Deux importantes institutions libanaises, l’Hôpital du Mont-Liban (MLH) et l’Université libano-américaine (LAU), une grande université privée, ont rompu, apparemment de manière abrupte, leurs liens lundi soir, suite à une polémique sur la liberté et le pluralisme religieux.Nazih Gharios, actionnaire majeur et président du conseil d’administration de l’hôpital privé du Mont-Liban, a déclaré à al-Jadeed que son institution n’avait désormais plus de contrat avec la LAU en ce qui concerne la formation en soins infirmiers. La rupture du contrat a été confirmée par une source à la LAU.
Cette décision intervient alors que huit étudiantes infirmières voilées avaient reçu, jeudi dernier, un e-mail de la part de leur professeur à la LAU leur indiquant qu’elles ne seraient pas autorisées à effectuer leurs formations cliniques à l’Hôpital du Mont-Liban, en raison de la politique de l’hôpital interdisant le port du voile par les étudiantes. Ce que l’hôpital a catégoriquement nié. Les étudiantes étaient censées commencer leurs formations en rotation au MLH mardi.
« Nous n’arrivons pas à le croire, c’est absolument scandaleux », déclare une des étudiantes, qui a souhaité garder l’anonymat afin de ne pas compromettre ses études. La formation en rotation dans cet hôpital est particulièrement importante, poursuit-elle, car elle permet aux étudiants de travailler au sein d’une unité psychiatrique.
L’affaire a pris un nouveau tour quand, il y a quelques jours, des étudiants ont diffusé cet e-mail sur les réseaux sociaux. Cette diffusion a suscité une vive réaction de la part de Myrna Doumit, doyenne adjointe de l’école d’infirmières de la LAU et présidente de l’ordre des infirmières du Liban, qui, en réaction, a envoyé un second e-mail à certains étudiants.
Dans son message, Doumit se dit d’abord déçue par le « manque de professionnalisme et le comportement irresponsable des étudiants », et affirme que diffuser de tels messages sur les réseaux sociaux risque de « compromettre les chances de toute la classe d’intégrer cet hôpital » ainsi que « la réputation de la LAU ». Elle demande ensuite la suppression de ces publications, menaçant les étudiants de retarder voire d’annuler leur remise de diplôme. Les étudiants concernés ont supprimé les publications en question, non sans avoir, au préalable, diffusé l’e-mail de Mme Doumit...
Réagissant à la polémique qui s’est déclarée en ligne, la LAU a publié un communiqué samedi dans lequel elle assure « rejeter sans équivoque toute forme de discrimination, qu’elle soit fondée sur la religion, le genre ou tout autre motif ». Dans le communiqué, signé par le président de la LAU, Michel Mawad, ce dernier assure aux étudiants que, contrairement aux menaces évoquées par Mme Doumit, leur diplôme n’est en jeu. « La LAU continuera de vous trouver des places et de vous aider à obtenir votre diplôme dans nos propres centres médicaux ou dans les hôpitaux affiliés avec qui nous partageons les mêmes valeurs », peut-on aussi lire dans ce communiqué qui met l’accent sur les « valeurs » de l’université.
La veille, les étudiants s’étaient entretenus virtuellement avec Myrna Doumit et Costantine Daher, doyenne par intérim de l’école d’infirmières. Selon l’une des étudiantes présentes, Daher aurait expliqué que des négociations avec l’Hôpital du Mont-Liban étaient en cours, mais que les étudiantes, en tant qu’« invitées », étaient tenues de respecter les règles de l’hôpital. Les étudiantes ont été informées que l’hôpital n’accepte pas d’infirmières voilées, qui portent généralement des manches longues en plus du foulard, pour des « raisons d’hygiène ».
D’après une jeune diplômée du programme de soins infirmiers de la LAU, il ne s’agit pas d’un incident isolé. La femme en question, qui porte également le voile et a demandé à garder l’anonymat de peur de perdre son emploi actuel, précise avoir également été empêchée d’effectuer sa formation en rotation au MLH. « Ils se sont simplement contentés, sans plus de détails, de me dire que leur politique ne leur permettait pas d’accepter d’infirmières portant le voile », déclare-t-elle.
L’hôpital, pour sa part, a catégoriquement nié l’existence d’une telle politique dans un communiqué publié samedi, affirmant ne souscrire à aucune politique discriminatoire et qualifiant de « honteux » les propos tenus à l’encontre du MLH.
Rola Gharios, actionnaire et directrice générale adjointe de l’hôpital, a déclaré plus tard à L’Orient Today : « Toutes les étudiantes ayant les compétences et capacités nécessaires seront acceptées, qu’elles soient voilées ou pas. » Après avoir précisé ne pas être au courant de tous les détails de l’affaire, elle a néanmoins précisé croire qu’il s’agit là probablement d’un malentendu entre les membres du personnel des deux parties.
Deux heures plus tard, son frère Nazih annonçait en direct à la télévision la rupture du contrat entre le MLH et la LAU. Un contrat récemment conclu en juillet entre le MLH et l’université de Balamand, a-t-il précisé, empêchait l’hôpital d’accepter des étudiants venant d’autres universités. Les responsables de l’Université de Balamand n’ont pour l’instant pas pu être contactés à ce sujet.
L’annonce soudaine de la fin de la collaboration entre la LAU et le MLH aura des répercussions immédiates sur les étudiants en soins infirmiers, qui sont tenus d’effectuer des rotations cliniques afin d’obtenir leur diplôme et de pouvoir entrer dans le monde professionnel.
Mardi matin – le jour où elles devaient entamer leurs formations –, les élèves ne savaient toujours pas ce qu’il en était de leur formation.
(Cet article a été publié originellement en anglais le 20 octobre 2020 dans L’Orient Today)
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Lorsqu’on a refusé de me servir de l’alcool dans un grand hôtel de Beyrouth car c’était le moment de l’Iftar durant le mois de Ramadan, j’ai accepté sans crier au scandale par égard envers mes concitoyens, je n’avais qu’à traverser la Place pour consommer de l’alcool sans aucune restriction. Les infirmières qui veulent rester voilées n’ont qu’à changer d’hôpital et de se voiler de la tête aux pieds si elles en sont convaincues. C’est leur droit le plus absolu comme c’est notre droit de refuser cet accoutrement dans nos établissements.
Lecteur excédé par la censure
14 h 59, le 21 octobre 2020