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Lifestyle - Musique

En Iran, une polyphonie féminine qui veut faire entendre sa voix...

En Iran, une polyphonie féminine qui veut faire entendre sa voix...

Le groupe féminin iranien Dingo lors du « Festival international de musique du golfe Persique », en Iran, en avril 2019. Atta Kenare/AFP

Le groupe a fini de chanter et la salle s’est embrasée : applaudissements nourris des hommes et youyous des femmes pour une ovation debout. Le spectacle pourrait sembler banal s’il n’avait lieu en Iran avec un quatuor exclusivement féminin sur scène. « J’étais vraiment heureux de pouvoir être là et de te voir » jouer et chanter, dira Sassan Heydari à son épouse Néguine, l’une des quatre musiciennes acclamées ce soir-là à Bandar Abbas, à l’issue de la représentation. Avant ce concert, Sassan, marié à Néguine depuis dix ans, n’avait jamais pu assister à un tour de chant de sa femme sur les planches parce qu’un interdit religieux restreint considérablement l’exercice public des vocalises féminines en République islamique d’Iran.

Si le groupe Dingo a pu se produire devant un public mixte, c’est que les règles se sont un peu assouplies depuis quelques années. Selon Sahar Taati, ancienne directrice du département Musique au ministère de la Culture et de la Guidance islamique (Erchad), aucune loi iranienne n’interdit spécifiquement aux femmes de chanter devant une audience mixte. Mais une majorité de mollahs estiment que le chant féminin est « haram » (« interdit » pour des motifs religieux) en ce qu’il serait à même de stimuler une excitation sensuelle susceptible de jeter les hommes dans le stupre, explique Mme Taati.

D’une manière générale, la musique profane est mal jugée par le clergé chiite, qui y voit un divertissement éloignant les fidèles des préoccupations religieuses. Son interdiction, décrétée rapidement après la victoire de la révolution islamique de 1979, a été progressivement levée, mais pas intégralement. Et les restrictions sont légion : tout concert doit être approuvé par Erchad et il reste quasi impossible pour une chanteuse de se produire en soliste – dans un cadre légal – autrement que devant d’autres femmes. Mais « des femmes peuvent chanter devant un auditoire mixte si elles chantent ensemble, à plus de deux, ou si une femme seule chante accompagnée par un homme dont la voix sera toujours au moins aussi forte que la sienne », explique Mme Taati. C’est ainsi qu’un metteur en scène iranien a pu monter à l’hiver 2018-2019 une adaptation en persan de la comédie musicale Les Misérables à Téhéran : les solos féminins y étaient soutenus par la voix d’une autre chanteuse apparaissant dans l’ombre côté jardin.

À Bandar Abbas, grande ville portuaire du sud iranien, l’aventure du groupe Dingo, auquel a participé Néguine Heydari (36 ans), a commencé fin 2016. Selon Malihé Chahinzadé (34 ans) et Faézé Mohseni (31 ans) tout est parti d’une discussion sur la plage. Les deux jeunes femmes, déjà musiciennes, décident « de commencer à jouer des instruments » traditionnels. Il faut alors monter un groupe. Rapidement, Néguine, qui a grandi dans le même quartier, les rejoint. Via Instagram, Nouchine Youssefzadé (26 ans) vient s’ajouter au trio. Dingo – mot qui en dialecte bandari évoque les premiers pas fragiles d’un nourrisson – est né.

Au départ, c’est Faézé, au dohol (tambour à deux peaux), qui chante, seule, accompagnée par Malihé au pipère, un tambour traditionnel qui se joue à l’aide d’une baguette incurvée, Néguine au kassère, un autre type de tambour à deux peaux, et Nouchine au luth oriental (oud). Mais cette configuration contraint les quatre musiciennes à se produire uniquement devant des femmes. Jusqu’au jour où elles prennent conscience qu’en chantant à plusieurs, elles pourraient se présenter devant des auditoires mixtes. Le groupe tente sa chance, mais les complications bureaucratiques sont immenses.

Refusant de s’étendre sur les difficultés rencontrées par Dingo pour se produire devant un public mixte, Néguine Heydari confie simplement : la plupart du temps, « on abandonnait ». Elles parviennent néanmoins à jouer et chanter ensemble devant des hommes et des femmes lors du Festival du oud de Chiraz en juillet 2018. Et lorsqu’elles apprennent qu’un Festival international de musique du golfe Persique – tout ce qu’il y a de plus officiel – se tiendra dans leur ville en avril 2019, les quatre musiciennes de Dingo posent leur candidature. Elles n’obtiennent confirmation de leur sélection que quelques jours avant le concert, ce qui contraint le quatuor à des journées de répétitions forcenées « pour parvenir à chanter en chœur », raconte Malihé Chahinzadé. Sur scène ce soir-là, les Dingo, en costume traditionnel, mettent toute leur énergie au service du répertoire de la musique bandarie : rythmes effrénés soutenant des paroles de chansons populaires transmises de génération en génération. Le public est séduit facilement et le jury leur discerne un prix. « On a le sentiment d’avoir été enfin vues (...) par une nouvelle frange de la société », a dit Nouchine à l’issue de la représentation.

Les femmes de Dingo (elles sont aujourd’hui deux sur quatre à travailler) se voient volontiers comme des « pionnières » et s’estiment heureuses d’avoir été pleinement soutenues par leurs familles, plutôt aisées. Depuis le concert d’avril 2019, Néguine a quitté le groupe. On évoque des « différends artistiques ». Une guitariste, Mina Molaï, a pris sa place.

Source : AFP

Le groupe a fini de chanter et la salle s’est embrasée : applaudissements nourris des hommes et youyous des femmes pour une ovation debout. Le spectacle pourrait sembler banal s’il n’avait lieu en Iran avec un quatuor exclusivement féminin sur scène. « J’étais vraiment heureux de pouvoir être là et de te voir » jouer et chanter, dira Sassan Heydari à son épouse...

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