C’est à grands pas que les tractations pour la formation du gouvernement avancent. Ne pouvant vraisemblablement provoquer un choc positif pour ce qui est du format du futur cabinet – qui ne sera vraisemblablement pas très différent des précédents puisque la pratique de la distribution des quotes-parts a été réinstituée –, le Premier ministre désigné Saad Hariri et le chef de l’État Michel Aoun espèrent marquer une percée positive en accélérant le processus.
En multipliant les visites mais aussi les pourparlers que les deux hommes tentent de placer autant que possible sous le sceau de la confidentialité, Saad Hariri et Michel Aoun souhaitent offrir aux Libanais et surtout à la communauté internationale, qui reste l’interlocuteur privilégié pour toute sortie de crise, un gouvernement sans trop tarder. Une manière pour la classe politique de restaurer a minima son image tellement écornée ?
C’est dans cette optique que l’on peut placer la visite, la troisième en quatre jours, de M. Hariri à Baabda pour soumettre au président un avant-projet de mouture comprenant uniquement la répartition entre les différentes communautés, mais sans noms et sans la distribution usuelle des portefeuilles entre les principales formations politiques. Certes, le processus n’en est encore qu’à ses débuts. Le plus dur reste à faire, à savoir l’exercice acrobatique consistant à répartir entre les différents protagonistes, et selon leur perception respective de leur poids politique, les portefeuilles régaliens et les ministères de services, très convoités pour des visées clientélistes. Plus que jamais, les chefs de file politiques ont besoin de récupérer l’assentiment d’une frange de leurs bases populaires respectives que la crise économique et le désenchantement ont jetées dans les bras de la contestation.
Mais d’ores et déjà, la bataille pour briguer le meilleur et le plus grand nombre de postes possible a commencé. Tôt hier matin, le chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane s’est rendu au palais de Baabda pour réserver au sein du futur cabinet sa part qu’il considère traditionnellement distincte de celle qu’ambitionne de briguer son rival politique druze, le chef du PSP Walid Joumblatt. Ce dernier concurrence d’ailleurs le Hezbollah pour le ministère de la Santé, un poste de services par excellence en temps de Covid-19. Hier, on apprenait en soirée, selon une source du PSP, que le Hezbollah pourrait être prêt à y renoncer.
Si M. Joumblatt peut espérer obtenir deux portefeuilles dans le cas d’un cabinet élargi, M. Arslane devra limiter son ambition à un seul, qui lui est généralement garanti par le biais du Courant patriotique libre. D’autres blocs qui ont facilité la désignation de M. Hariri – notamment les Arméniens ou le Parti syrien national social (PSNS) – en feront probablement autant, tant et si bien que chacun pourra légitimement prétendre au « droit » de se faire représenter tout autant que les principaux chefs de file. C’est ce qui expliquerait d’ailleurs que le nombre de ministres que devait comprendre au départ ce cabinet de sauvetage restreint pour plus d’efficacité ne cesse d’augmenter. De 14 ou 16 ministres, le nombre est passé à 18 puis à 20, et pourrait même être élargi à 24, comme s’il fallait faire avaler la pilule à petites doses.
C’est à ce titre notamment que le groupe parlementaire aouniste a tenu à rappeler hier, à l’issue de sa réunion hebdomadaire, son attachement au principe des « critères unifiés » dans la composition du gouvernement – comprendre qu’il faut contenter l’ensemble des parties – s’engageant par la même occasion à en faciliter le processus.
Le ministère des Finances exempté de la rotation
Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, le principe de rotation des portefeuilles est désormais acquis, exception faite de celui des Finances qui devrait rester entre les mains de la communauté chiite, comme le réclame le tandem Amal-Hezbollah.
Le député Kassem Hachem, membre du groupe parlementaire affilié au mouvement Amal, ne s’est pas privé de rappeler hier cette nouvelle règle imposée par la pratique des compromis et par les forces de facto. Les discussions « sont en cours » concernant le principe de rotation des portefeuilles ministériels entre les différentes communautés, « sauf en ce qui concerne le ministère des Finances », a-t-il déclaré lors d’un entretien à la presse.
Le ministère de l’Intérieur passerait ainsi aux mains des chrétiens, du président de la République plus précisément, qui semble désormais négocier aussi bien sa part que celle du Courant patriotique libre, dont le chef, Gebran Bassil, préfère à ce jour garder profil bas et affirme s’en être remis à son beau-père. À moins d’un retournement de situation majeur et d’un changement de l’alchimie entre MM. Hariri et Bassil, qui reste pour l’heure mauvaise. C’est ce que laisse penser cette réunion qui, selon des sources informées, se serait tenue dimanche au palais présidentiel, loin des médias, entre le Premier ministre désigné et le chef du CPL. Le portefeuille des Affaires étrangères, qui était ces dernières années détenu par des ministres affiliés ou proches du CPL, reviendrait aux sunnites et au Premier ministre désigné. Également dans la mouvance aouniste depuis des années, le portefeuille de l’Énergie resterait aux mains du CPL, selon Mounir Rabih qui parle d’un compromis conclu entre MM. Hariri et Bassil. Un nom circulait hier pour briguer ce poste : celui de Christian Comair, un homme d’affaires lié au Golfe et qui aurait une expertise dans le domaine des ressources gazières, selon une source informée. Le nom de M. Comair – qui dit-on jouit de bonnes relations aussi bien avec M. Hariri qu’avec M. Bassil – aurait été conseillé par l’homme d’affaires Ala’ Khawaja et l’ex-chef du bureau de M. Hariri, son cousin Nader Hariri. Ce dernier semble de retour dans les coulisses de la politique libanaise après en avoir été écarté à l’issue d’une purge effectuée au sein du courant du Futur. La question semble toutefois loin d’être tranchée car il est possible, selon notre correspondante à Baabda Hoda Chedid, que le portefeuille de l’Énergie soit accordé à la communauté arménienne (au Tachnag), en accord avec le président Aoun.
commentaires (12)
Pas trop mal . Ali Baba n'a que quarante voleurs.
Walid Jabri
17 h 25, le 28 octobre 2020