En violation de trois décisions de justice ordonnant l’arrêt immédiat des travaux dans la réserve naturelle d’Ehden au Liban-Nord, le projet d’asphaltage d’une route d’un kilomètre et demi de longueur dans le périmètre même de la réserve, un projet entrepris par la municipalité, a été mené à bout hier manu militari. Déjà en septembre dernier, deux décisions de justice contre ce projet, qui met en péril la biodiversité de ce site exceptionnel, avaient été émises par le juge des référés de Zghorta, Tanios el-Hayek, puis par l’avocat général statuant dans les affaires à caractère écologique, Ghassan Bassil. Les deux décisions réclamaient l’arrêt des travaux dans la réserve le temps qu’une étude d’impact environnemental soit réalisée. Elles n’ont pas pour autant empêché une reprise récente des travaux d’asphaltage de cette route. Mercredi, la reprise des travaux a fait l’objet d’une nouvelle décision judiciaire du juge Hayek, ordonnant leur arrêt immédiat. En vain.
Le projet est largement contesté par la société civile. Des activistes ont manifesté mercredi devant la réserve : sous le regard des forces de l’ordre, notamment de l’armée libanaise, ils ont été agressés par des partisans des Marada. Boulos Doueihy, architecte géographe et militant antipouvoir, a même été arrêté puis aussitôt relâché par les services de renseignements de l’armée.
Interrogé par L’Orient-Le Jour sur les raisons pour lesquelles la municipalité a mené à bout le projet au mépris des décisions de justice, le président du conseil municipal de Zghorta-Ehden, Antonio Frangié, affilié au courant Marada, s’est refusé à commenter l’affaire. Dans un communiqué de presse publié hier dans l’après-midi, le groupe « Zghorta Zawyé Tantafed », hostile au projet, a considéré que la « violation de la loi par la municipalité et l’agression des activistes par des partisans des Marada est la preuve que le caza de Zghorta subit le joug des forces du fait accompli ». « Le leader du caza agit comme si la réserve naturelle d’Ehden était son jardin privé », poursuit le communiqué, en allusion au président des Marada, l’ancien député Sleimane Frangié.
Un « vrai scandale »
Joint au téléphone par L’OLJ, l’activiste Boulos Doueihy évoque un « vrai scandale ». Selon lui, une grande surface de la route en question s’étend sur 900 mètres au cœur même de la réserve naturelle, alors que les 500 mètres restants longent la frontière du site. « Ces travaux n’auraient pas dû être entrepris sans la réalisation d’une étude d’impact environnemental et sans l’autorisation du ministère de l’Environnement, or les autorités locales en faveur de ce projet ont fait fi de la loi », souligne-t-il. Il poursuit : « Les autorités locales n’ont pas la compétence requise pour décider d’un tel processus, l’initiative d’un pareil projet devrait venir du comité de la réserve. Or le mandat non renouvelable de ce comité a expiré depuis deux ans! » Il semble donc que les autorités locales et le courant des Marada se soient ainsi trouvés devant une impasse, décidant de recourir à la force pour réaliser leur projet.
À la question de savoir pourquoi la troisième décision de justice, émise mercredi, n’a pas abouti à l’arrêt des travaux, M. Doueihy affirme que les autorités locales, en coordination avec les forces de l’ordre, ont tout fait pour en retarder la mise en application, le temps que les travaux soient complètement finalisés et que les détracteurs du projet se retrouvent devant le fait accompli.
Des prétextes pour se justifier
Sur les réseaux sociaux, des partisans des Marada se servent de l’exemple de deux routes asphaltées à l’entrée de la réserve des Cèdres du Chouf (caza du Chouf) pour justifier la décision de la municipalité de Zghorta-Ehden. Pour Paul Abi Rached, fondateur de l’association Terre-Liban et du Mouvement écologique libanais (LEM), cet argument n’est en réalité qu’un prétexte. « Il est très important de préciser que ces deux routes dont on parle ont été asphaltées en 2000, donc avant l’entrée en vigueur de la loi 444/2002 relative à la protection de l’environnement, le décret 8633/2012 définissant les critères de l’étude d’impact environnemental, ainsi que la loi sur les réserves naturelles adoptée en 2019 », précise-t-il. De surcroît, les routes du Chouf sont de 3,5 mètres de largeur, note M. Abi Rached, alors que celle qui vient d’être asphaltée à Ehden est de… 10 mètres. « Le cas du Chouf n’est donc pas comparable à celui d’Ehden d’autant que les responsables de la réserve du Chouf remettent aujourd’hui en question la justesse de leur décision d’asphalter les deux routes », ajoute-t-il. Contacté par L’OLJ, le ministre sortant de l’Environnement Damien Kattar est aux abonnés absents.
Les habitants qui se plaignent de ce désastre écologique voteront les mêmes lorsqu’ils se représenteront. Alors après il faut assumer son choix des nuls puisque dans notre pays une fois élu, les électeurs deviennent quantités négligeables et la région une propriété privée de l’élu. Il faut réfléchir avant de glisser le papier dans les urnes, après c’est trop tard.
12 h 37, le 26 octobre 2020