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Idées - Reconstruction

Le Liban ne doit pas devenir une république des ONG

Le Liban ne doit pas devenir une république des ONG

Des volontaires libanais distribuent de la nourriture dans le quartier de la Quarantaine, près du port de Beyrouth, en août 2020. Photo d’archives AFP

Trois mois après les explosions au port de Beyrouth, le processus de reconstruction de la ville donne à nouveau à voir le dynamisme d’une société civile déjà mobilisée depuis un an contre une classe politique coupable de mener une véritable « guerre » – pour reprendre une expression couramment employée par certains amis et collègues – contre ses concitoyens.

Dès les premiers jours qui ont suivi le drame, l’ensemble des militants, organisations ou formations politiques issus de cette société civile ont en effet exigé d’exclure du processus de reconstruction la classe politique libanaise corrompue et toutes les personnes qu’elle a nommées dans les organismes publics. Une position que la communauté internationale, les nombreux donateurs et les ONG internationales ont d’ailleurs reprise à leur compte – la profonde crise économique et financière que subit le pays depuis un an étant venue entre-temps confirmer l’ampleur de la corruption rampante au sein des institutions publiques. Ce déficit de confiance est de fait amplement justifié par l’accumulation des preuves de mauvaise gestion, de vol généralisé et de pratiques consistant à vider les organismes publics (dont le port) de leurs compétences. D’autant que l’idée qu’un projet de reconstruction ne soit pas canalisé par les institutions publiques n’est pas nouvelle au Liban, et a notamment été appliquée lors de la reconstruction des zones détruites par la guerre de 2006 ou celle du centre-ville de Beyrouth après la guerre civile.

Pourtant, rien ne prouve que la délégation totale de la reconstruction aux activistes et ONG constitue le meilleur scénario possible : l’expérience locale et internationale en la matière tend plutôt à montrer que la réussite des interventions des groupes de la société civile et des ONG dans ce type d’entreprise dépend en partie de la synergie qui s’établit entre eux et les organismes publics. Ces derniers conservant leur rôle essentiel de coordinateurs et de gardiens du bien commun. D’Haïti – désormais surnommée « la République des ONG » – à l’Irak, en passant par le Yémen et bien d’autres pays, nombreux sont les exemples étrangers de populations demeurant meurtries, divisées et otages d’intérêts particuliers qui, pour assurer leur survie, ont sapé toute véritable possibilité d’émergence de collectifs politiques capables de prendre leurs affaires en main. Autrement dit, toute possibilité d’un processus de construction de l’État « par le bas ». Le Liban va-t-il prendre le même chemin ?

Mobilisation exceptionnelle

Plus de 400 organisations ont manifesté leur intérêt pour la reconstruction. Regroupés sous la bannière des organismes de secours, ces organismes diffèrent considérablement par leur portée, leur approche et leurs capacités. Ils se répartissent essentiellement en trois catégories. La première comprend des ONG internationales et locales qui interviennent dans le domaine politique, humanitaire ou de l’aide au développement. Elles fournissent des secours, réparent des maisons, ramassent des décombres, recyclent des matériaux et répondent à bien d’autres besoins fondamentaux. Il est intéressant de noter que les ONG internationales ont repris en grande partie les modalités d’organisation et de coordination mises en place lors de la crise des réfugiés syriens. La deuxième catégorie comprend les mouvements et groupes organisés qui cherchent à se positionner comme une alternative à l’élite dirigeante corrompue et ont intégré l’aide aux populations sinistrées dans leur panoplie traditionnelle d’actions de résistance contre le système (manifestations, tracts, actions ciblées, campagnes sur les réseaux sociaux, etc.). Le troisième groupe comprend les universités et les syndicats professionnels, dont ceux dirigés par des personnalités indépendantes, qui ont mené des actions spécifiques dans leur domaine de compétence : l’ordre des ingénieurs et des architectes de Beyrouth a par exemple achevé une enquête sur les dommages structurels et publié des rapports identifiant les bâtiments menacés et une déclaration de principe pour la reconstruction ; celui des avocats a fourni des conseils juridiques aux résidents et engagé des poursuites pour réclamer des indemnités pour les victimes ; tandis que le syndicat des entrepreneurs de travaux publics a encouragé ses membres à travailler bénévolement.

Bien qu’impressionnants, les efforts des organisations professionnelles n’ont cependant pas permis de mettre en place un organe de coordination viable, conformément à leur souhait initial, et ce notamment en raison de la forte pression exercée par les partis politiques dans leurs conseils d’administration. Quant aux ONG et aux groupes d’activistes, ils voient également leur rôle crucial affaibli par la fragmentation et le manque de coordination de leurs actions ainsi que par certaines divergences notables, tant en termes de processus que de vision.

Préserver l’État

Il reste que ce dynamisme contraste avec la lenteur du secteur public. Hormis quelques interventions ad hoc du bureau du mohafez (gouverneur) de Beyrouth pour répondre à des demandes spécifiques, la municipalité a globalement brillé par son absence, tout comme le Haut Comité de secours (HCS), dirigé par la présidence du Conseil et fragilisé par la situation désastreuse des finances publiques comme par les soupçons de corruption en son sein. Avec l’aide d’architectes et de professeurs d’université, la Direction générale des antiquités a, elle, recensé les dégâts subis par les bâtiments patrimoniaux, sans pour l’instant établir un mécanisme de réparation.

Au final, c’est l’armée qui semble pour l’instant avoir joué un rôle parmi les institutions publiques. Une loi votée le 30 septembre dernier par le Parlement institue en effet un comité pour la reconstruction dirigé par l’armée et comprenant une poignée d’agences publiques et deux syndicats chargés d’enquêter sur les dommages, d’évaluer les pertes et de canaliser les fonds de compensation. Mais ce texte demeure lacunaire sur de nombreux points : il ne définit pas de véritable mécanisme de reconstruction, ne prévoit aucune mesure suffisante pour protéger les résidents contre la spéculation immobilière, suppose que l’argent proviendra, comme d’habitude, des donateurs étrangers et, pire encore, perpétue les limitations existantes en matière de vente de terrains sur la base de critères confessionnels.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, on peut d’ores et déjà conclure que ni la mobilisation exceptionnelle de la société civile – dans toute sa diversité sociale et confessionnelle – ni la tentative d’imposer un modèle piloté par le haut par un tandem armée-ONG ne permettent d’assurer un processus transparent garantissant la justice sociale dans les opérations de reconstruction de la capitale. Pour atteindre ces objectifs et éviter de devenir une « nouvelle république des ONG », tous les efforts visant à sauver des pans, même modestes, de la sphère publique demeurent plus que jamais nécessaires pour entreprendre, lentement mais sûrement, la reconstruction d’un État par le bas.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur le site de l’Arab Center Washington DC.

Mona FAWAZ , Professeure d’urbanisme à l’Université américaine de Beyrouth (AUB).

Mona HARB , Professeure d’urbanisme et de sciences politiques à l’AUB.

Trois mois après les explosions au port de Beyrouth, le processus de reconstruction de la ville donne à nouveau à voir le dynamisme d’une société civile déjà mobilisée depuis un an contre une classe politique coupable de mener une véritable « guerre » – pour reprendre une expression couramment employée par certains amis et collègues – contre ses concitoyens. Dès les...

commentaires (6)

Choisir entre la peste le choléra et … le covid19 ça sera un choix kafkaïen. Si le peuple n’est pas capable de faire sa révolution, alors il finira comme les Syriens et les Palestiniens à mendier sa pitance et restera esclave des mafieux en tous genres … politiques religieux charlatans et ONG !

Le Point du Jour.

19 h 49, le 01 décembre 2020

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Commentaires (6)

  • Choisir entre la peste le choléra et … le covid19 ça sera un choix kafkaïen. Si le peuple n’est pas capable de faire sa révolution, alors il finira comme les Syriens et les Palestiniens à mendier sa pitance et restera esclave des mafieux en tous genres … politiques religieux charlatans et ONG !

    Le Point du Jour.

    19 h 49, le 01 décembre 2020

  • Tant qu'il ny a que des ONG pour soutenir une population qui se vide de son sang, on ne va pas leur reprocher leur presence et leur diligence face à un état voyou et passible bientôt de haute trahison.

    Christine KHALIL

    16 h 57, le 22 novembre 2020

  • Et pourquoi pas? N’est-ce pas mieux qu’une république bananière aux dirigeants corrompus?

    Hippolyte

    10 h 51, le 22 novembre 2020

  • En général les ONG internationales sont structurellement corrompues par le fait que pour acheminer 3 USD au nécessiteux, ils en récoltent probablement 10 des donateurs, et la différence passent dans les frais administratifs, frais de voyages et salaires de leurs dirigeants, etc. Les ONG locales sont plus sincères mais n'ont pas les moyens de collecter assez de moyens financiers de l'étranger.

    Shou fi

    10 h 34, le 22 novembre 2020

  • Le Liban est pour les Libanais,pas pour les NGO's ni l implémentation des syriens ici ! et on dit ça depuis 2011, nombre illimité de NGOs internationales qui paralysent le Liban, qui travaillent pour des intérêts internationaux,pas pour les Libanais!! et ça,ça doit être contrôlé et/ou interdit!!

    Marie Claude

    10 h 22, le 22 novembre 2020

  • Une république des ONG , pourquoi pas? Ce ne sera que transitoire , le moment venu, quand la chape de crasse politique et mafieuse aura sauté, le temps viendra de construire de nouvelles institutions

    LeRougeEtLeNoir

    09 h 59, le 22 novembre 2020

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