Il a commencé par raconter son entrevue samedi avec le pape. L’objectif était d’attirer son attention sur la gravité de la situation libanaise. Le souci du patriarche est d’éviter que le Liban soit « un espace de tiraillements ou une carte pour des compromis ou pour du chantage », dans le cadre des bras de fer qui se jouent actuellement dans la région et dans le monde. En même temps, il a voulu expliquer à François la situation économique dramatique et ses conséquences sur les jeunes.
Il lui a également remis un mémorandum que Bkerké a préparé au sujet du « Liban et de la neutralité active ». « Nous ne voulons pas rejeter sur lui la responsabilité de régler la crise actuelle, a précisé le patriarche, mais simplement solliciter son aide, en raison de l’autorité morale du Vatican dans le monde, bien qu’il ne possède pas de missiles. »
Le cardinal Raï a expliqué aux jeunes que « la neutralité active n’est pas un nouveau projet, elle s’inscrit au cœur de l’identité libanaise. C’est d’ailleurs ce que j’ai personnellement vécu pendant des années, lorsque le Liban était prospère. La raison de cette prospérité est que le Liban était neutre ». Selon lui, le Liban est un espace de dialogue. Il doit aussi bénéficier d’une souveraineté interne et externe. Sur le plan interne, la souveraineté exige, selon lui, qu’il y ait une seule armée et des forces de l’ordre dans le cadre de l’État. D’ailleurs, l’article 65 de la Constitution exige les deux tiers des voix des ministres pour la décision de la guerre ou de la paix. « Or, a-t-il dit, actuellement au Liban, il y a plusieurs mini-États. Le président de la République a même parlé de mini-Républiques... »
L’État n’a pas aidé les Libanais
Selon le patriarche, « la plus grande partie de nos problèmes viennent du fait que nous mettons de côté notre Constitution et nous passons notre temps à ne pas la respecter ». Tous les gouvernements, dans leurs déclarations ministérielles, reconnaissent la nécessité de se tenir à l’écart des conflits, a-t-il noté. Selon lui, « cela fait partie de notre culture ». Il a raconté que lors de sa visite au Liban, le pape Jean-Paul II avait déclaré : « Le Liban est un pays microscopique, mais son rôle est immense. Ce qui vous a sauvés de la guerre, c’est votre culture de la vie et votre ouverture à l’autre. » « Quel que soit le mot utilisé, a précisé le patriarche, cela reste une forme de neutralité. J’en avais parlé en 2012. Mais cela n’avait suscité aucune réaction. Lorsque j’ai repris cette idée le 5 juillet, c’est devenu un sujet polémique. Mais pour moi, ce n’est ni un projet ni une initiative. C’est une identité, et c’est même le retour du Liban au Liban. »
Bkerké a donc rédigé un livret pour expliquer ce qu’il entend par neutralité active. La démarche prévoit de l’expliquer aux Libanais, puis de faire du lobbying à l’étranger et enfin de recourir au Conseil de sécurité. Mgr Raï a indiqué qu’il en parle lui-même avec ses visiteurs, notamment les ambassadeurs. Même l’ambassadeur d’Iran ? « Oui, bien sûr », a-t-il répondu. Il a précisé lui avoir rappelé que son pays avait voté il y a deux ans en faveur de l’Académie de l’homme pour la rencontre et le dialogue qui avait été proposée par le président Michel Aoun et qui avait été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU. « Cette académie, a-t-il ajouté, s’inscrit dans l’esprit de la neutralité active. »
Et le Hezbollah ? Le patriarche a répondu qu’il n’a pas pris officiellement position, mais des personnes de son entourage ont été critiques. « Nous aurions souhaité les voir pour en discuter directement. J’ai même envoyé un message en ce sens. Mais je n’ai pas obtenu de réponse... » Le patriarche a insisté sur le fait que la neutralité active n’est pas dirigée contre le Hezbollah. Elle repose simplement sur l’État souverain. Le Liban, selon lui, aime le dialogue. « Mais aujourd’hui personne ne lui parle. D’ailleurs, après la tragédie du 4 août, le monde entier s’est empressé d’aider les Libanais, mais pas l’État... »
Le fédéralisme n’est pas une solution
« Ce pays est à nous. Nous devons y rester attachés. Au cours des cent dernières années, nous avons traversé des situations plus graves, nous avons même été sous la botte, mais nous nous en sommes toujours sortis... » a-t-il ajouté, disant placer beaucoup d’espoirs dans la révolution. Mais il faut, selon lui, savoir où on va. « Je ne veux pas que la révolution s’arrête, a-t-il dit, elle représente l’espoir, mais il faut aussi avoir un projet et ne pas se contenter de rejeter la classe politique actuelle et de fermer les routes.» « Il faut préparer les prochaines élections, mais pour l’instant, chacun travaille de son côté », a-t-il déploré. À la question de savoir si le fédéralisme est une solution valable pour le Liban, le patriarche maronite a répondu que « ce n’est pas une solution » et qu’il faudrait « commencer par appliquer la décentralisation administrative qui existe dans Taëf ». « Il faut cesser, a-t-il dit, de n’appliquer que ce qui nous convient. »
Sur l’idée de convier les chefs de file chrétiens à une réunion à Bkerké, il a déclaré qu’il a essayé à plusieurs reprises de le faire, sans succès. « Malheureusement, a-t-il ajouté, les conflits personnels sont plus forts que le reste. » Affirmant s’opposer aux appels à la démission du président de la République, il a enfin souligné que l’État libanais n’était pas religieux. Il est laïc. « Ce sont les politiciens qui l’ont transformé en État confessionnel, a-t-il dit. Ce qu’il faudrait, c’est revenir à ce que disait le patriarche (Élias) Hoayek : “Ma confession, c’est le Liban.” »
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Pour que soit formé un gouvernement, il faut d'abord un peuple uni : qui ne soit pas le résultat d'une création volontaire arbitraire, basée sur une neutralité même active. Le mandat ou la tutelle compense ce manque, mais le partage de la corruption empêche jusqu'à présent, la formation d'un véritable Etat de droit, au nom de l'égalité de toutes les communautés religieuses, sans reconnaissance de la vraie foi et sans en venir à une séparation stricte du religieux du domaine laïc. La foi catholique maronite ne confond pas les deux domaines, mais les distingue sans les séparer, ce qui est le cas de la France, depuis la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905;Pour que soit formé un gouvernement, il faut d'abord un peuple uni : qui ne soit pas le résultat d'une création volontaire arbitraire, basée sur une neutralité même active. Le mandat ou la tutelle compense ce manque, mais le partage de la corruption empêche jusqu'à présent, la formation d'un véritable Etat de droit, au nom de l'égalité de toutes les communautés religieuses, sans reconnaissance de la vraie foi et sans en venir à une séparation stricte du religieux du domaine laïc. La foi catholique maronite ne confond pas les deux domaines, mais les distingue sans les séparer, ce qui est le cas de la France, depuis la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905. La paix publique n'a été possible qu'à ce prix.
dintilhac bernard
18 h 39, le 02 décembre 2020