Tablant sur le climat positif que certains milieux politiques tentent d’insuffler, nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que le Premier ministre Saad Hariri aura déjà au moins une première mouture de cabinet à soumettre au chef de l’État d’ici à la fin de la semaine. Ce pronostic largement optimiste est contré par d’autres points de vue visiblement plus réalistes qui laissent entrevoir des difficultés d’autant plus prévisibles que l’on s’interroge toujours sur la marge de manœuvre des partis politiques et les conditions posées par les uns et les autres. On le sait d’expérience : dès que les partis politiques commencent à négocier leurs quotes-parts respectives, les choses se gâtent et la naissance du gouvernement ne se fait plus qu’au forceps.
Sauf que cette fois-ci, Saad Hariri, apparemment de connivence avec le chef de l’État, est décidé à travailler en toute discrétion et à ne révéler au public que le minimum de ce qui se déroule en coulisses. C’est ce qui ressort du mutisme observé par les milieux de Baabda et des démentis publiés ces derniers jours par le palais présidentiel. Un silence similaire est également observé dans les milieux proches du courant du Futur. L’idée est qu’en disant le moins possible, on arrivera ainsi à mieux préserver le secret de la recette appliquée. D’où l’hypothèse que le Premier ministre désigné a déjà une conception préalable de son cabinet, ce qui pourrait donc hâter le processus. Ce scénario supposerait donc que les différents protagonistes acquiesceront d’emblée à la proposition que leur fera Saad Hariri, ce qui paraît pour l’heure irréaliste.
À en croire l’avis d’un ancien chef de gouvernement, ce n’est pas de sitôt que le Premier ministre désigné pourra parvenir à son but : à savoir une équipe formée d’experts non partisans et complètement indépendants des partis, un processus qui prendra beaucoup de temps et occasionnera beaucoup de souffrances en cours de route, avant de mûrir. Pour cet ancien Premier ministre, qui s’est réuni dimanche soir avec Hariri ainsi que deux autres anciens chefs de gouvernement, Saad Hariri s’est engagé à assurer la mission de sauvetage et ne peut par conséquent rééditer l’expérience de son prédécesseur, Hassane Diab, en permettant aux différentes formations politiques de lui dicter le choix de leurs « experts » ou « spécialistes ». Une formule qui s’est soldée par un échec cuisant et qui n’a pas mené aux réformes et changements attendus. C’est la raison pour laquelle le leader du courant du Futur prendra son temps, tout son temps, dit l’ancien chef de gouvernement, quitte à ce que la situation finisse par frôler l’effondrement total. Jusqu’à ce que les acteurs en lice se rendent à l’évidence qu’il n’y a d’autre issue qu’un cabinet complètement indépendant des partis.
Sauf que M. Hariri ne peut vraisemblablement pas non plus réitérer l’expérience de Moustapha Adib qui, conseillé par ce même club des anciens Premiers ministres et ayant occulté le rôle des chefs de file y compris du président de la République, s’est vu forcé de rendre son tablier.
Aoun disposé à coopérer
Selon des informations obtenues par notre correspondant politique Mounir Rabih, la réunion avec les anciens chefs de gouvernement était principalement destinée à faire le point sur l’avancée des tractations. On apprenait ainsi que M. Hariri a informé ses pairs du climat qui a prévalu lors de ses réunions, samedi et dimanche, avec le président de la République. Devant ce dernier, M. Hariri aurait affirmé qu’il n’y a eu aucune entente ou marché concocté en amont ni avec le tandem chiite ni avec Walid Joumblatt, le chef du Parti socialiste progressiste, comme rapporté par les médias. Une manière de rassurer le chef de l’État, estime notre correspondant. Michel Aoun lui aurait fait part à son tour de sa disposition à collaborer, étant désormais persuadé que toute nouvelle obstruction ou confrontation politique ne manquera pas de torpiller les deux dernières années de son sexennat. Devant son interlocuteur, le président aurait insisté sur l’importance d’adopter des critères unifiés lors de la formation du cabinet et sur sa demande initiale qui est la rotation des portefeuilles. Une exigence quasiment irréalisable à la lumière de l’engagement fait, toujours en catimini, par M. Hariri auprès du tandem chiite à qui il aurait promis d’accorder les Finances et la prérogative de choisir leurs ministres, condition sine qua non pour son retour à la tête du futur gouvernement. Le principe de la rotation pourrait toutefois être appliqué partiellement. Des informations qui ont récemment circulé ont fait état d’une permutation des ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur entre le Futur et le CPL.
Visite à Bkerké
Au cours de cette semaine, le courant du Futur compte d’ailleurs envoyer une délégation à Bkerké pour calmer les appréhensions du patriarche maronite, Béchara Raï, qui craint qu’un deal ne se concocte entre-temps aux dépens des chrétiens. Dimanche, le prélat maronite avait exhorté Saad Hariri à appliquer la rotation à l’ensemble des portefeuilles ministériels, mais aussi à ne pas occulter la part des chrétiens, mettant en garde contre les « accords bilatéraux secrets ». Et de conseiller en même temps au Premier ministre de passer outre « les conditions et contre-conditions des formations politiques », l’exhortant à mettre « de côté le bourbier des intérêts personnels, du partage du gâteau et des appétits des responsables politiques et confessionnels ».
Hier, Mgr Raï est revenu à la charge à l’occasion de l’ouverture des travaux du synode maronite, appelant à un plan de sauvetage et à la mise en œuvre immédiate des réformes. « Ensuite, il faut travailler à restructurer le pouvoir conformément à la Constitution », a-t-il dit.
commentaires (8)
Un MERCI ! ému à Salim LTEIF pour son MERCI de hier, et une question privée: êtes-vous parent avec Habib LTEIF, jadis directeur du CNT LIBANAIS ??? - Irène Saïd
Irene Said
12 h 00, le 28 octobre 2020