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Monde - Éclairage

Pour l’Arménie, une défaite qui réveille les douleurs du passé

La signature d’un accord entre Bakou et Erevan sous l’égide de Moscou consacre les avancées de l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie.

Pour l’Arménie, une défaite qui réveille les douleurs du passé

Des Arméniens protestant devant les quartiers généraux du gouvernement à Erevan, la capitale de l’Arménie, contre l’accord mettant fin au conflit avec l’Azerbaïdjan au sujet de la province du Haut-Karabakh, le 10 novembre 2020. Karen Minasyan/AFP

C’est un conflit qui s’achève formellement dans la douleur pour l’Arménie avec un accord lourd de symboles. Sous la houlette de Moscou, Bakou et Erevan ont signé un cessez-le-feu total entré en vigueur dans la nuit de lundi à mardi, mettant fin aux hostilités entre les deux parties dans le conflit qui déchire le Haut-Karabakh depuis son intensification le 27 septembre dernier. Mais pour les Arméniens, le texte consacre surtout la victoire de l’Azerbaïdjan, activement soutenu par la Turquie et la fin, du moins pour le moment, d’un rêve : celui d’une province qui s’était autoproclamée indépendante en 1991 et dont la population, à plus de 95 % arménienne, aspire au rattachement à la mère-patrie voisine. « Les Arméniens du Karabakh vont perdre leur indépendance de facto et pourraient se voir accorder un statut autonome (autonomie culturelle), comme M. Ilham Aliev l’a répété pendant les 43 jours de guerre », indique Ohannès Geukjian, professeur assistant en politique comparée et en résolution de conflits à l’Université américaine de Beyrouth (AUB).

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A la suite de la signature de l’accord, Moscou a commencé hier à déployer 2 000 soldats de maintien de la paix censés assurer le respect des dispositions du document. Principaux termes du compromis trouvé, chaque belligérant conserve les positions qu’il occupe. L’Azerbaïdjan reprend le contrôle des zones qui cernent le Haut-Karabakh ainsi que de nombreux territoires à l’intérieur de la province. De son côté, l’Arménie garde le contrôle des districts qu’elle détient déjà dans la région et un corridor les reliera. Ankara, qui a pris fait et cause pour Bakou au cours du conflit, va assurer avec la Russie l’application du cessez-le-feu depuis un centre conjoint d’observation localisé en Azerbaïdjan et indépendant des forces de maintien de la paix déployées dans la province. L’annonce sur Facebook par le Premier ministre arménien Nikol Pachinian de la signature de l’accord a été accueillie avec affliction, rage ou encore tristesse. « J’ai signé une déclaration avec les présidents de Russie et d’Azerbaïdjan sur la fin de la guerre au Karabakh », a-t-il écrit décrivant la démarche comme « incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple ». « J’étais chez mon ami et on a vu le post de Pachinian. C’était choquant, perturbant et vraiment triste », évoque Noubar, un jeune Libanais arménien resté bloqué à Erevan durant la guerre. « Autour de nous les gens pensaient vraiment qu’on se serait battu jusqu’à la mort pour cette terre, et de la perdre comme ça, c’est désolant », poursuit-il.

Diviser pour mieux régner

D’un côté, un Premier ministre arménien humilié, porté au pouvoir en 2018 dans le sillage d’une révolution populaire contre les caciques de l’ancien régime, legs de l’époque soviétique, et faisant face aujourd’hui à cette même rue qui lui en veut terriblement. Dans la nuit de lundi, des milliers de personnes ont ainsi pris d’assaut les rues de Erevan pour crier leur colère et leur dépit en appelant à sa « démission » et en le qualifiant de « traître à la patrie ». De l’autre, un président azéri autoritaire qui cherche à compenser l’impact d’une crise économique née de la chute vertigineuse du prix du baril en ravivant la fibre nationaliste de la population au moyen d’un discours particulièrement belliciste. Ilham Aliev s’est ainsi félicité à la télévision d’une « capitulation » de l’Arménie précisant avoir contraint le Premier ministre arménien à signer le document. « J’avais dit qu’on les chasserait de nos terres comme des chi et nous l’avons fait », a-t-il dit. Le grand frère turc n’a lui aussi pas tardé à fanfaronner par la voix du président Recep Tayyip Erdogan qui a salué hier une « grande victoire » de l’Azerbaïdjan face à l’Arménie.

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Des termes qui ont de quoi effrayer nombre d’Arméniens pour qui la défaite est plus que territoriale et fait doublement écho à une menace existentielle inscrite dans l’histoire. La première convoque un passé fait de déplacements de populations et de pogroms, des petits calculs d’une URSS qui voulait diviser pour mieux régner à coups de découpages territoriaux stratégiques. Pour étouffer les revendications nationales, Joseph Staline s’était assuré du placement de minorités ethniques dans le tissu des populations des Républiques constituées. C’est ainsi qu’en 1921, le bureau caucasien du comité central du parti bolchevique qu’il dirigeait alors en tant que « commissaire aux nationalités » avait pris la décision de rattacher le Haut-Karabakh à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, quand bien même se trouvait-elle majoritairement peuplée d’Arméniens. La région conserve une autonomie régionale, dispose de son centre administratif dans la ville de Chouchi et, pour parfaire leur stratégie, les autorités s’assurent que le traçage des frontières puisse inclure le plus possible de villages arméniens et le moins possible de villages azéris.

Alors que l’Union soviétique n’a plus que quelques années à vivre, le sentiment national s’exacerbe. En février 1988, près d’un demi-million de personnes se rassemblent à Erevan et Stepanakert pour demander le rattachement du Haut-Karabakh à l’Arménie. Les violences entre les deux communautés croissent pour culminer du 27 au 29 février avec le pogrom de Soumgaït, en Azerbaïdjan, contre la population arménienne qui sera alors soumise à des pillages, des viols et des massacres. En réponse, des nettoyages ethniques auront lieu dans le Haut-Karabakh contre la population azérie qui y vit.

Génocide

La ville de Stepanakert vidée de ses habitants sonne aujourd’hui comme une énième répétition de l’histoire. Quant à la chute de Chouchi entre les mains de Bakou, elle marque véritablement la victoire de ce dernier qui peut désormais l’agiter comme le trophée d’une revanche face aux Arméniens qui l’avaient récupérée à l’issue de la guerre dans les années 90. La ville est emblématique du conflit tant elle est convoitée par les deux parties. Elle fut un foyer culturel pour les Azéris avant la reprise de la ville par les Arméniens. C’est aussi là-bas que se trouve la cathédrale Ghazanchetsots, l’une des plus grandes églises arméniennes, aujourd’hui partiellement détruite suite aux bombardements de l’Azerbaïdjan. C’est également dans cette ville qu’ont eu lieu des massacres anti-Arméniens faisant 20 000 morts en 1920.

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Il faut aussi compter avec le renouveau de l’activisme turc aux côtés de Bakou qui ravive les blessures de la mémoire arménienne avec force et effroi. Si depuis septembre, la toile arménienne est inondée de publications illustratives d’une peur quasi ontologique de disparition, d’un nouveau génocide, Ankara de son côté n’hésite pas depuis quelques années à convoquer les démons de son histoire en les retournant à son avantage, comme s’il était passé du négationnisme à la glorification d’un passé que les Arméniens vivent encore comme un traumatisme. Rien qu’en mai 2020, M. Erdogan a qualifié les Arméniens de « restes de l’épée », une expression glaçante souvent utilisée de manière péjorative pour qualifier ceux qui ont survécu aux massacres visant les minorités chrétiennes, à commencer par les Arméniens, dans l’Empire ottoman puis en Turquie. M. Erdogan est aujourd’hui animé par une folie des grandeurs qui combine néo-ottomanisme et panislamisme. Soutenu par une extrême droite nationaliste qui le maudissait naguère, il agite désormais le spectre d’une expansion territoriale et d’une union des peuples turcs et turciques que l’Arménie, par sa position géographique, entrave. « Une menace existentielle pour l’Arménie pourrait également devenir possible si les soldats de la paix turcs étaient déployés avec les soldats de la paix russes le long de la ligne de contact et dans le corridor de Lachin reliant l’Arménie à l’Artsakh, principalement parce que le président Recep Tayyip Erdogan a usé durant la guerre d’une rhétorique belliciste, qui faisait écho au génocide », explique Ohannès Geukjian.


C’est un conflit qui s’achève formellement dans la douleur pour l’Arménie avec un accord lourd de symboles. Sous la houlette de Moscou, Bakou et Erevan ont signé un cessez-le-feu total entré en vigueur dans la nuit de lundi à mardi, mettant fin aux hostilités entre les deux parties dans le conflit qui déchire le Haut-Karabakh depuis son intensification le 27 septembre dernier. Mais...

commentaires (3)

c'est ca ! alliez-vous avec l'Iran ! un pays failli comme va le devenir l'Armenie. le Tachnag local est un affidé du Hezbollah et de l'Iran

Lebinlon

12 h 49, le 11 novembre 2020

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Commentaires (3)

  • c'est ca ! alliez-vous avec l'Iran ! un pays failli comme va le devenir l'Armenie. le Tachnag local est un affidé du Hezbollah et de l'Iran

    Lebinlon

    12 h 49, le 11 novembre 2020

  • Le plus horrible dans cette histoire est qu'Israel prend position pour l'Azerbaidjan! Sans parler de la Russie qui n'a rien fait pour protéger les Arméniens...Cherchez le pétrole!

    Georges MELKI

    12 h 32, le 11 novembre 2020

  • POUTINE le suppose defenseur des chretiens d orient,abandonnant les armeniens a leur triste sort et HUMILIE par ERDOGAN......

    HABIBI FRANCAIS

    08 h 54, le 11 novembre 2020

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