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Nos Lecteurs ont la Parole

Histoire et pédagogie de l’État au Liban

Peut-on être historien sans philosophie de l’histoire ? Le problème a été souvent abordé en ce qui concerne les leçons de l’histoire, alors qu’il déborde largement cette dimension.

Ce qui nous importe ici, c’est la dimension fondamentale de l’histoire, qui est par essence dialectique entre société et autorité. Même quand je me lance dans la petite histoire, la microhistoire, celle d’une petite famille nucléaire, même si les membres de cette famille ne se sont jamais occupés de politique, il y a nécessairement une dimension publique, à savoir les répercussions de la situation générale, les guerres, les violences, la paix, les politiques… sur cette famille nucléaire.

Dans des nations dont l’édification nationale est contractuelle et où la nation durant des siècles était fragmentée en provinces avec des ingérences et des occupations, comme c’est le cas surtout de la Suisse, des Pays-Bas, du Liban… c’est le problème de la construction de l’État, au-delà des émirats et féodalités régionales, qui pose problème.

C’est dans l’histoire de France, et non celle du Liban, que j’ai moi-même appris l’évolution de l’autorité étatique. Avant Louis XIV, le roi n’était roi que dans son domaine. Ce fut en France le fruit d’une évolution, surtout avec Richelieu ; l’autorité de l’État a été alors étendue aux féodalités et seigneuries locales qui assuraient la défense de la population contre les agressions en contrepartie de la subordination de cette population.

Norbert Elias (1897-1990), dans La dynamique de l’Occident, expose l’évolution de la construction de l’État en Occident. Des travaux au Liban et ailleurs ont pressenti le problème central de l’État dans la société libanaise sans cependant l’aborder de front.

L’instance suprême de régulation

Des auteurs abordent le mandat Chéhab dans une perspective nostalgique, ou de défense politique d’un mandat par rapport à d’autres, ou d’une expérience dans l’histoire constitutionnelle du Liban. Or il s’agit d’une approche comparative en droit constitutionnel comparé à propos des sociétés pluralistes.

Il n’y a pas d’alternative pour le Liban à l’instance suprême présidentielle garante du « respect de la Constitution » (art. 49), qu’il s’agisse d’un système unitaire ou fédéral territorial, ou même fortement décentralisé.

L’autre perspective est la « minority control », la « dominant majority » ou « dominant minority », avec au Liban la Sublime Porte, féodalisme, tribalisme, ploutocratie, désordre généralisé et guerre civile armée ou froide. C’est la théorisation philosophique et constitutionnelle de l’État libanais pour qu’il ne soit pas un État chrysanthème où chacun arrache un pétale de la fleur sans souci de l’harmonie de l’ensemble.

Quel est le contenu de l’historiographie revisitée de l’État au Liban et, au fond, de toute historiographie scientifique ? Ce contenu, aujourd’hui complètement absent dans l’historiographie du Liban, comporte trois éléments constitutifs de l’État.

1. Souveraineté : tous les aménagements antérieurs à l’indépendance du 22 novembre 1943 sont occupations diverses, mandat français, et donc sans souveraineté, sans décision nationale. Le régime spécifique de la Montagne s’appelle autonomie administrative (idâra thâtiyya) et non indépendance (istiqlâl). Les émirs de la Montagne sont des militants et résistants de grande envergure, mais ils sont des préposés de la Sublime Porte ottomane.

2. Autorité étatique : la dialectique entre société et autorité, fort explicite dans l’histoire factuelle et réaliste du Liban (et au fond dans toute histoire nationale et régionale), doit être développée en ce qui concerne les gouvernants (wâli), émirats, seigneuries, féodalités et pouvoirs de fait.

3. Évolution constitutionnelle libanaise endogène : l’évolution historique constitutionnelle du Liban depuis les temps les plus anciens est occultée dans l’historiographie générale du Liban, en dépit de travaux pionniers de la part d’historiens éminents qui ont fouillé dans les archives libanaises, françaises et internationales.

La preuve que l’État n’est ni compris ni acculturé au Liban ? Tout propos, tout débat, même dans des milieux académiques, sur l’État dévie vers un débat partisan de justification ou d’accusation en faveur ou contre telle ou telle formation politique !

Qui est le régulateur suprême de l’État dans une société pluraliste ? L’article 49 de la Constitution ne se contente pas de la qualification de « président de la République », il y est ajouté volontairement : « Le président de la République est le chef de l’État » (sic), alors qu’il s’agit pour les autres magistratures suprêmes de « président du Conseil des ministres » (art. 64) et de « président de la Chambre » (art. 77). Quelle honte, honte, décadence… qu’un chef de l’État (sic) se prétende dénué de salâhiyyât (attributions), que des constitutionnalistes palabrent sur des attributions et qu’un imaginaire maronite et chrétien, manipulé par des imposteurs, mendient des salâhiyyât au chef de l’État qui est, par essence, au-dessus des salâhiyyât, garant de la suprématie du kitâb, au sommet de tous les pouvoirs sans exception, pour défendre l’État, la souveraineté, et non camoufler l’occupation et conclure une alliance avec une armée-parti en violation des attributs régaliens de l’État !

Aujourd’hui, « le vernis a fondu », comme l’écrit Antoine Courban. La culture de l’État au Liban exige désormais une autre historiographie du Liban, une autre lecture du régime constitutionnel libanais en perspective comparée, une autre socialisation politique et pédagogie de l’État.

On envisage, en tant qu’exemples expérimentaux et normatifs, l’élaboration de fascicules pédagogiques, dans un but de vulgarisation, avec les titres suivants :

1. Qu’est-ce que l’État ?

2. La proclamation de l’État du Grand Liban en 1920.

3. Que s’est-il passé au Liban après l’indépendance du 22 novembre 1943 : souveraineté, gouvernement national, armée, police, douanes, monnaie… ?

4. État, mon amour en 1975-1990.

5. Heurs et malheurs de l’État libanais de 1943 à 2020.

6. L’histoire de l’État au Liban racontée à nos enfants.

7. L’histoire du régime constitutionnel libanais, des origines à nos jours, racontée à nos enfants.


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Peut-on être historien sans philosophie de l’histoire ? Le problème a été souvent abordé en ce qui concerne les leçons de l’histoire, alors qu’il déborde largement cette dimension. Ce qui nous importe ici, c’est la dimension fondamentale de l’histoire, qui est par essence dialectique entre société et autorité. Même quand je me lance dans la petite histoire, la microhistoire,...

commentaires (2)

Excellente analyse comme d’habitude ! Merci !

Noha Baz

18 h 35, le 21 décembre 2020

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Commentaires (2)

  • Excellente analyse comme d’habitude ! Merci !

    Noha Baz

    18 h 35, le 21 décembre 2020

  • une 4 eme etape constitue le present du Liban : l'evolution ou plutot pour etre vraiment precis, le recul des moeurs des citoyens libanais & bien entendu surtout celui des "dirigeants" suite aux annees de guerre, a celles de l'apres guerre jusqu'en 2005.

    Gaby SIOUFI

    10 h 12, le 21 décembre 2020

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