Rechercher
Rechercher

Économie - Focus

Le microcrédit libanais pas épargné par la crise

La filière craint une explosion du taux de créances douteuses.

Le microcrédit libanais pas épargné par la crise

Photo PHB

La crise dans laquelle le Liban s’enfonce depuis plus d’un an n’a épargné aucun secteur. C’est notamment le cas de la microfinance, dont le cœur de métier consiste à proposer des services (microcrédits, assurances, etc.) aux personnes et entreprises exclues du système bancaire traditionnel.

Le secteur est en effet vulnérable aux chocs dans la mesure où les sociétés accordant des microcrédits travaillent avec des acteurs qui, en temps normal, ont des difficultés ou ne peuvent pas fournir de garanties pour couvrir les éventuels incidents de remboursement. Certains de ces organismes acceptent en effet de prendre des objets de valeur en caution, mais cela reste symbolique. « Chaque dossier demande un important investissement en termes de temps et de ressources humaines (…) C’est un travail de proximité avec des coûts d’exploitation plus élevés que ceux des banques », explique Bachar Kouwalty, PDG d’Ibdaa, l’une des sociétés opérant au Liban. La clientèle ciblée par ce type de services est, elle, majoritairement issue de la classe moyenne inférieure ou des catégories de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Profils snobés par les banques

La microfinance sert de source de financement potentiel aux projets d’environ 170 000 entrepreneurs et micro-entreprises, majoritairement en milieu rural, selon les estimations fournies par les différents acteurs contactés. Il s’agit pour beaucoup de petits commerçants, qui produisent parfois ce qu’ils vendent. Plafonnés par la Banque du Liban à 20 000 dollars ou 30 millions de livres (équivalent à la parité officielle, ces prêts sont généralement accordés avec des taux d’intérêt plus élevés que ceux du marché). Les sociétés qui les proposent peuvent être à but lucratif ou non.

Les chiffres de 2018 recensent 153 000 bénéficiaires actifs et une enveloppe de 220 millions de dollars, selon les données les plus récentes délivrées par le site de la Lebanese Microfinance Institution Association (LMFA), qui regroupe la dizaine d’acteurs du secteur. « Il s’agit de profils qui n’intéressent pas les banques, mais qui contribuent pourtant à faire tourner l’économie », résume David Holdridge, le chef des opérations de LIFE (Livelyhood and Inclusive Finance Expansion Projet), un programme lancé en 2016 et financé par l’Agence américaine pour le développement international (USaid) à hauteur de 20 millions de dollars sur cinq ans.

La mission de LIFE, qui est mise en œuvre par la société Palladium, consiste à améliorer les moyens de subsistance de ces populations, à soutenir la microfinance (Ibdaa fait partie de ses partenaires) et à développer la finance inclusive, via des produits et services financiers destinés aux populations à faibles revenus. L’enveloppe allouée par l’USaid sert à financer des dons, des prêts et des formations, entre autres. « Nous ciblons les entrepreneurs exclus du système financier traditionnel et qui se situent à la base de la pyramide économique (…) et travaillons notamment avec des ONG et des organismes de microcrédit – à but lucratif ou non », souligne David Holdridge. Hormis l’USaid, d’autres organisations contribuent à soutenir ce secteur au Liban par différents moyens, comme la Société financière internationale (SFI – le bras privé de la Banque mondiale), ou encore l’Agence du Royaume-Uni pour le développement international (UKaid).

Des soutiens extérieurs plus que bienvenus dans la mesure où les organismes de microcrédit, comme leurs clients, ont subi de plein fouet les effets de la crise, qu’il s’agisse de la contraction de l’activité (Moody’s anticipe une baisse du PIB de 22 % cette année), la brutale dépréciation de la livre (qui a perdu plus de 80 % de sa valeur), ou les restrictions bancaires (illégales et qui limitent l’accès des déposants à leurs comptes en devises).

Contactée, la LMFA a indiqué être encore en train de compiler les données des différents acteurs pour dresser un premier bilan. « La dévaluation de la livre a affecté les capacités de remboursement des emprunteurs, tandis que les restrictions bancaires ont affecté l’accès des organismes de microcrédit à leurs liquidités, et donc leur capacité à octroyer de nouveaux prêts », a détaillé une source de l’association. Elle ajoute que la catastrophe qui a frappé Beyrouth le 4 août dernier a eu des conséquences sur deux sociétés de microcrédits dont beaucoup de clients étaient situés dans la capitale, soit un nombre très limité d’acteurs par rapport au total.

Créances douteuses

Pour Bachar Kouwalty, l’impact de la crise pourrait se mesurer au niveau du ratio des créances douteuses – les prêts que les emprunteurs ont du mal ou ne parviennent plus à rembourser. « Nous étions sur des moyennes allant de 3 à 5 %, ce qui était plutôt bien par rapport aux moyennes mondiales. Avec la crise qui dure depuis maintenant plus d’un an, cette fourchette pourrait bien osciller entre 10 et 40 % », estime le PDG d’Ibdaa. Une réalité qui n’a pas échappé à l’USaid qui a demandé dès décembre 2019 à Palladium d’ajuster le programme LIFE aux circonstances. « L’agence nous a demandé d’être pertinents par rapport à la crise de liquidités que traverse le pays », explique David Holdridge, évoquant par exemple la réorientation des dons en priorité vers les micro-entreprises qui risquent de mettre la clé sous la porte ou encore vers la prise en charge d’une partie des prêts octroyés par les organismes de microcrédit de façon à ce qu’ils accordent des périodes de grâce à leurs clients en difficulté.

Mais au-delà de la gestion de l’urgence, la survie et le développement de la microfinance s’inscrivent également dans un enjeu plus vaste, celui de la transformation du secteur financier du pays, qui compte un trop grand nombre de banques et qui a accumulé des dizaines de milliards de dollars de pertes. Le tout, en excluant une importante partie de la population : le taux de bancarisation du pays était en effet de 45 %, selon le dernier indice dédié de la Banque mondiale, publié en 2017 (contre une moyenne mondiale de 69 %). Le pays est enfin plutôt en retard au niveau du développement des technologies de paiement – mobile notamment –, un autre angle d’attaque privilégié par LIFE dans le cadre de sa mission.

La crise dans laquelle le Liban s’enfonce depuis plus d’un an n’a épargné aucun secteur. C’est notamment le cas de la microfinance, dont le cœur de métier consiste à proposer des services (microcrédits, assurances, etc.) aux personnes et entreprises exclues du système bancaire traditionnel.Le secteur est en effet vulnérable aux chocs dans la mesure où les sociétés accordant des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut