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Moyen-Orient - Décryptage

Après l’assassinat de Fakhrizadeh, Téhéran dans une impasse stratégique

L’Iran aura du mal à riposter de façon proportionnée dans un environnement de plus en plus hostile.

Après l’assassinat de Fakhrizadeh, Téhéran dans une impasse stratégique

Des membres des forces iraniennes prient autour du cercueil de Mohsen Fakhrizadeh dans le nord de Téhéran hier. Hamed Malekpour/AFP /Tasnim News

« Œil pour œil », titrait le quotidien ultraconservateur iranien Kayhan au lendemain de l’assassinat du père du nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh, imputé à Israël. « À la guerre comme à la guerre », lui faisait écho hier le journal libanais al-Akhbar, proche du Hezbollah. Le président iranien Hassan Rohani a promis samedi une « riposte en temps et en heure ».

Du Liban à l’Irak, on craint aujourd’hui de subir les répercussions de cette nouvelle escalade qui pourrait facilement déborder sur plusieurs fronts. Mais même si ce scénario ne peut pas être complètement écarté, le plus probable est que cela ne dépasse pas la simple rhétorique. Cela devient une habitude iranienne. Comme à chaque fois qu’il est touché par « l’ennemi », Téhéran promet de répondre de façon proportionnée, afin de faire respecter l’équilibre de la dissuasion. Comme cela est souvent dit, la réplique, si elle avait lieu, ne devrait pas être à la hauteur de l’attaque et devrait surtout montrer les difficultés de la République islamique à garder la face dans un environnement de plus en plus hostile. 2020 ressemble à une année noire pour l’Iran, avec une éclaircie tout de même après la victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine. Elle a commencé avec l’assassinat de Kassem Soleimani, chef de la Force al-Qods au sein des gardiens de la révolution. Les États-Unis ont éliminé la figure la plus symbolique du régime iranien, qui plus est dans son joyau irakien, tout en revendiquant l’attaque. C’était un pari risqué qui s’est toutefois avéré payant. Téhéran était contraint de répondre, mais il l’a fait de la façon la plus prudente possible afin de faire baisser les tensions. L’Iran a bombardé deux bases irakiennes utilisées par les États-Unis, sans faire la moindre victime, une manière de mettre en avant ses capacités balistiques à moindre coût. Certes, Téhéran a aussi assuré qu’une riposte plus importante allait advenir. Mais cela rappelle les promesses de vengeance du Hezbollah après l’assassinat de son chef militaire Imad Mogniyeh en 2008, qui n’ont pour l’instant pas été tenues. L’Iran et ses protégés bombent le torse en apparence, mais cherchent à gagner du temps en réalité.

Faire monter la pression

Il n’y a pas de raison de penser que cela se passe différemment cette fois-ci, d’autant plus que la marge de manœuvre est encore plus étroite. Israël – s’il est effectivement derrière cette opération comme le laisse à penser tous les éléments – a éliminé une personnalité de premier plan du dispositif nucléaire iranien en territoire ennemi. Le timing et le mode opératoire semblent ici plus importants que la cible en tant que telle. « Sa mort ne va pas affecter le programme nucléaire iranien dans le sens où il peut être remplacé. Mais l’assassinat expose les vulnérabilités de l’Iran en matière de renseignements et de sécurité », résume Maysam Behravesh, chercheur associé au think tank Clingendael.

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Israël est accusé d’avoir éliminé Hassan Tehrani Moghaddam, l’architecte du programme nucléaire iranien, en 2011, sans pour autant que cela n’empêche l’Iran de poursuivre sa quête en la matière. Mohsen Fakhrizadeh était pour sa part une cible depuis des années, nommément affiché par Benjamin Netanyahu en personne en 2018. Peut-être qu’Israël a profité d’une fenêtre d’opportunité pour l’éliminer. Mais le plus probable est que l’État hébreu ait choisi de passer à l’action pour faire monter la pression avant l’entrée à la Maison-Blanche de Joe Biden et savonner ainsi la planche à toute possibilité pour Washington et Téhéran de ressusciter l’accord sur le nucléaire iranien. Israël est accusé d’être également à l’origine de l’explosion du site nucléaire de Natanz en juillet dernier et d’avoir éliminé plus récemment le numéro 2 d’el-Qaëda, Abou Mohammad al-Masri, sur le sol iranien, sans parler de l’intense campagne de frappes contre des cibles pro-Téhéran en Syrie. L’État hébreu veut pousser l’Iran dans ses retranchements. En cas de riposte, Israël pourra compter sur le soutien des États-Unis et, dans une moindre mesure, sur celui de ses nouveaux amis du Golfe. Téhéran ne peut pas se permettre une confrontation directe face à un front uni entre Washington, Tel-Aviv et les pétromonarchies du Golfe. Plusieurs informations, notamment relayées par le New York Times, ont fait état d’une volonté de l’administration Trump de mener des frappes militaires contre l’Iran. Les États-Unis ont déployé plusieurs bombardiers B-52 dans la région. Une rencontre historique a été organisée en Arabie saoudite entre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le prince héritier Mohammad ben Salmane et le secrétaire d’État américain Mike Pompeo. Les trois pôles ont sans doute coordonné leurs réponses en cas d’attaque iranienne.

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Un assassinat qui risque de compliquer la tâche de Biden

Une nouvelle escalade compliquerait en outre les possibilités pour Joe Biden de réactiver l’accord nucléaire et de mettre fin aux sanctions qui pèsent lourdement sur l’économie iranienne. Le président élu a fait savoir qu’il voulait que les États-Unis réintègrent l’accord, mais cela pourrait être difficile à la fois pour des questions techniques et politiques. D’autant plus que Joe Biden souhaiterait y ajouter deux volets, un concernant l’encadrement de l’activité balistique de Téhéran, l’autre sur sa politique régionale, deux lignes rouges pour le régime iranien. L’assassinat du « Soleimani du nucléaire iranien » risque de provoquer quelques tensions entre Israël et la future administration américaine. Mais cette dernière ne se rangera pas moins pour autant du côté de l’État hébreu en cas d’escalade régionale.

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L’Iran se trouve ainsi confronté à une impasse stratégique. Il voit se dessiner une nouvelle alliance à sa porte qui, indépendamment de la question du futur locataire de la Maison-Blanche, réduit ses marges de manœuvre dans le Golfe, qui était jusqu’à présent le point faible de l’axe anti-iranien. Il sait que ses chances de raviver l’accord nucléaire sont limitées, encore plus dans ce contexte, alors que les sanctions affaiblissent le régime, même si elles ne le font pas pour autant plier. Il est confronté à des adversaires qui le poussent à la faute et disposent de moyens d’action sur son territoire qui exposent de sérieuses fragilités. Il ne peut pas jouer la confrontation et peut difficilement entamer des négociations dans ce contexte. Seul lot de consolation : son emprise sur plusieurs pays faibles du monde arabe est, pour l’instant, loin d’être remise en question.

L’Iran accuse le Mossad dans l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh

L’Iran a affirmé lundi que son éminent physicien nucléaire assassiné vendredi avait été victime d’une opération « complexe » impliquant des moyens « complètement nouveaux » et en a accusé le Mossad, les services secrets israéliens. Mohsen Fakhrizadeh a été tué près de Téhéran dans une attaque au véhicule piégé suivie d’une fusillade contre sa voiture, selon le ministère de la Défense, qui a présenté la victime a posteriori comme un vice-ministre de la Défense et chef de l’Organisation de la recherche et de l’innovation en matière de défense (Sépand). Peu de détails ont émergé sur les circonstances exactes de l’attaque.

Dans des interviews à des médias iraniens, l’amiral Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, a parlé hier d’« une opération complexe avec un recours à du matériel électronique ». Les Moujahidine du peuple, un groupe d’opposition en exil, « ont forcément dû être impliqués », mais « l’élément criminel dans tout cela est le régime sioniste et le Mossad », a-t-il affirmé. Selon lui, Mohsen Fakhrizadeh avait été visé maintes fois par le passé, « mais cette fois, l’ennemi a utilisé un style et une méthode complètement nouveaux, professionnels et spécialisés, et a réussi à atteindre l’objectif qu’il poursuivait depuis 20 ans ».

Sans citer de sources, l’agence de presse iranienne Fars a affirmé que l’attaque avait été menée à l’aide d’une « mitrailleuse automatique télécommandée » et montée sur un pick-up Nissan. Citant une « source informée », Press TV, chaîne d’information en anglais de la télévision d’État, a rapporté que des armes récupérées sur les lieux de l’assassinat avaient été « fabriquées en Israël ».

Israël n’a pas officiellement réagi aux accusations lancées par les autorités iraniennes lui attribuant cet assassinat. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait présenté en 2018 le scientifique tué comme la tête d’un programme nucléaire militaire secret dont l’Iran a toujours nié l’existence.

« Œil pour œil », titrait le quotidien ultraconservateur iranien Kayhan au lendemain de l’assassinat du père du nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh, imputé à Israël. « À la guerre comme à la guerre », lui faisait écho hier le journal libanais al-Akhbar, proche du Hezbollah. Le président iranien Hassan Rohani a promis samedi une « riposte en temps et en...

commentaires (6)

L'air maussade les iraniens donnent au mosad encore plus de prestige qu'il n' espère...mollahs et mosad nous justifient, par tout leurs moyens, l'existence l'un de l'autre...et nous en payons chèrement le prix ....

Wlek Sanferlou

17 h 01, le 01 décembre 2020

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Commentaires (6)

  • L'air maussade les iraniens donnent au mosad encore plus de prestige qu'il n' espère...mollahs et mosad nous justifient, par tout leurs moyens, l'existence l'un de l'autre...et nous en payons chèrement le prix ....

    Wlek Sanferlou

    17 h 01, le 01 décembre 2020

  • Bonjour, Je ne maîtrise pas une information. Vous expliquez que le plus probable dans ce meurtre serait un coup de l'Etat Hebreu pour savonner la planche à un retour sur cet accord nucléaire Iranien, entre Washington et Téhéran. Mais Israël à un intérêt capital ( selon lui ) à ce que l'Iran ne développe jamais l'arme nucléaire. Il est dans l'intérêt d'Israël qu'un accord empêche l'Iran de developper l'arme atomique non ? Pourquoi

    Bertrand de Blois

    16 h 45, le 01 décembre 2020

  • Vraiment rejouissant de constater qu qvec ou sans TRUMP a la maison blanche,l IRAN se trouve dos au mur.....la victoire de BIDEN a meme accelere le rapprochement entre israel et les pays arabes......

    HABIBI FRANCAIS

    10 h 24, le 01 décembre 2020

  • Il est a présent prouvé que l'Iran et ses alliés, s'il en reste, sont maintenant dans la mouise et les sanctions de Trump et de son administration ont porté leurs fruits. Sans oublier la destruction d'usines et de sites militaires en Iran qui a ce jour les Iraniens n'ont toujours pas élucidé, les assassinats de leurs chefs et commandants des gardiens de la révolution ici et la, etc... J'ajouterais a tout cela les deux explosions de Beyrouth et du petit village de campagne qui semble avoir mis militairement le Hezbollah a genou pour avoir perdu l'usage d'une énorme quantité d'armes (Il peut user de ses fusées comme suppositoire maintenant inutilisables), comme il a constaté que ses ennemis peuvent lui infliger des coups sans même se déplacer. En bref, ni l'Iran ni personne ne pourra jamais rendre les coups a des états qui sont si puissants et si avancés technologiquement. Y ajouter le fait que les peuples de la régions en ont marre de guerre inutiles bâties sur de fausses causes et des idéologies mensongères similaires a celles du Nazismes et contraire a tout entendement humain, donc vouées a l’échec! Il est temps que le Liban rejoigne a nouveau le club des gagnants... La politique basée sur des histoires qui ne tiennent pas debout ne sont plus a la mode.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 52, le 01 décembre 2020

  • La dernière phrase est terrible. Le Liban dernier cloaque aux mains de l’Iran... comme un preneur d’otage acculé il ne le lâchera pas facilement

    AntoineK

    09 h 49, le 01 décembre 2020

  • "... la télévision d’État, a rapporté que des armes récupérées sur les lieux de l’assassinat avaient été « fabriquées en Israël ». ..." - C’est bien la preuve qu’Israel n’a rien à voir dans tout ça. Ils auraient abandonné derrière eux des pièces aussi compromettantes? Allons donc. Ça pue le "false flag" tout ça...

    Gros Gnon

    01 h 52, le 01 décembre 2020

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