La Banque mondiale (BM) a déploré mardi une "dépression économique délibérée" au Liban, épinglant ainsi de manière claire les politiques adoptées par les autorités d'un pays englué dans une grave crise économique et financière depuis un an. Dans un rapport publié mardi où elle analyse les racines des crises sociale et économique en cours, l'institution a affirmé que cette dépression aurait des conséquences sans précédent pour le capital humain du pays, sa stabilité et sa prospérité". La BM déplore aussi l'absence d'action des autorités et appelle à la formation d'un gouvernement réformateur pour mettre en œuvre de toute urgence un agenda de réformes.
"Dépression pénible et prolongée"
"Alors que le Liban connaît une grave crise économique depuis un an, l'absence délibérée d'action politique efficace de la part des autorités fait subir à l'économie une dépression pénible et prolongée", dénonce le Lebanon economic monitor (LEM) de la BM. "Le Liban souffre d'un épuisement dangereux de ses ressources, y compris du capital humain, alors que la fuite des cerveaux s'accélère. Le lourd fardeau de l'ajustement financier est particulièrement porté par les petits déposants, la main-d'œuvre locale payée en livres libanaises et les petites entreprises", souligne encore la Banque mondiale.
L'institution rappelle que "depuis plus d’un an, le Liban connaît une crise économique et financière, suivie du coronavirus, et dernièrement l’explosion du port de Beyrouth", le 4 août et qui a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés. "Des trois crises, la crise économique a eu - de loin - l'impact négatif le plus important et persistant", estime la BM.
"La pauvreté continuera vraisemblablement de s'aggraver, touchant plus de la moitié de la population. Une contraction du PIB libanais par habitant et une inflation élevée entraîneront sans aucun doute une augmentation substantielle des taux de pauvreté et affecteront la population par différents canaux tels que le chômage, la baisse du pouvoir d'achat et le blocage des envois de fonds internationaux. Une main-d'œuvre hautement qualifiée est de plus en plus susceptible de saisir des opportunités potentielles à l'étranger, ce qui constitue une perte sociale et économique permanente pour le pays", met encore en garde la Banque mondiale.
Appel à un gouvernement de réformes
Sur le plan politique, la Banque mondiale dénonce l'inaction et le manque de coordination des autorités. Au vu de la faiblesse structurelle du pays, "la crise économique du Liban sera probablement à la fois plus profonde et plus longue que la plupart des crises économiques", avertit le rapport.
"L’absence de consensus politique sur les priorités nationales entrave gravement la capacité du Liban à mettre en œuvre des politiques de développement à long terme et visionnaires", dénonce Saroj Kumar Jha, directeur régional de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient. Il appelle de ses vœux un nouveau gouvernement pour mettre en œuvre "une stratégie de stabilisation macroéconomique crédible avec des mesures à court terme pour contenir la crise, ainsi que des mesures à moyen et long terme pour relever les défis structurels". "Ceci est impératif pour restaurer la confiance du peuple libanais - en particulier des jeunes", affirme-t-il.
Le LEM de la Banque mondiale préconise une politique basée sur cinq piliers : un programme de stabilisation macroéconomique, et un ensemble de mesures de gouvernance et de réforme de la reddition des comptes, de développement des infrastructures et des opportunités économiques, ainsi que du capital humain. Cela comporte une condition préalable : "l’engagement des décideurs libanais à reconstruire une économie plus productive, équitable et résiliente". "Sans réformes, il ne peut y avoir de relèvement et de reconstruction durables, et la situation sociale et économique continuera de s’aggraver", conclut la Banque mondiale.
Dans ce contexte, le président de la République, Michel Aoun, a reçu mardi une délégation de la Banque mondiale qui comprenait son directeur régional pour le Moyen-Orient, Saroj Kumar Jha, l'ambassadeur de l'Union européenne au Liban, Ralph Tarraf, et la coordinatrice des Nations unies pour l'aide humanitaire, Najat Rushdie, qui lui ont présenté un rapport sur la deuxième phase du plan de reconstruction des zones touchées par l'explosion du port. M. Kumar Jha a annoncé lors de la réunion, selon la présidence libanaise, qu'une "nouvelle caisse devrait être mise en place pour faciliter l'aide financière au Liban" suite à l'explosion au port, "afin qu'il puisse mener les réformes et la croissance". Il a estimé que la mise en place d'une telle caisse "pourrait se faire lors de la conférence de Paris" qui se tient demain sous la coprésidence du chef de l'Etat français, Emmanuel Macron, et de l'ONU.
"Le Liban mise beaucoup sur la tenue de la deuxième conférence internationale convoquée par le président Macron et le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres", a pour sa part affirmé M. Aoun. Le chef de l'Etat libanais a en outre estimé que l'audit des institutions étatiques, notamment la Banque du Liban, "allait renforcer la crédibilité au pays face à la communauté internationale, en particulier les pays donateurs". Cet audit est posé comme l'une des conditions à toute aide internationale. Le cabinet en charge de ce contrôle, Alvarez & Marsal a jeté l'éponge récemment, face au refus de la BDL de lui fournir les documents nécessaires. Suite à une lettre adressée par le président Aoun au Parlement, la Chambre a décidé de mener un audit sur toutes les administrations publiques. Une décision qui n'a toutefois aucune portée légale.
Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) a fait savoir que le PIB nominal du Liban allait tomber à 18,7 milliards de dollars cette année, contre 52,5 milliards un an plus tôt.
Le seul espoir maintenant est un coup d’Etat.
19 h 28, le 01 décembre 2020