L’espoir aux temps des calamités

Pourquoi dans un contexte si terriblement triste cette obstination à monter un spectacle musical ? Comment dans les terres brûlées de nos cœurs prétendre semer la joie ?

Je me suis cent fois posé ces questions qu’autour de moi on se posait, parfois avec sincérité, souvent avec amertume. Je vais tenter d’y répondre dans ces colonnes, en partageant avec vous l’idée que je me fais de mon métier de chef d’orchestre et de mon rôle d’artiste. Je vais tenter d’expliciter et peut être encore de vous expliquer la nécessité qui m’a amené à concevoir ce concert en ces temps d’accablement généralisé et de silences graves. En réalité, il m’a semblé vital d’occuper le silence sidéré de mes compatriotes avec le langage minimal de la musique, seule apte à faire coexister dans un cri harmonieux nos joies et nos souffrances. Il m’était tout aussi essentiel de combler le silence coupable et dissonant de nos responsables avec ma musique, en usurpant les tribunes de leurs idéologies au profit de mon estrade de chef d’orchestre, et de convertir leurs mensonges et leurs discours haineux en une parole d’amour et de lumière, c’est-à-dire de vérité. C’est là que réside mon rôle et ma responsabilité d’artiste et de créateur, et le privilège de mon statut de chef d’orchestre, en ce lieu même où devraient siéger les privilèges de tout chef.

« Love & Light » est une entreprise audacieuse qui se donne plusieurs objectifs. Pouvez-vous les détailler ?

Le premier objectif de ce spectacle est de nous faire émerger du non-sens où nous sommes éperdus, en redonnant leur épaisseur sémantique à des mots souvent abordés en clichés, comme ceux d’amour et de lumière. Également de restituer à la fête de Noël sa dimension cyclique et profondément régénératrice, au moment même où nous dépérissons. C’est pour mobiliser tous les sens et en faire des capteurs du sens et des porteurs de messages, que j’ai opté pour un format inédit de concert qui convoque plusieurs genres à la fois : la majesté de la musique d’un orchestre philharmonique et la candeur des chants traditionnels de Noël, la transcendance de la poésie et l’immédiateté du théâtre, le tout saisi dans la durée du cinéma.

Pour mémoire

Treizième édition de Beirut Chants, envers et contre tout...

L’autre défi encore plus audacieux que j’avance est celui de partager avec autrui le mince capital de joie qui subsiste en chacun de nous, notamment en retrouvant le sens originel de cette fête du partage dont les cadeaux sont la matérialisation. Nos enfants ont droit à leur fête et à leurs cadeaux. Nous ne devons pas permettre à ceux qui nous ont dépossédés de nos vies et de nos biens de nous destituer de nos valeurs et de notre rôle, et un père doit pouvoir offrir de la joie à ses enfants et leur inculquer, par l’exemple, la vertu du partage. Le prix symbolique du billet fixé à 15 000 LL va dans ce sens et accorde à un enfant l’opportunité d’adresser un message de sympathie et de fraternité à un autre enfant moins favorisé que lui, notamment à un enfant malade du Children’s Cancer Center of Lebanon (CCCL), à qui vont toutes des recettes de cet événement.

Enfin l’objectif qui me tient particulièrement à cœur est relatif au soutien actif au secteur artistique et culturel libanais qui est actuellement dans un état de désolation. En effet, ce concert mobilise des dizaines d’artistes et acteurs de la scène artistique libanaise qui ont « tous » été rémunérés et qui retrouvent avec une immense joie et une générosité immense un espace d’expression pour leur art et leurs talents. Il est évident et je conçois parfaitement que les priorités vitales liées aux besoins primaires des hommes soient justifiées, mais je suis persuadé qu’il est tout aussi primordial de préserver la dignité humaine qui réside dans la dimension spirituelle des êtres et de la nourrir de création artistique.

Entreprise ambitieuse, que voilà...

L’entreprise est, je l’avoue, ambitieuse, surtout dans des délais et des budgets aussi serrés. Certes, il a été difficile de convaincre, mais combien à chaque fois fut grande la satisfaction de voir une conviction se convertir en adhésion et contaminer de son énergie positive assez de mécènes et de philanthropes pour rendre ce rêve possible. Et combien est, au final, gratifiante l’issue d’un parcours semé d’embûches où chaque pas constitue une victoire sur le destin. Je remercie le Conservatoire national du Liban et son directeur entrant Walid Moussallem d’avoir facilité l’avènement de ce projet. Je dédie ce travail à la mémoire de son prédécesseur, le grand artiste Bassam Saba qui vient de nous quitter dans des circonstances douloureuses. Je remercie le Casino du Liban et la MTV, ainsi que tous nos partenaires et sponsors d’y avoir cru et de nous avoir pleinement accordé leur confiance.

Y a-t-il un message, un appel, qui sous-tendent cette initiative ?

Au moment où j’écris ces mots, je ne sais pas encore si mon défi sera une victoire sur tous les plans. Je sais cependant que je fais mon métier avec assez de passion et d’authenticité pour justifier mon audace. Alors qu’à mon concert de Baalbeck The Sound of Resilience (visionné à ce jour par plus de quinze millions de personnes), j’en avais appelé à la résilience, aujourd’hui avec Love & Light c’est à la résistance que j’en appelle. Une résistance culturelle face au nihilisme qui condamne à subir, et auquel j’oppose la création artistique qui invite à agir.

Les détails techniques

Concert sans audience de l’Orchestre philharmonique du Liban avec le pianiste Lucas Sakr et la participation de Takla Chamoun, Cynthia Karam, Amanda Maalouf, Carla Sleiman, Nina Abou Fadel, Ralph Abboud, Eliya Francis, Georges Noun. Avec Harout Fazlian, chef d’orchestre.

Diffusion en ligne sur la plate-forme de la MTV.

Avant-première le 23 décembre 2020, à 21h.

Les 24, 25 et 26 décembre 2020 en diffusion continue (accessible 24h) sous tous les fuseaux horaires.

Billets à 15 000 LL sur le site de Antoine Ticketing au lien suivant : https://bit.ly/3p6SqU7 ou sur place auprès de toutes les branches de la Librairie Antoine.

Les recettes seront intégralement reversées au Children’s Cancer Center of Lebanon (CCCL).

La production Love & Life conçue par MHF Productions, en collaboration avec le Casino du Liban, se place sous le patronage de l’ambassade d’Autriche au Liban.Le spectacle mêle la musique classique orchestrale aux chants traditionnels de Noël et sera traversé par un moment de grande émotion avec le poème de E.E. Cummings dans une version arabe libre du poète Henri Zogheib.