
Le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf, entouré du groupe d’étudiants. À sa droite, le Pr Pascal Monin, responsable du master de communication politique de Sciences Po.
C’est un message d’espérance qu’un groupe d’étudiants en Sciences Po de l’USJ a entendu lors de sa rencontre avec le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf. Venus avec des questions sur le fonctionnement de l’ordre et sur les tiraillements internes, les étudiants sont repartis avec une feuille de route pour une sortie de crise.
« On ne peut pas tracer une ligne droite avec des dents de scie. » Cette phrase est revenue à plusieurs reprises dans les réponses du bâtonnier aux questions des étudiants. « D’une part, on veut combattre la corruption et relancer les institutions, et de l’autre, on utilise les mêmes instruments et les mêmes méthodes qui ont mené le pays là où il est aujourd’hui. » Pour Melhem Khalaf, les responsables et les politiciens en général « devraient avoir un peu d’humilité et commencer par reconnaître leurs erreurs pour pouvoir avancer ». Il précise ainsi que se trouvaient dans le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab des personnalités très qualifiées, mais qu’elles ont été « broyées par le système ». En réponse à une question, il reconnaît avoir été sollicité pour des postes gouvernementaux, juste après son élection à la tête du barreau de Beyrouth. Mais pour lui, il était « inconcevable » de lâcher les avocats qui l’avaient choisi pour être bâtonnier. En revanche, depuis son élection et surtout depuis la double explosion du port le 4 août qui a provoqué une tragédie dont le Liban n’est pas près de sortir, Melhem Khalaf a commencé à travailler avec les avocats à une initiative, « une feuille de route » comme il l’appelle, pour sortir de l’impasse actuelle.
« Il s’agit principalement d’un plan par étapes pour stopper l’effondrement, déclare-t-il, alors que notre société glisse de plus en plus vers la misère. Et la misère, c’est plus grave que la pauvreté car on y perd sa dignité. » « L’objectif principal est de reconstituer les pouvoirs. Ceux qui sont actuellement en place sont légaux, mais ils ont perdu leur légitimité », juge-t-il.
Un état de perdition
La première étape commence par la formation d’un gouvernement « d’indépendants efficaces », ayant deux objectifs. D’abord, prendre des décisions rapides pour créer un filet de sécurité social, sur les plans alimentaire et sanitaire, et sur celui de la vieillesse. « Ce sont actuellement les priorités, surtout si l’on regarde les ceintures de misère autour des grandes agglomérations urbaines », souligne M. Khalaf, qui ajoute qu’il faudra aussi des mesures sur le long terme concernant le Covid-19. Ensuite, il s’agit de procéder aux « réformes obligatoires dans tous les secteurs au lieu de se lancer dans des discussions inutiles ». Pour le bâtonnier Khalaf, « il y a actuellement un état de perdition au niveau des institutions. Le gendarme ne sait plus pourquoi il est gendarme. Les fonctionnaires ne sont plus conscients de l’importance de leur mission ».
Pour pouvoir agir rapidement, le bâtonnier estime que le gouvernement devra obtenir des prérogatives législatives, certes limitées dans le temps et dans le contenu. Il faudra aussi créer un Sénat, élu sur base confessionnelle, pour rassurer les communautés et les identités religieuses. « Notre choix est un choix de nation. De plus, nous ne touchons pas aux fondamentaux », ajoute Melhem Khalaf. Une fois le Sénat mis en chantier, il faudra adopter une loi électorale en dehors de toute référence confessionnelle et religieuse. Les élections auront ensuite lieu, et elles devraient produire une nouvelle classe de représentants à la fois légaux et légitimes. Ce qui serait de nature à apaiser la société.
Fonds national de solidarité
La seconde étape commencera après les élections et consistera dans la formation d’un gouvernement chargé de consolider les réformes et d’instaurer la décentralisation administrative qui devra s’accompagner de la création d’un fonds national de solidarité entre les régions pour ne pas provoquer de disparités entre elles.
En même temps, il faudra adopter une nouvelle loi sur les partis politiques qui les obligerait à avoir une dimension nationale, non confessionnelle et régionale. Il faudra aussi former une commission nationale pour étudier un code civil. Tout cela devrait mener vers un État-citoyen dont la pierre angulaire serait la solidarité. « De la sorte, la communauté ne sera plus le médiateur entre l’État et le citoyen, tout en étant préservée à travers le Sénat », insiste-t-il. Selon M. Khalaf, il faut mener une démarche constitutionnelle de nature à assurer une transition paisible.
Cette feuille de route, poursuit-il, a déjà été soumise et acceptée par les ordres professionnels, les grandes universités du pays, 19 groupes de la thaoura et les chefs religieux. Le président Macron en a aussi pris connaissance. Il s’agit d’une initiative interne qui n’exclut personne et ne fait pas intervenir l’extérieur.
Compte-t-il soumettre cette feuille de route aux parties politiques ? « Non, répond-il. Nous ne ferons pas de marchandages avec elles. Nous trouverons les moyens d’en discuter indirectement avec elles. »
Priorités
Une initiative purement interne a-t-elle des chances de réussir et ne faut-il pas tenir compte des facteurs externes ? « Notre priorité, dit Melhem Khalaf, est de récupérer l’État. Si nous ne le faisons pas, comment pourrons-nous gérer la crise des déplacés et des réfugiés ?
Savez-vous qu’après l’explosion du 4 août, on n’a pas vu un seul véhicule de chantier de l’État sur les lieux de la tragédie ? C’est vrai que les facteurs externes ont leur importance, mais c’est seulement la solidarité entre nous qui nous permettra de reconstituer un pouvoir capable de gérer les crises. » Pour le bâtonnier, les Libanais « vivent actuellement avec des œillères. Il faut donc travailler à les enlever ».
Et les armes du Hezbollah, comment pense-t-il régler ce problème ?
« L’armée libanaise est la solution, précise Melhem Khalaf. Elle doit se déployer sur l’ensemble du territoire et être à même de défendre le pays. On dira alors au Hezbollah : merci pour ce que vous avez fait, mais désormais, c’est tout le Liban qui défend le pays. »
Pour Khalaf, il faut donc adopter une approche différente sur tous les sujets. Selon lui, « trois pays ont une mission dans ce monde : les États-Unis sont le synonyme de la liberté. Quand on parle de la France, on pense aux droits de l’homme, et quand on parle du Liban, on pense au vivre-ensemble ». « Nous devons bâtir un pays à l’image de la société et non à l’image des politiciens qui ont failli. Regardons notre pays pour les cent ans à venir et faisons de petits pas qui mèneront vers un grand projet, sans exclusion et sans violence », ajoute-t-il.
Que pense-t-il de la thaoura, lui qui a été considéré comme son candidat aux élections du barreau de Beyrouth ? « La thaoura, dit-il, c’est une étape, un espace ouvert où on accueille toutes les idées. Elle a développé des situations nouvelles et permis de dépasser les confessions. Elle ne devrait pas devenir une partie du pouvoir. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nation. »
De toutes ses casquettes, avocat, activiste, ex-responsable d’ONG (Offre-Joie), bâtonnier..., laquelle préfère-t-il ? « Celle de l’homme, qui est un point commun entre toutes les autres. »
Avec tous les respects à Monsieur Khalaf, cette feuille de route est hypothétique; la seule feuille de route valable, est le retrait des armes de tous ceux nombreux, qui en abusent vis-à-vis des autres citoyens. Et ceci est du ressort d'une autorité représentative de la vraie volonté de la population.
18 h 05, le 12 novembre 2020