Le chef des Forces libanaise et farouche critique de la classe politique au pouvoir, Samir Geagea, a affirmé samedi que s'il était président de la République, il démissionnerait, dans une critique virulente à l'encontre du chef de l'Etat, Michel Aoun, qui a accédé au pouvoir en 2016, notamment grâce à son alliance politique avec M. Geagea.
Ces propos acerbes du leader chrétien interviennent au moment où le Liban est embourbé depuis plus d'un an dans une grave crise économique, financière et politique, et sans gouvernement depuis août, suite à la démission du cabinet de Hassane Diab dans la foulée de la gigantesque explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts et 6500 blessés.
"Hommes d'Etat qui n'existent pas"
"L'enchaînement des événements prouve une nouvelle fois que le groupe au pouvoir est incompétent et invivable", a estimé Samir Geagea, lors d'une conférence de presse depuis sa résidence de Maarab. Il a dans ce contexte affirmé que "la bataille n'est pas celle des prérogatives". "Le problème n'est pas entre les chrétiens et les musulmans, mais avec une classe au pouvoir qui a mené le pays à la situation actuelle", a-t-il souligné. "La seule solution, ce sont des élections législatives anticipées afin de constituer une nouveau pouvoir", a encore dit M. Geagea. Les élections sont prévues en 2022, mais plusieurs partis politiques d'opposition, ainsi que les partisans de la révolte populaire du 17 octobre 2019, réclament un scrutin anticipé qui, selon eux, leur permettrait d'évincer ou de réduire l'emprise de la classe au pouvoir. "La crise actuelle est une crise d'hommes d'Etat qui n'existent pas. Si j'étais à la place du président de la République, je démissionnerais. Tout le groupe au pouvoir doit démissionner", a conclu Samir Geagea, en réponse à une question des journalistes.
Concernant la crise gouvernementale, le chef des FL s'est dit "contre la formation d'un cabinet normal ou d'un cabinet d'union nationale, même si nous sommes en faveur de l'union nationale". Les cabinets dits d'"union nationale", en place au Liban durant les dernières années, sauf quelques exceptions, rassemblent aussi bien les partis au pouvoir que ceux dans l'opposition, ce qui aboutit généralement à des blocages dans la prise de décisions.
Depuis sa désignation pour former le cabinet, le 22 octobre dernier, Saad Hariri peine à trouver un terrain d'entente avec le président Aoun. Leurs négociations butent notamment sur la répartition des portefeuilles et la nomination des ministrables. Au cœur de cette polémique se trouve également le refus du chef du courant du Futur d'accorder le tiers de blocage au Courant patriotique libre (aouniste) et au chef de l'Etat. Lundi, dans un échange de communiqués acerbes, la présidence de la République et le Premier ministre désigné se sont mutuellement accusés d'être responsables du retard dans la formation du futur gouvernement. Les tensions entre les deux hommes ont encore empiré depuis la semaine dernière après l'inculpation du Premier ministre sortant, Hassane Diab, et de trois anciens ministres, dans le cadre de l'enquête sur les explosions du port. C'est dans ce contexte que Saad Hariri s'était entretenu mercredi avec le patriarche maronite Mgr Béchara Raï. Le prélat s'est ensuite rendu au palais présidentiel de Baabda vendredi, pour échanger avec le chef de l'Etat, et a reçu à Bkerké le gendre de celui-ci, le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil. Une source informée contactée par L’Orient-Le Jour croit savoir que la rencontre Raï-Bassil s’est déroulée dans une atmosphère tendue.
Le 1er septembre, lors de son deuxième séjour au Liban après un déplacement le 6 août à Beyrouth, deux jours après la gigantesque explosion meurtrière du port de la capitale,, le président français, Emmanuel Macron, avait annoncé une feuille de route pour une sortie de crise au Pays du Cèdre. Ce document prévoit entre autre la formation d'un gouvernement de "mission" composé d'experts. L'initiative française est plus que jamais dans l'impasse, voire enterrée, selon certains observateurs. Le président Macron, qui était attendu le 22 décembre à Beyrouth, pour tenter encore une fois de débloquer la situation, a du renoncer à son déplacement après avoir été testé positif au coronavirus jeudi.
Séance législative
Concernant la séance législative du Parlement qui doit se tenir lundi, et à l'ordre du jour de laquelle figure plus d'une soixantaine de textes de lois, certains à caractère de double-urgence, Samir Geagea a par ailleurs fait savoir que son parti allait y participer.
"Nous allons participer à la séance car celle-ci débattra de questions qui intéressent la population, comme la proposition de loi sur la levée du secret bancaire afin d'aider la mise en place d'un audit juricomptable (au sein de la Banque du Liban), ou encore la prolongation du contrat d'Electricité de Zahlé", a affirmé M. Geagea. Enfin, le leader chrétien a dit être "contre le fait de toucher aux réserves obligatoires au sein de la BDL", cette question se posant à la lumière du coût élevé des subventions assurées par la banque afin de palier la dévaluation vertigineuse de la livre libanaise. "Les subventions, telles qu'elles ont été mises en place depuis un an, sont un crime. Toute subvention doit cibler les familles dans le besoin, à travers des cartes", a estimé le chef des FL, alors que les autorités planchent sur une "rationalisation" des subventions des matières de première nécessité (blé, fuel, médicaments) et de certains équipements, notamment médicaux.
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Il ne faut pas oublier que Michel Aoun n'a pas été élu président de la République en octobre 2019 (intifada populaire), et encore moins en août 2020 (explosion du port), mais en octobre 2016. Il était alors le leader le plus populaire chez les chrétiens. Si Samir Geagea n'avait pas appuyé Michel Aoun, il y a fort à parier que Soleïman Frangieh aurait été élu président.
Youssef Najjar
00 h 38, le 21 décembre 2020