comment une personne accède au rang de personnage dans notre imaginaire.

Il y a entre vous un rapport comme celui d’un frère et d'une sœur. Vous êtes de ceux qui n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre. Quel est ce rapport ?

Florence a perdu son frère très jeune. C’est la mer qui le lui a enlevé. Il s’appelait Jean-Marie. Comme moi. Car mon prénom à l'état civil est celui-là. C’était un petit signe entre nous. Je savais qu’elle était très proche de son frère. Elle se tournait toujours vers lui en cas de problème. La disparition de Jean-Marie a été un chagrin insurmontable. Encore mieux, cette mort a fait d’elle une personne inconsolable qui est devenue prête à tout et n’avait plus peur de rien. J’ai entendu cette peine chez elle.

On parle souvent de Florence Arthaud – et on s’en souvient – comme étant « la petite fiancée de l'Atlantique ». Vous n’aimez pas trop cette expression, je crois. Pourquoi ?

Effectivement, je n'aime pas cette expression. Elle ne lui rend pas justice. Florence n’était « la petite fiancée » de personne. Je trouve ce surnom très réducteur, antiféministe et pour tout dire un peu gnangnan. Imaginez qu'on ait appelé Tabarly « le petit fiancé de l’Atlantique ». Ce ne serait pas passé, je vous le dis. Alors pas plus pour Florence. Elle est une femme-marin qui s’est hissée au niveau des plus grands. Elle a gagné la route du Rhum devant les meilleurs navigateurs du moment tout en relevant d’une fausse couche, avec des cervicales en vrac, skippant le Pierre  1er qui est énorme et un très dur à manœuvrer. Une chose est sûre : elle n'était pas petite !

Sa disparition est-elle un accident ?

C’est une tragédie. Mais Florence a bravé l’existence en allant de résurrections en résurrections, d'hôpitaux en hôpitaux. Et la mer lui a tout pardonné. Sur mer, elle s’en est toujours tirée. Il a fallu cet accident d’hélico pour venir à bout de cette satanée chance qu’elle a eue cent fois sur les eaux.

Propos recueillis par Denis Gombert

La Mer et au-delà de Yann Queffélec, Calmann-Lévy, 2020, 216 p.

On sait que Yann Queffélec n’est pas un auteur qui écrit à la commande. Un vrai auteur fait bien ce qu’il veut. Cette liberté-là, Queffélec l’a conquise depuis toujours grâce à l’écriture de ses livres et son prix Goncourt obtenu en 1985 pour Les Noces barbares. Mais il est certainement un homme de parole. Plus de cinq ans que la navigatrice Florence Arthaud est morte dans un...

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