Rechercher
Rechercher

Société - Explosions du port

Handicapés à vie et encore sous le choc : ces oubliés du 4 août

Un sit-in a été organisé jeudi sous le pont de Basta afin de réclamer le statut de handicapés de l’armée libanaise pour les personnes atteintes par la double déflagration du port de Beyrouth.

Handicapés à vie et encore sous le choc : ces oubliés du 4 août

Le sit-in jeudi dernier organisé par l’Union libanaise des personnes à handicap physique, pour dénoncer la marginalisation des personnes handicapées. Photo LPHU

Elle s’apprêtait pour le mariage de sa nièce. Elle devait encore se doucher et s’habiller, pour rejoindre ses enfants qui l’avaient devancée. Il était 18h7. C’était le 4 août 2020. Et puis ce fut le néant. L’horreur plutôt pour Fatima Jaber qui a eu l’avant-bras droit arraché, le nez et le pied cassés. Cette habitante de la Quarantaine, 51 ans, divorcée, mère de quatre adolescents qu’elle élève seule, a tout perdu depuis l’explosion dans le port de Beyrouth de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockés dans des conditions déplorables. Son travail dans une école qui a fermé ses portes, ses économies soufflées avec toutes ses affaires dans son appartement de location, sa santé puisqu’elle souffre le martyre, avec en plus une fibrose pulmonaire, des maux de tête terribles, des oublis à répétition et une forte dépression. « Avec un bras en moins, je ne sais même plus m’habiller seule. Comment vais-je m’en tirer sans revenu et criblée de dettes, avec quatre enfants entre 14 et 19 ans qui doivent poursuivre leur éducation? » demande-t-elle. Fatima remercie le ciel que ses enfants n’aient pas été là au moment de la déflagration. Mais depuis le drame, malgré l’aide de sa sœur qui l’a hébergée provisoirement et le soutien ponctuel d’associations caritatives, elle se sent « oubliée d’un État qui n’a fait que mentir à la population », et dont elle dit « ne plus rien attendre ». « L’État est aux abonnés absents. Qu’a-t-il fait pour nous à part détruire la moitié de la capitale? » poursuit-elle. En même temps, elle attend des autorités qu’elles lui versent « un salaire mensuel en guise d’indemnisation », comme à toutes les personnes handicapées depuis ce jour-là. « Je continue à subir des interventions chirurgicales, dit-elle des sanglots dans la gorge. Que Dieu me vienne en aide ! »

Entre 800 et 1 000 personnes handicapées par l’explosion

Le 27 novembre, le Parlement adoptait un texte de loi prévoyant de donner aux victimes décédées après la double explosion au port le statut de « martyrs de l’armée libanaise ». Un statut qui permet à leurs familles de bénéficier des mêmes indemnités que celles prévues pour les proches des milliaires tués dans l’exercice de leurs fonctions. Les personnes handicapées par la déflagration devront, elles, se contenter de se voir accorder à vie les prestations de santé de la Caisse nationale de Sécurité sociale, comme d’ailleurs les 6 500 blessés de Beyrouth. Elles pourront aussi « profiter de la loi relative aux personnes à besoins spécifiques », a annoncé le chef de l’État Michel Aoun, qui signait jeudi dernier la loi 196 dans ce sens. Sauf que la loi 220 qui a accordé en 2000 leurs droits aux handicapés du Liban en matière d’éducation, de travail, de santé, d’accessibilité… n’a jamais été appliquée. Pas plus que la convention onusienne relative aux droits des personnes handicapées et son protocole facultatif, signés tous deux par les autorités libanaises mais jamais ratifiés.

Lire aussi

Son époux est toujours porté disparu, mais elle sait qu’il ne reviendra plus...


La situation de Georges Bou Chrouch, 42 ans, époux et père de trois enfants en bas âge, n’est pas meilleure. « Je sortais à peine de l’atelier de confection de modèles pour les bijoux en or où je travaille, en face de la Quarantaine, lorsque ma vie a basculé », raconte-t-il. Rendu sourd par le souffle de l’explosion, l’homme souffre aussi d’une hypoxie cérébrale. « J’ai constamment besoin d’oxygène, surtout la nuit », raconte-t-il. Georges ne sait pas encore si son atteinte est réversible ou non. Mais son quotidien en est totalement bouleversé. « Je ne peux pas travailler. Je n’arrive pas à me concentrer. Je ne peux même plus conduire parce qu’il m’arrive de m’endormir subitement », déplore-t-il. Et pour couronner le tout, cet employé a perdu son travail. « Le propriétaire de l’atelier a fermé boutique. Tout était dévasté. Plutôt que de reconstruire, il a déménagé en Grèce. Il faut aussi dire qu’en cette période de crise économique, le travail était nul. » Soigné par la Croix-Rouge libanaise, soutenu par l’Union libanaise pour les personnes atteintes de handicap physique (LPHU) qui lui fournit l’oxygène, Georges peut aussi compter sur la solidarité familiale. Comparé à d’autres, il se dit « chanceux ». Il n’en reste pas moins que les autorités n’ont pas répondu à ses sollicitations, pas plus qu’à celles des 6 500 personnes touchées dans leur chair. « Parmi elles, entre 800 et 1 000 personnes souffrent désormais de handicap, estime Sylvana Lakkis, présidente de l’association. Et leurs histoires sont douloureuses. »

Pour que leurs voix soient entendues

C’est dans ce cadre que jeudi dernier, à l’occasion de la Journée mondiale du handicap qui survenait quatre mois après le drame, mais aussi de la Journée nationale de l’inclusion, que les handicapés de l’explosion du port se sont mobilisés pour interpeller l’État et réclamer « le statut de handicapés de l’armée ». À l’initiative de la LPHU, ils ont organisé un sit-in sous le pont de Basta à Beyrouth, en mémoire de Toufic Khawam qui s’était immolé par le feu au même endroit en 2015. « Cet homme handicapé entendait alors protester contre l’inadmissible condition des personnes handicapées au Liban », rappelle Mme Lakkis. « Six ans plus tard, les choses sont encore pires », déplore-t-elle. Au cœur de la manifestation, Georges Bou Chrouch, mais aussi Habib Abdel Massih, blessé dans son épicerie à Mar Mikhaël. « J’ai eu les trois tendons du pied sectionnés », dit-il. Après une intervention chirurgicale et des séances de physiothérapie, ce père de famille va mieux, mais sa « jambe est encore fragile ». « Jamais jusque-là je ne m’étais penché sur les droits des personnes handicapées. Tant de gens de mon quartier sont devenus aveugles ou cloués à vie sur un fauteuil depuis le funeste 4 août, fulmine-t-il. C’est pour que leurs voix soient entendues que j’ai rejoint le sit-in. »

Lire aussi

Le parcours du combattant des proches des victimes pour obtenir justice

« Nous réclamons que les handicapés de l’explosion obtiennent le statut de handicapés de l’armée. Ils ont été victimes d’un crime », martèle Sylvana Lakkis. Assurément, la revendication a pour objectif de dire « le manque de confiance des participants dans les promesses vaines des autorités d’enregistrer les personnes handicapées et les blessés du 4 août à la CNSS ». « Sans les ONG, les blessés des explosions de Beyrouth n’auraient pas été soignés. Personne ne les a regardés, surtout pas l’État », assure l’activiste. Elle rappelle à ce titre qu’après les soins d’urgence, les personnes handicapées doivent aujourd’hui « frapper à toutes les portes » lorsqu’elles ont besoin d’équipements médicaux, de prothèses ou autres. Sans oublier que dans le drame, elles ont aussi perdu leur logement et leur travail. La loi 220 est pourtant en vigueur. Elle stipule entre autres l’accès aux services de santé pour les personnes atteintes de handicap, leur réintégration à l’école, à l’université, dans le monde professionnel. « Tout cela n’est que bobards ! » répond Sylvana Lakkis.

Elle s’apprêtait pour le mariage de sa nièce. Elle devait encore se doucher et s’habiller, pour rejoindre ses enfants qui l’avaient devancée. Il était 18h7. C’était le 4 août 2020. Et puis ce fut le néant. L’horreur plutôt pour Fatima Jaber qui a eu l’avant-bras droit arraché, le nez et le pied cassés. Cette habitante de la Quarantaine, 51 ans, divorcée, mère de quatre...

commentaires (1)

"l’explosion dans le port de Beyrouth de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockés......" .... Des centaines de morts, des milliers d' handicapés, martyrs vivant d'un pays kidnappé, des centaines de milliers rendus sans abris... On blâme des soudeurs, l'aviation israélienne, tout ça c'est de la tromperie! Qui a amené 2750 tonnes de matières explosive? Qui a su? Qui s'est tu? Qui s'est fait assassiner pour avoir trop fait son travail??? ...on le sait tous grâce à des valeureux journalistes qui ont déjà découvert la vérité alors que la justice traîne le pas car immobilisée par ces mêmes importateurs assassins! Ces martyrs vivant ont le droit à la vérité totale!!! Bayrouth, La Mère des Lois, a le droit à la justice!!

Wlek Sanferlou

13 h 06, le 07 décembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • "l’explosion dans le port de Beyrouth de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockés......" .... Des centaines de morts, des milliers d' handicapés, martyrs vivant d'un pays kidnappé, des centaines de milliers rendus sans abris... On blâme des soudeurs, l'aviation israélienne, tout ça c'est de la tromperie! Qui a amené 2750 tonnes de matières explosive? Qui a su? Qui s'est tu? Qui s'est fait assassiner pour avoir trop fait son travail??? ...on le sait tous grâce à des valeureux journalistes qui ont déjà découvert la vérité alors que la justice traîne le pas car immobilisée par ces mêmes importateurs assassins! Ces martyrs vivant ont le droit à la vérité totale!!! Bayrouth, La Mère des Lois, a le droit à la justice!!

    Wlek Sanferlou

    13 h 06, le 07 décembre 2020

Retour en haut