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Société - Éclairage

Au Liban, la crise n’épargne pas les islamistes

Les pétromonarchies du Golfe ont fermé les robinets qui permettaient de financer les activités associatives des mouvements religieux sunnites.

Au Liban, la crise n’épargne pas les islamistes

Un drapeau islamiste durant les manifestations devant la Résidence des Pins, le 30 octobre 2020. Joseph Eid/AFP

On se croirait presque dans la célèbre bataille d’Ohod en 625, avec ses fanions noirs flottant dans le vent et un cavalier, armé d’une épée, s’apprêtant à lancer l’offensive. En ce vendredi 30 octobre 2020, des convois surmontés de banderoles noires sur lesquelles est écrit « À tes ordres, ô Mahomet », avancent vers la Résidence des Pins à Beyrouth, en réponse à l’appel du Hezb al-Tahrir, pour protester contre la republication en France des caricatures de Mahomet.

Les images de ces convois provoquent la stupéfaction générale. Quel est ce parti, semblant sorti de nulle part, qui appelle à l’instauration d’un califat au Liban ? Et ce rassemblement est-il le signe d’un regain des mouvements islamistes sur la scène locale, alors que la crise économique qui frappe le Liban peut faire le jeu des groupes radicaux ?

La force des images contraste avec le caractère quasi anecdotique de l’évènement. Quelques manifestants seulement battent le pavé, les autres courants islamistes ayant refusé de prendre part au mouvement. Le Hezb al-Tahrir, né d’une scission avec les Frères musulmans dans les années 1950, entretient des relations on ne peut plus froides avec le Conseil des ulémas qui regroupe l’ensemble des courants et partis islamistes au Liban. En cause ? Ses positions radicales. Le parti refuse catégoriquement de reconnaître les frontières du Liban et son existence en tant que pays. Il rejette les notions de citoyenneté, de démocratie ou de droit positif. Seul le califat l’intéresse, le pays du Cèdre n’étant que la « wilayet du Liban ».

Si le Hezb al-Tahrir prend autant d’espace ce jour-là, c’est que les groupes islamistes et salafistes qui animent traditionnellement la scène libanaise subissent la crise de plein fouet. Les caisses sont vides et le climat général, pour le moment, n’est pas à leur avantage.

Tripoli, décembre 2020. On ne perçoit aucun drapeau ou symbole des partis politiques ou des mouvements religieux dans toute la ville, dont la réputation a longtemps souffert de la présence de ces mouvements. « Tripoli a changé de visage, les islamistes n’osent plus se montrer », affirme Salim, un septuagénaire, assis dans un café traditionnel. Ici, il y a eu et un avant et un après la thaoura.

Le Hezb al-Tahrir, qui avait tenté de s’infiltrer dans les manifestations populaires lancées le 17 octobre 2019, en brandissant ses étendards noirs, a été chassé manu militari par les révolutionnaires de la place al-Nour, où seul le drapeau libanais avait droit de cité. Si les autres groupes islamistes y ont pris part, c’est en se fondant dans la masse et sans mettre en avant leurs allégeances.

Tripoli, alias « la fiancée de la révolution », devient, pendant un temps, un symbole du vivre-ensemble. « Jamais je n’aurais cru me retrouver dans une situation pareille : nous marchions dans les rues, main dans la main, Libanais de tous bords, de toutes confessions confondues, dans un esprit de patriotisme et de citoyenneté, pour atteindre un but commun », se souvient le cheikh Mohammad Hammoud, un religieux actif sur le plan de l’éducation et de la prédication. « C’était une occasion unique pour les groupes islamistes de vivre pleinement leur religion en combattant la corruption et l’injustice », poursuit ce presque quadragénaire issu de l’université al-Azhar, habillé en civil, en se remémorant ces moments de communion. « Ces objectifs auraient pu être un point en commun important si les islamistes avaient eu la volonté de s’unir, ce qu’ils n’ont pas fait », déplore-t-il toutefois.

Pour mémoire

« Nous voulons un État islamique », crient des islamistes devant l’ambassade de France

Au sein des partis et organisations islamistes, des dissensions se font alors sentir. Certains salafistes refusent de prendre part au mouvement, jugeant les chants et les danses des révolutionnaires contraires à la religion. Membre du Comité des ulémas musulmans et figure de proue du mouvement salafiste, le cheikh Salem Raféï botte en touche : « Nous avons décidé de ne pas participer aux manifestations pour ne pas nuire au mouvement révolutionnaire d’une part, et pour ne pas nous confronter avec les protestataires de l’autre », dit-il à L’Orient-Le Jour.

« Oui, c’est vrai que le Hezbollah nous finance »

Le fait est que ces mouvements religieux sont aujourd’hui en perte de vitesse. Leur capacité d’influence reposait en grande partie sur leurs activités associatives, dans les écoles ou les hôpitaux, financées par leurs parrains du Golfe. Un rôle d’autant plus important en période de crise économique, et ce d’autant plus que l’État n’est pas en mesure de répondre aux besoins des citoyens. Mais un rôle qu’ils ne sont plus en mesure de jouer depuis que les robinets ont été fermés. Les pays du Golfe, aux premiers rangs desquels l’Arabie saoudite, ont tourné le dos au Liban, qu’ils considèrent être sous la coupe du Hezbollah. La guerre idéologique menée par l’axe saoudo-émirati contre les Frères musulmans a également contribué à assécher les ressources des groupes appartenant à cette galaxie au Liban. La récente politique de normalisation entre les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël a posé le dernier clou dans leur cercueil, contraignant ces associations à fermer boutique ou à revoir leurs modes de financement pour survivre.

« Pour ces associations, les défis se sont multipliés ces cinq dernières années, alors que la situation économique se dégradait au Liban, que les crises se multipliaient dans la région et qu’une politique de restriction sévère s’installait pour contrer le financement du terrorisme », confirme le cheikh Bassam al-Tarrass, ancien mufti de Rachaya. Sans rentrées régulières mais surtout stigmatisées politiquement et médiatiquement, ces mouvances se sont réduites comme peau de chagrin, certaines se voyant même contraintes de mettre la clef sous la porte à cause de leurs dettes. L’ampleur des services associatifs octroyés par ces groupes a diminué contraignant leurs directions à licencier en masse. « Certaines associations islamistes ont procédé à un changement de nom, sans connotation religieuse, afin de pouvoir attirer de nouveau les financements étrangers d’où qu’ils viennent », confie un cheikh sous couvert d’anonymat. D’autres partis islamistes sunnites subissent moins la crise en raison d’une proximité de longue date avec le Hezbollah et l’Iran. C’est notamment le cas du Mouvement d’unification islamique et de l’Union des chercheurs de la résistance. Le chef de ce parti de Saïda, le cheikh Maher Hammoud, ne s’en cache pas : « Oui, c’est vrai que le Hezbollah nous finance », dit-il à L’OLJ sans rentrer plus dans les détails.

La dynamique a changé de camp. La guerre en Syrie est passée par là et a sapé le moral de ces mouvements qui espéraient en finir avec le régime alaouite et ses soutiens chiites. « Les salafistes libanais partis combattre en Syrie en sont revenus dépités après avoir constaté que les sunnites se massacraient entre eux », explique, sous couvert d’anonymat, un cheikh résident à Tripoli. La Turquie, qui tente de combler en partie le vide laissé par les Saoudiens au Liban, en grappillant du terrain dans le Nord, entretient de bonnes relations avec ces mouvements, sans pour autant les financer pour le moment. « Erdogan est devenu le sauveur des factions sunnites au Liban. Même s’il ne fournit aucun soutien matériel, l’intervention turque en Syrie et en Libye et la réduction de l’expansion chiite contribuent à galvaniser les troupes », résume le cheikh Saleh Hamid, à la tête de l’Association Pensée et Vie et membre du Centre pontifical pour le dialogue interconfessionnel de l’État du Vatican.

On se croirait presque dans la célèbre bataille d’Ohod en 625, avec ses fanions noirs flottant dans le vent et un cavalier, armé d’une épée, s’apprêtant à lancer l’offensive. En ce vendredi 30 octobre 2020, des convois surmontés de banderoles noires sur lesquelles est écrit « À tes ordres, ô Mahomet », avancent vers la Résidence des Pins à Beyrouth, en réponse à...

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Ca nous manque que ça.

Eleni Caridopoulou

17 h 08, le 16 décembre 2020

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Commentaires (1)

  • Ca nous manque que ça.

    Eleni Caridopoulou

    17 h 08, le 16 décembre 2020

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