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Culture

La thaoura, un an après : paroles d’artistes I

Un artiste est, par essence, un citoyen (du monde) politisé. Il rêve, revendique, milite, critique, dénonce, s’engage, proteste, imagine, propose. Six artistes racontent, douze mois après le 17 octobre 2019, leurs déceptions, espoirs ou colères....

La thaoura, un an après : paroles d’artistes I

Josyane Boulos. Photo DR

Hanane Hajj Ali : La thaoura est comme un théâtre en chantier

Hanane Hajj Ali. Photo Nora Awsabe

« Il était impensable que je ne participe pas aux mouvements de contestation », s’indigne Hanane Hajj Ali* qui considère l’éventualité de la chose comme étant « absurde ». Militante de la première heure, l’actrice, dramaturge et metteure en scène n’en est sûrement pas à sa première révolution. Ni à sa dernière. Elle considère d’ailleurs que la thaoura n’a pas été déclenchée subitement le 17 octobre 2019. « Elle est la résultante de plusieurs événements successifs, d’un processus qui a été entamé depuis longtemps. » La révolution, en somme, c’est comme une pièce de théâtre en chantier. Un « work in progress ». « Parmi les prémisses, les manifs pour demander un État laïc, les manifs lors de la crise des déchets, les mouvements contre la corruption, les vols, les agressions contre l’environnement, la justice, les droits de l’homme, la dignité du peuple, la liberté d’expression », énumère Hajj Ali.

Quand le premier rassemblement contestataire a eu lieu à Beyrouth le 17 octobre 2019, Hanane Hajj Ali se trouvait à Montréal pour y présenter sa pièce Jogging. Mais la distance géographique ne l’empêche nullement d’entrer de plain-pied dans les mouvements. Premier réflexe : elle rédige un prologue à la pièce en y adressant tous les points de lutte de la thaoura.

Avec le confinement, les manifestations se sont restreintes, mais les rues sont-elles vraiment vides, se demande la femme de théâtre. « L’esprit du 17 octobre est-il seulement représenté dans les manifestations de la place des Martyrs ? Je ne le pense pas. Les révolutions qui survivent sont celles qui se demandent comment évoluer, qui revisitent leur stratégie, leurs tactiques. L’esprit du 17 octobre se manifeste partout dans le cœur de la ville, sur tous les fronts, dans la presse, dans le système judiciaire, dans l’art… Il y a certes beaucoup de déception et de nombreux jeunes sont partis pour assurer l’avenir. Déçus? Nous le serons tant que ce système est toujours là. Mais déçus de la révolution ? Pas du tout. C’est un travail de longue haleine. Il viendra ce jour où nous offrirons à nos enfants un pays nettoyé de toutes ses ordures. »

*Actrice, dramaturge et metteure en scène.

Yazan Halwani : Les choses ne peuvent plus revenir comme avant

Yazan Halwani, autoportrait. Photo DR

Le 17 octobre 2019, lorsque le mouvement de révolte a débuté, Yazan Halwani* n’était pas au Liban. « J’étais à Boston où je poursuivais mes études. Et comme la plupart des Libanais qui se trouvaient à l’étranger, j’ai vécu ce moment historique avec enthousiasme, scotché 24h sur 24 à mon écran pour en suivre les développements. À mon retour à Beyrouth, en décembre, je suis immédiatement descendu sur les places de la contestation. En été aussi, j’ai participé à chacune des manifestations », déclare-t-il.

Un an plus tard, son « espoir d’un changement » ne s’est pas dissipé. « Malgré la lassitude perceptible sur le terrain, malgré le fait que la révolution n’a pas engendré de leaders, malgré la peur de ce qui peut advenir, je ne suis pas de ceux qui pensent que la révolution est définitivement inaboutie, assure-t-il. Mais, en même temps, je ne me fais pas d’illusions sur la disparition du jour au lendemain d’un système hégémonique aussi fortement incrusté. Toutes les histoires des révolutions à travers le monde ont démontré qu’elles prennent du temps à se réaliser pleinement. Aujourd’hui, nous sommes dans l’étape de crise du pouvoir et les choses ne peuvent plus revenir comme avant. Car le système économique “clientéliste” des partis politiques traditionnels est ébranlé. La confiance dans les taux d’intérêt et l’envoi d’argent des expatriés, sur lesquels ils s’appuyaient pour financer leurs adhérents, ont disparu. Et c’est de cet espace-là que vont peut-être émerger des alternatives nouvelles en matière de gouvernance. »

Établi actuellement à Londres pour des raisons professionnelles, le jeune artiste n’a pas perdu son souffle révolutionnaire. Il l’exprime d’ailleurs artistiquement dans une série de toiles qui abordent les thèmes du « chaos et de l’identité paradoxalement migratoire du pays du Cèdre », qu’il viendra présenter en fin d’année en galerie à Beyrouth. Convaincu malgré tout que « de cette période grise dans laquelle nous nous trouvons actuellement peut surgir un début de changement… ».

*Peintre, graffeur et sculpteur.

Josyane Boulos : Les derniers à quitter le navire ou à le remettre à flot

Josyane Boulos. Photo DR

« Je ne veux plus parler de résilience, je suis en colère et je compte le rester. »

Le 17 octobre 2019, Josyane Boulos se trouvait à Paris pour un projet prévu pour mai 2020, la semaine du théâtre libanais à Paris (qui n’a évidemment pas eu lieu pour cause de Covid-19). « Je n’étais pas branchée sur la Wi-Fi en journée, et en rentrant le soir, mon cœur s’est emballé. Je pleurais de joie, mon peuple s’était enfin réveillé. J’ai très peu dormi cette nuit-là, et pour la première fois depuis très longtemps, j’avais hâte d’être à Beyrouth pour me mêler à cette foule exaltée et exaltante. Je m’abreuvais des images postées sur les réseaux sociaux, je racontais à tous mes amis que le Liban était sauvé. Enfin ! »

Et voilà comment dès son retour au pays, elle rejoint le mouvement révolutionnaire. Tantôt par sa présence sur le terrain, tantôt en participant à des projets de documentaires, de théâtre collectif, d’écriture. « Je ne pensais plus qu’à ça », dit-elle.

Et puis est arrivée la déception : « Si mon expérience de vie au Liban m’avait prouvé que le gouffre entre les communautés (qu’elles soient religieuses, politiques, sociales ou culturelles) était colossal, je fus quand même sidérée de voir que nous étions incapables de nous unir pour sauver notre pays, et que la sclérose avait touché la majorité des cerveaux. » Josyane Boulos se tourne alors vers son ultime arme de résistance, la culture. Elle monte la pièce Sobhieh au théâtre Monnot qui récoltera un grand succès.

Alors aujourd’hui croire ou ne plus croire ?

« Je veux y croire encore, dit-elle, parce que nous n’avons pas le choix. Notre génération, que j’appelle affectueusement les “derniers dinosaures”, les témoins de ce que fut un Liban, raconté par nos parents, est condamnée à se surpasser. Nous devons être les derniers à quitter le navire ou à le remettre à flot. Et à ceux qui nous accusent de tous les maux, d’être la cause de toute cette gabegie, et nous conseillent de laisser la place à la jeune génération, j’aimerais juste rappeler que cette jeune génération, dans la rue le 17 octobre et après le 4 août, est sortie de nos entrailles et a été éduquée par les “derniers dinosaures”. Je suis tout à fait prête à redescendre dans la rue, à n’importe quel moment, parce qu’il n’y a pas plus noble cause que le Liban. »

*Auteure, productrice (62 Events), metteure en scène et actrice de théâtre.

Junaid Sarieddine : Il faut préparer un projet qui tienne la route

Junaid Sarieddine. Photo DR

« Je descends dans la rue depuis 2011 pour contrer ce système féodal et essayer de comprendre ce que l’on considère comme politique, déclare d’emblée Junaid Sarieddine*. En 2019, le 17 octobre, je n’étais pas avec des militants ou des institutions. Mais je suis revenu à la rue, car ça me parlait : je voulais savoir ce qui se passe, avec une pointe d’espoir pour un changement. » « En 2011, ajoute l’homme de théâtre, j’avais peur, car c’était une expérience dure : beaucoup de travail pour un investissement à long terme. C’est une bataille qui nécessite de l’haleine, reconnaît-il. Je sens que le 17 octobre est un grand pas vers l’avant. Il a établi l’échec d’un système et tente de le remplacer ; c’est une idée qui perdure. C’est vrai, faire table rase perturbe tant qu’on n’a pas trouvé ce qui peut suppléer. Il faut se préparer à un nouveau système. La politique c’est continu et journalier, et l’amateurisme est à exclure. Il faut préparer un projet qui tienne la route. La légitimité de la rue c’est un fait accompli et reconnu », estime celui qui ne croit pas à la caste politique du passé. « Je descendrais une fois de plus dans la rue, car le bilan de l’année dernière n’est pas négligeable, indique Sarieddine. Je crois qu’il faut continuer à œuvrer, parler, agir, pour changer le système. Et montrer le refus de ce qui nous a été imposé. On est intransigeant pour ne plus donner crédit à ce qui se passe et exiger une classe politique qui nous respecte. Une caste politique différente qui nous donne la dignité perdue. » En tant qu’activiste, Junaid Sarieddine estime qu’il faut continuer à soutenir l’idée du changement. « On doit se concentrer et focaliser sur cette idée de réaliser ce que l’on a déjà entamé. Je dois donner chaque seconde pour ce auquel je crois. ll faut être à la hauteur de ses engagements. Pour vivre à un endroit, il faut s’y accrocher. Je descendrai par conséquent dans la rue et je participerai à la voix et aux mouvements du peuple et de la masse. » Et de conclure : « Cela doit continuer et je voudrais voir, après tout ce temps, comment est la rue… »

*Acteur, dramaturge, metteur en scène et membre de Zoukak.

Waël Kodeih : Aujourd’hui, je ne suis plus très optimiste

Waël Kodeih. Photo Tanya Traboulsi

Il a toujours été dans la remise en question, dans l’introspection, dans la déconstruction d’une œuvre, d’une musique et le désir de renouveau. Bref de tout ce qui est bien (ou mal) enraciné. C’est ainsi que ce rappeur, slameur s’est fait connaître sous le nom de Rayess Bek. Comment alors peut-on imaginer l’auteur-compositeur rester immobile devant la vague du 17 octobre qui a déferlé sur le Liban tout entier et qui continue à battre dans les poumons de tout révolutionnaire ? D’ailleurs sa composition La thawra, écrite en 2011, était prémonitoire. Composée à l’époque des révolutions libyenne, tunisienne et égyptienne, elle sera huit ans plus tard adoptée par la plupart des Libanais comme un hymne. « Je n’ai pas choisi cela, mais quand je l’ai écrite je voulais une chanson fraîche qui fasse bouger. » Depuis le 17 octobre, Waël Kodeih écume le terrain avec sa compagne, interrogeant les citoyens et enregistrant le quotidien. « Mais aujourd’hui, dit-il, je ne suis plus très optimiste. Beaucoup de révolutionnaires qui étaient dans les rues les désertent. À cause du coronavirus, de la crise économique ou tout simplement par dépit, à la recherche d’autres opportunités. Comment la révolution va-t-elle rebondir ? De plus, ce mouvement au Liban est très complexe. Nous n’avons pas affaire à un leader corrompu, mais à plusieurs. Ce n’est pas un Hosni Moubarak ou un Kadhafi qu’il faut déboulonner. » C’est une hydre à plusieurs têtes. La situation est donc très compliquée. Waël Kodeih s’est questionné même après le 4 août sur le métier utile et le métier inutile (à voir sur sa page Facebook). « Si mon métier est peut-être inutile, dit-il, il est cependant nécessaire. Car si notre société aujourd’hui, une société en détresse, n’a plus de culture et n’a plus d’espace de rencontre où l’on peut partager un repas, des idées ou des émotions, alors nous ne sommes que des primates qui essayons de survivre, de se nourrir. On n’a pas le droit de réduire aujourd’hui l’être humain dans une société contemporaine – et particulièrement le Libanais – à cette situation-là. »

* Musicien, auteur, compositeur, interprète et artiste hip-hop.

Khaled Mouzannar : La thaoura n’a pas pu avoir un projet politique clair

Khaled Mouzannar. Photo DR

« Bien sûr que je suis descendu dans la rue dès les premiers jours des manifestations, affirme d’emblée Khaled Mouzannar. J’ai fermé des routes et j’ai mêlé ma voix à celles de la grogne et la colère populaires. J’ai été un des partisans, militants et activistes de cette vague. » Vague que le musicien et compositeur estime toujours nécessaire pour enrayer la chute du pays et changer le cours des événements. « Mais la vague a été stoppée par la brusque arrivée et expansion du Covid-19 et l’inexorable faillite financière », ajoute-t-il. Les préoccupations financières et les longues files d’attente aux portes des banques l’ont emporté sur le devoir de militant… Pour Mouzannar, plusieurs déceptions sont survenues. « Tout d’abord, la thaoura n’a pas pu avoir un projet politique clair. Beaucoup d’idées ont été débattues, mais deux problèmes essentiels n’ont pas pu être élucidés : la présence d’une milice armée illégale (la thaoura n’a pas parlé de cela) et le vrai problème resté entier, c’est la gestion du pluralisme. Nous sommes un pays de diversité et ça ne peut être centralisé. » Pour le musicien, il reste toutefois des notes d’optimisme. « La thaoura fait peur au système politique mafieux, affirme-t-il. Ça a créé une “aura” qui a de l’efficacité et ça, je l’ai expérimenté personnellement. La classe politique ne peut plus agir de la même manière qu’autrefois. L’action politique ne va plus être la même. Il est clair qu’on doit composer avec la thaoura. » Pour cette première année écoulée, surtout après l’explosion du 4 août, Khaled Mouzannar dit avoir milité pour une action radicale. Pour une fermeture de tout. « Mais maintenant, c’est un peu tard, dit-il, je ne vois pas un mouvement populaire. À terme, nos appels aux manifestations n’ont pas abouti. » La solution ? « On était dans un système en faillite. Il faut tout détruire pour reconstruire, dit-il. Ne pas fuir, ne pas partir, ne pas accepter les armes illégales et travailler sur un système décentralisé. »

*Musicien, compositeur et producteur.


Hanane Hajj Ali : La thaoura est comme un théâtre en chantier Hanane Hajj Ali. Photo Nora Awsabe« Il était impensable que je ne participe pas aux mouvements de contestation », s’indigne Hanane Hajj Ali* qui considère l’éventualité de la chose comme étant « absurde ». Militante de la première heure, l’actrice, dramaturge et metteure en scène n’en est...

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PORTEZ VOS MASQUES, GARDEZ VOS DISTANCES, UNISSEZ-VOUS TOUTES CONFESSIONS... LA FAIM ET LE DESESPOIR ET L,INCERTITUDE DU FUTUR EN SONT LES CIMENTS... ET QUE LA REVOLUTION, LA GRANDE REVOLUTION, VOUS ENTRAINE TOUTES MASSES CONFESSIONNELLES CONFONDUES ET UNIES, ET N,ARRETEZ QU,EN ACHEVANT VOS BUTS. DEGAGEZ-LES DE MALGRE PUISQU,ILS NE DEGAGENT PAS DE BONGRE !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 12, le 16 octobre 2020

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Commentaires (1)

  • PORTEZ VOS MASQUES, GARDEZ VOS DISTANCES, UNISSEZ-VOUS TOUTES CONFESSIONS... LA FAIM ET LE DESESPOIR ET L,INCERTITUDE DU FUTUR EN SONT LES CIMENTS... ET QUE LA REVOLUTION, LA GRANDE REVOLUTION, VOUS ENTRAINE TOUTES MASSES CONFESSIONNELLES CONFONDUES ET UNIES, ET N,ARRETEZ QU,EN ACHEVANT VOS BUTS. DEGAGEZ-LES DE MALGRE PUISQU,ILS NE DEGAGENT PAS DE BONGRE !

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    11 h 12, le 16 octobre 2020

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