Cent jours après le cataclysme du 4 août, le « business as usual » semble être toujours de mise chez les protagonistes politiques concernés par les tractations gouvernementales. C’est cet affligeant constat qu’a enregistré à son arrivée l’émissaire français Patrick Durel. Délégué par le président Emmanuel Macron au Liban pour secouer le prunier, ce dernier a dit à qui voulait l’entendre que « le Liban sera privé d’une aide précieuse, si cela continue, et vous en assumerez seuls la pleine responsabilité ». Une aide humanitaire précieuse, a rappelé M. Durel, qui ira directement aux ONG et associations privées, ainsi qu’« une aide macroéconomique indispensable venue des acteurs de la conférence CEDRE (2018), qui vous fera défaut, alors qu’elle va devenir de plus en plus urgente ». Cette dernière aide, rappelle-t-on, est d’autant plus essentielle que se rapproche l’échéance fatidique de trois mois annoncée en été par la Banque du Liban. Arrivée à la limite de ses réserves stratégiques, cette dernière avait laissé entendre qu’elle devra nécessairement interrompre progressivement le subventionnement des produits essentiels, comme les carburants et les médicaments. Des coupures contre lesquelles la CGTL a appelé à la grève générale, le 18 novembre.
Toutefois, un nouveau délai, un ultime délai semble avoir été accordé aux Libanais pour se ressaisir et se diriger réellement vers la formation d’un « gouvernement de mission » composé d’indépendants, selon les vœux de la France… et les engagements pris par eux, en été, devant le président français. Ce délai expirera le 11 décembre, date à laquelle le chef de l’État français a dit qu’il reviendrait au Liban pour une visite d’amitié au contingent français de la Finul, à la veille des fêtes de fin d’année.
Faute d’indiscrétions venues de M. Durel lui-même, c’est aux questions qu’il a posées à ses interlocuteurs qu’on a pu déduire les rares informations disponibles sur la teneur de ses entretiens. Ces questions ont confirmé ce qu’on savait déjà : Emmanuel Macron cherche des réponses concrètes aux blocages et verrouillages qui empêchent ou retardent la formation du nouveau gouvernement, que ces blocages soient politiques, techniques ou de simple opportunité. De la bouche de ses interlocuteurs, le chef de l’État, le président de la Chambre et le Premier ministre désigné, ainsi que de Mohammad Raad (groupe parlementaire du Hezbollah) et de Walid Joumblatt, l’émissaire français a pu entendre de vive voix les raisons pour lesquelles le Liban tourne toujours en rond, dans une espèce de vertige suicidaire fait de calculs retors, d’échanges d’accusations, de ruses, de méfiance, de rivalités mesquines et de soif de pouvoir. M. Durel, qui a prolongé son entretien avec le Premier ministre désigné, qui semble toujours avoir la confiance du président français, recueillera aujourd’hui les confidences du CPL, des Forces libanaises, des Kataëb et des Marada sur la crise gouvernementale, avant de prendre l’avion pour la France, où il rendra compte au président Macron de sa mission.
Querelle de chiffonniers
De fait, du tour effectué hier auprès des différents acteurs politiques, il est apparu qu’ils continuent à se disputer les portefeuilles au sein de la future équipe, et à se renvoyer la balle dans une espèce de querelle de chiffonniers, compliquant la tâche au Premier ministre désigné. Ainsi, l’écrasante majorité des parties concernées s’accrochent à leurs demandes dans le cadre de ce qui devrait être, en principe, un cabinet de spécialistes à l’écart des partis politiques.
C’est ce blocage du processus qui aurait poussé le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt à se rendre à Aïn el-Tiné mercredi soir, pour un entretien avec le président de la Chambre Nabih Berry. Contacté par L’Orient-Le Jour, Hadi Abou el-Hosn, député joumblattiste de Baabda, explique que la rencontre visait à tenter de trouver une issue à la crise. « MM. Berry et Joumblatt ont insisté sur l’importance d’aplanir les obstacles mis par le camp adverse », ajoute le député. Une allusion au président de la République Michel Aoun, et à son gendre, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil.
« Le camp du président de la République et les cercles qui lui sont proches empêchent le progrès des tractations en s’accrochant à certains portefeuilles tels que l’Énergie », déclare M. Abou el-Hosn, rappelant que « contrairement à la volonté de M. Hariri, Gebran Bassil presse pour élargir le cabinet à 20 ministres, afin d’y inclure (le chef du Parti démocratique libanais) Talal Arslane », adversaire de Walid Joumblatt sur la scène druze. Sans vouloir se prononcer clairement contre une représentation ministérielle du député de Aley, Hadi Abou el-Hosn se contente d’assurer que son parti « fera face à toute atteinte aux droits de la communauté druze, composante essentielle du tissu libanais ».
La ministre sortante de l’Information, la druze Manal Abdel Samad, a tenu hier des propos allant dans un autre sens. Dans une interview accordée à la chaîne MTV, elle a plaidé pour que soient respectés des critères unifiés dans la représentation des communautés au sein de la future équipe. Une pique lancée en direction du tandem Amal-Hezbollah, qui conserve le portefeuille des Finances avec l’approbation du chef du gouvernement désigné.
Tout comme les joumblattistes, certains cercles proches de Nabih Berry accusent le tandem Baabda-CPL d’entraver le progrès du processus gouvernemental, en plaidant pour certains portefeuilles juteux. Une situation qu’ont naturellement aggravée les sanctions américaines infligées la semaine dernière à Gebran Bassil. Les milieux berrystes craignent donc un nouveau durcissement de la position aouniste, en guise de réaction aux sanctions US. Mais ils préfèrent attendre la fin de la tournée de l’émissaire français à Beyrouth, Patrick Durel, avant de se prononcer au sujet de la prochaine phase de tractations.
Optimisme ?
Entre-temps, et comme pour se laver les mains de tout blocage, les composantes du camp de la moumanaa se sont employées à distiller un climat d’optimisme, assurant leur détermination à faciliter la mise sur pied de l’équipe Hariri. Ainsi le groupe parlementaire du Hezbollah a appelé à une entente élargie pour que soit formé le prochain gouvernement, celui-ci étant « un besoin politique urgent pour le pays et le peuple », comme on peut lire dans un communiqué publié hier à l’issue de la réunion hebdomadaire du groupe.
De son côté, le vice-président de la Chambre Élie Ferzli est allé très loin. Dans une déclaration à l’agence al-Markaziya, il a souligné que « la logique des choses permet de dire que le président Aoun et le Premier ministre désigné se sont entendus sur la répartition des portefeuilles entre les protagonistes politiques et les communautés religieuses ». Il a déclaré aussi que les discussions porteraient actuellement sur la répartition des noms.
En face, Samir Jisr, député haririen de Tripoli, a affirmé en revanche à la même agence que les obstacles entravant la formation du cabinet ne sont pas encore franchis, excluant la mise sur pied du gouvernement dans un avenir proche.
commentaires (6)
CREPUSCULE DES ANES AVIT ECRIT G NASR ? PEUT ETRE BIEN CREPUSCULE DE NOS CRIMINELS? PAS DU TOUT MALHEUREUSEMENT
Gaby SIOUFI
17 h 12, le 13 novembre 2020