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Les bouchées doubles

Faudra-t-il un jour remercier l’outrecuidant Mohammad Fahmi pour l’une au moins, une seule, de toutes ces bombes verbales qu’il se plaît à lancer sur les plateaux de télé ? Entre autres énormités, le ministre de l’Intérieur, militaire retraité, a cru bon de reconnaître avoir abattu deux hommes durant la guerre, puis d’avoir bénéficié de la protection de son supérieur de l’époque, et actuel président de la République, le général Michel Aoun. Il a renvoyé les femmes libanaises à leurs fourneaux. Et tout récemment, il soutenait que 95 % des juges sont corrompus, tout en se glorifiant de sa propre honnêteté.

Oups ! c’en était une de trop, et le ministre a tout de même dû répondre de ses dires devant le procureur général près la Cour de cassation. Mais surtout, cette singulière affaire d’outrage massif à magistrats semble avoir eu un salutaire effet d’aiguillon dans plus d’une somnolente salle de tribunal. On a même eu droit, ces derniers jours, à une jolie paire de premières. Lundi, une juge de Beyrouth octroyait ainsi un non-lieu à un groupe de manifestants accusés de vandalisme pour avoir œuvré à éliminer les obstacles dressés par la répression policière devant le Parlement. Mieux encore : si ces activistes se trouvaient dans la rue, statuait-elle, c’est parce qu’ils exerçaient ces mêmes droits fondamentaux dont prétend les priver la caste dirigeante. Rien, en vérité, ne pouvait mieux rendre justice aux milliers de manifestants sauvagement rossés par la force publique que le spectacle d’une courageuse juge quittant ces sentiers que l’on dit, eux aussi, battus…

Encore plus spectaculaire sont les poursuites sans précédent engagées, pour enrichissement illicite, contre huit militaires de haut rang, dont un ancien commandant de la troupe. Pourquoi commencer par l’armée ? Parce qu’il faut bien commencer quelque part, répondront les bonnes âmes. Tout n’est pas si simple toutefois, puisque le parquet s’est ébranlé au vu de documents bancaires produits, sur la chaîne du courant présidentiel, par un avocat proche de cette formation. Voilà qui pourrait suffire pour donner à une salutaire campagne contre la corruption de fâcheux relents de règlement de comptes.

Ce n’est certes pas pour défendre les officiers suspectés, mais on peut (se) demander ce que peuvent peser les quelques malheureux millions en jeu face aux dizaines de milliards barbotés par des dirigeants politiques. Pourquoi, de même, la machine judiciaire ne se saisit-elle pas des incroyables abus commis dans nombre de ministères et qui sont tous les jours relevés – et révélés avec un luxe de détails – par les autres chaînes de télévision ? Pour en rester aux taches de graisse maculant certains uniformes, le tribunal militaire, sans doute sensible au soudain vent de célérité, clôturait hier même une procédure vieille de quatre ans en condamnant 21 officiers et sous-officiers des Forces de sécurité intérieure pour dilapidation de fonds publics. Mais qu’en est-il des hauts gradés de la police et de la gendarmerie impliqués (depuis des années eux aussi) dans la protection de réseaux de prostitution et de trafic de drogue et qui, à leur tour, demeurent les protégés de la mafia politique ?

Pour bienvenu que soit le coup d’accélérateur que vient de donner la magistrature, il ne saurait faire oublier l’extrême, l’inexplicable, l’injustifiable et finalement la suspecte lenteur de l’enquête sur l’épouvantable explosion survenue il y a plus de quatre mois déjà dans le port de Beyrouth. 200 morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers de citoyens déplacés de leurs habitations saccagées et une opinion publique en proie aux suspicions les plus graves : tout cela ne souffre, que diable, aucune sorte d’atermoiement. Plus on fait traîner le dossier et plus s’envenime un climat politique déjà plus que malsain.

Plus on laisse mariner la vérité et plus de bruit elle fera à la fin.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Faudra-t-il un jour remercier l’outrecuidant Mohammad Fahmi pour l’une au moins, une seule, de toutes ces bombes verbales qu’il se plaît à lancer sur les plateaux de télé ? Entre autres énormités, le ministre de l’Intérieur, militaire retraité, a cru bon de reconnaître avoir abattu deux hommes durant la guerre, puis d’avoir bénéficié de la protection de son supérieur de...