« As-tu fait du pain ce mois-ci ? » : une campagne originale contre le cancer du sein

« Assurez-vous que les deux pâtes à pain sont de forme, taille et couleur identiques. Avec vos trois doigts ainsi que la paume de votre main, pressez la première pâte en mouvements circulaires, en partant du contour jusqu’à arriver au centre, tout en vérifiant qu’elle ne présente pas la moindre petite boule. Une fois au centre, pincez doucement (…), puis palpez la pâte en lignes verticales. Procédez de même avec l’autre pâte, et recommencez tous les mois. » Dans une vidéo, la boulangère Oum Ali donne une recette de fabrication du pain. Mais c’est en fait une autopalpation des seins qu’elle enseigne dans le cadre d’une campagne de sensibilisation contre le cancer du sein. Voilà le moyen accessible de détection précoce qu’a choisi la Lebanese Breast Cancer Foundation (LBCF), présidée par le Dr Nagi Saghir, pour une campagne de lutte contre cette maladie qui constitue 35 % des cancers chez les femmes (selon la LBCF).

« L’idée émane d’une agence française de communication, McCann », indique Mirna Hoballah, vice-présidente de la fondation, dont le siège est à l’American University of Beirut Medical Center (AUBMC). « Observant qu’au Liban beaucoup de femmes sont réticentes à se soumettre à des mammographies et des examens médicaux, l’agence a pensé à la réalisation d’une vidéo dans laquelle les femmes apprendraient à se palper les seins comme on pétrit une pâte », explique-t-elle.

Présentée en janvier à la fondation, la proposition de McCann est accueillie avec enthousiasme. Mme Hoballah en informe l’hôpital et contacte des médecins, notamment Ghina Ghaziri, gynécologue, ainsi que des survivantes de la maladie. Dans le même temps, l’agence publicitaire joint la réalisatrice Danielle Rizcallah, qui s’embarque aussitôt. L’équipe se forme également avec Barbara Massaad, auteure de plusieurs livres dont Man’oushé (2005), pour qui la farine n’a aucun secret. Kamal Mouzawak, créateur de Souk el-Tayeb, y participe aussi. En juillet dernier, la vidéo était fin prête pour être diffusée mais c’est octobre, mois international des campagnes de sensibilisation et d’action contre le cancer du sein, qui a été choisi pour sa publication.

Briser les tabous

« Le film a pour objectif de briser les tabous souvent ancrés dans les populations de la montagne et des régions reculées », indique Danielle Rizkallah, estimant qu’« en le visionnant, les femmes devraient réaliser qu’avec des gestes simples et faciles, elles peuvent sauver leur vie ». Selon la réalisatrice, une telle campagne originale, qui utilise une méthode amusante pour un dépistage précoce, est de nature à réduire les problèmes culturels liés au refus de détection. « Beaucoup de femmes pensent que le cancer du sein ne peut les atteindre, arguant qu’il ne figure pas dans leurs antécédents familiaux. D’autres encore trouvent refuge dans leurs croyances religieuses, se remettant entre les mains de Dieu pour leur état de santé », relève Mme Rizkallah, déplorant qu’ « elles ne sont pas conscientes que le fait d’être une femme constitue un facteur de risque de la maladie ».

La vidéo enseignant la technique d’auto-examen est assortie d’une mobilisation maximale. Pour sa promotion, une autre vidéo sous le slogan « As-tu fait du pain ce mois-ci ? » se répand sur les réseaux sociaux. On y voit notamment Oum Ali suivre avec attention une leçon d’auto-examen donnée à l’AUBMC par Mme Ghaziri sur un sein artificiel. On y voit aussi le village et le domicile de la boulangère dans lesquels la recette du pain a été exécutée, ainsi que Souk el-Tayeb où la même recette a été présentée. Autres éléments de la campagne, les sacs de farine vendus actuellement à Souk el-Tayeb sont munis de codes pouvant être scannés afin d’accéder au site de la LBCF (lbcfoundation.org).

« Cette année, sensibiliser les femmes est d’autant plus important que – probablement en raison de la situation financière déplorable et de la propagation du Covid-19 – le ministère de la Santé n’a pas encore lancé la campagne nationale de sensibilisation, censée débuter en octobre », fait observer Myrna Hoballah. « Il serait dommage de reculer au plan du dépistage de la maladie et de neutraliser les effets de la campagne nationale. Depuis 2002, celle-ci se tenait régulièrement tous les ans, d’octobre à décembre, voire plus longtemps, permettant une détection précoce de nombreux cas », note-t-elle. « Or un diagnostic non tardif favorise un traitement plus rapide, plus efficace et moins coûteux, augmentant largement les chances de guérison », ajoute Mme Hoballah.