
"Mon gouvernement a fait ça", peut-on lire sur un graffiti peint devant le port dévasté de Beyrouth, le 11 août 2020, quelques jours après la double explosion meurtrière. Photo REUTERS/Hannah McKay
Le président libanais, Michel Aoun, n'est "pas intervenu, ni de près ni de loin dans l'enquête" en cours sur les explosions du port de Beyrouth, a affirmé samedi le bureau de presse du palais de Baabda, deux jours après l'inculpation du Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, et de trois anciens ministres. Ces mises en accusation ont été dénoncées par les partis dont sont membres ces responsables ainsi que par plusieurs personnalités sunnites qui ont estimé que le poste de président du Conseil (qui est toujours issu de la communauté sunnite) était visé.
"Le président Aoun n'est pas intervenu ni de près ni de loin dans l'enquête que mène le juge d'instruction près la cour de justice concernant l'explosion criminelle", a écrit le bureau de presse du palais présidentiel dans un communiqué, publié quelques heures après des déclarations quasiment identiques faites par le directeur de la communication de Baabda, Rafic Chléla, à la radio. Le chef de l'Etat a "appelé à plusieurs reprises à accélérer" l'enquête afin que soient éclaircies "toutes les circonstances de ce crime" et que les responsables soient identifiés, ajoute le texte, soulignant que cela est important vis-à-vis des familles des victimes et des blessés. Le texte précise encore que ce dossier n'a pas été abordé lors d'une réunion avec une délégation du Conseil supérieur de la magistrature, qui a eu lieu mardi. "Tout ce qui a été diffusé concernant une demande du président Aoun d'intervenir dans l'enquête est donc mensonger", souligne le texte.
Le bureau de presse revient par ailleurs sur le fait que le chef de l'Etat avait eu vent de la présence du nitrate d'ammonium, à l'origine de la déflagration, dans le port, après avoir reçu, le 21 juillet, un rapport de la Sécurité de l'Etat à ce sujet. "Le président Aoun avait alors immédiatement demandé à son conseiller pour les questions sécuritaires et militaires de suivre cette affaire avec le secrétaire général du Conseil supérieur de défense, ce qui a été fait", se défend Baabda. Le Conseil supérieur de la défense avait alors annoncé, le 28 juillet, qu'il "s'occupait de résoudre ce problème et avait envoyé une lettre à cet effet à la présidence du Conseil le 3 août", à la veille de la double explosion meurtrière, précise le texte.
Le Courant patriotique libre, dirigé par le député Gebran Bassil et fondé par le président Aoun, a de son côté apporté son soutien au chef de l'Etat, se disant "contre toute entrave au travail de la justice". "Nous sommes contre l'atteinte à la présidence du Conseil ou tout autre poste officiel. Nous sommes également contre le fait que certains se prémunissent de toute reddition de comptes au prétexte de leur appartenance communautaire (...)", a affirméi la formation aouniste.
Inquiétude et étonnement
De son côté, le Conseil supérieur islamique chérié, instance sunnite présidée par le mufti de la République Abdellatif Deriane, a exprimé son "inquiétude concernant les raisons sous-jacentes au retard de l'annonce des résultats de l'enquête" et son "étonnement" par rapport aux inculpations lancées par le juge en charge de l'enquête, Fadi Sawan. Ces procédures "posent de nombreuses questions et violent toutes les règles et lois, ainsi que les dispositions de la Constitution en ce qui concerne le poste de Premier ministre". "Toute attaque contre la fonction de Premier ministre porte atteinte à tous les Libanais", a ajouté le Conseil chérié, dénonçant des "volontés politiques de cibler la présidence du Conseil".
Jeudi, plus de quatre mois après la double explosion meurtrière du port, les premières inculpations de responsables politiques ont été annoncées dans l'enquête du juge Sawan. Sont visés le Premier ministre sortant et les anciens ministre des Finances Ali Hassan Khalil, et des Travaux publics Youssef Fenianos et Ghazi Zeaïter. Depuis, les critiques se multiplient à l'encontre du juge Sawan et le dossier a pris un aspect politique et confessionnel.
"L'Etat dans sa totalité"
Réagissant de son côté à cette polémique, le chef des Forces libanaises Samir Geagea a réitéré son appel à la création d'une "commission d'enquête internationale" qui serait chargée d'établir les responsabilités dans l'affaire des explosions meurtrières au port de Beyrouth, estimant que "l'État dans sa totalité" est responsable de cette catastrophe.
"Tout le monde a vu comment l'enquête sur le drame du port est devenue amère ces derniers jours, et cela était attendu", a affirmé M. Geagea lors d'une réunion avec des cadres FL de Beyrouth. Il a souligné que cela est dû au fait que "la responsabilité incombe à l'État dans sa totalité, étant donné que de nombreuses administrations, institutions de sécurité et organisations sont liées, directement ou indirectement, pendant six ans à ce dossier".
Les 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium qui ont explosé le 4 août se trouvaient dans le hangar 12 du port de Beyrouth depuis 2014, et étaient stockées selon les autorités sans mesure de précaution. Plusieurs avertissements avaient été lancés à ce propos au cours des dernières années jusqu'en juillet, sans qu'aucune disposition ne soit prise pour évacuer de manière sécurisée ces matières. "On peut difficilement imaginer le nombre de responsables officiels qui sont liés à ce crime", a-t-il ajouté.
Commission d'enquête internationale
Dans ce cadre, le leader chrétien a rappelé avoir réclamé "depuis les premiers moments" qui ont suivi la double déflagration une "commission d'enquête internationale". "Malheureusement, le premier à s'opposer à cette demande a été le Hezbollah. Une enquête menée au niveau local ne pourra pas permettre de découvrir la vérité, et les réactions de ces deux derniers jours en sont la preuve", a-t-il souligné. M. Geagea a dès lors appelé le chef de l'État et le gouvernement démissionnaire à "envoyer une lettre au Conseil de sécurité de l'ONU, via un pays membre permanent", afin qu'une telle commission d'enquête internationale soit mise sur pied. "Ce sera la seule façon possible de découvrir la vérité", a-t-il insisté.
La semaine dernière, Samir Geagea avait déjà affirmé qu’au cas où l’enquête locale sur la double explosion n’aboutissait pas à des résultats convaincants, son parti essaierait à tout prix de saisir la Cour pénale internationale.
De son côté, le vice-président du parti Kataëb, Georges Jreije, a estimé qu'il ne faut pas que dans l'enquête "les grands soient protégés et les petits obligés de payer le prix". "Personne ne peut faire l'objet d'exception, de la base jusqu'au sommet de la pyramide" du pouvoir, a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.
Pour sa part, Ali Hassan Khalil a réitéré son engagement et celui du groupe parlementaire du mouvement Amal à ce que la vérité soit établie et que les "peines les plus sévères" soient imposées aux responsables. "Les mises en accusation" de jeudi "ne se basent sur aucun fondement constitutionnel et judiciaire", a-t-il toutefois estimé.
La double explosion du 4 août a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés et a dévasté des quartiers entiers de la capitale. Dans cette affaire, une grande partie de l'opinion publique a pointé du doigt les dirigeants et les hommes politiques, quasi-inchangés depuis des décennies et accusés de corruption et d'incompétence. Les autorités ont rejeté le recours à une enquête internationale malgré les appels en ce sens, mais des experts français et du FBI américain ont participé à l'enquête préliminaire dans le cadre de l'enquête locale.
Le président libanais, Michel Aoun, n'est "pas intervenu, ni de près ni de loin dans l'enquête" en cours sur les explosions du port de Beyrouth, a affirmé samedi le bureau de presse du palais de Baabda, deux jours après l'inculpation du Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, et de trois anciens ministres. Ces mises en accusation ont été dénoncées par les partis dont sont...
commentaires (10)
"Baabda se défend de toute ingérence dans l'enquête". Mais refuser une enquête transparente et impartiale est déjà une ingérence.
Yves Prevost
07 h 42, le 13 décembre 2020