« Nuit de la chute » ; « Le peuple demande la chute du régime » ; « À bas Sissi »... Depuis samedi, une série d’appels redonnent des couleurs révolutionnaires aux réseaux sociaux égyptiens, réveillant les espoirs déçus des grandes mobilisations de 2011, autant que les douloureux souvenirs des répressions qui les ont suivies. Au Caire, à Alexandrie, à Guizeh, des centaines d’Égyptiens sont descendus dans la rue dans la nuit de dimanche à lundi pour demander la chute du régime de Abdel Fattah al-Sissi, en place depuis 2013. Dans un pays où le pouvoir ne tolère aucune dissidence, ces manifestations sont un événement en soi, malgré leur faible ampleur. « Les manifestations d’hier étaient dirigées contre le président égyptien, accusé de détruire les maisons et d’affamer le peuple », affirme à L’Orient-Le Jour Mohammad Ali, l’une des principales figures ayant appelé à la contestation. Cet entrepreneur égyptien, anciennement proche du président Sissi et affirmant avoir servi pendant plus de 15 ans au sein de l’armée, est également un personnage controversé. Il avait annoncé son retrait de la vie politique à la suite de son échec à mobiliser la population à l’occasion du neuvième anniversaire de la révolution, le 25 janvier dernier.
La mobilisation, qui s’est déroulée dans 16 villes égyptiennes, avait été anticipée par les autorités qui avaient déployé les forces de l’ordre dans plusieurs grandes villes et mis en place des barrages militaires sur les autoroutes dès samedi. La police et l’armée quadrillaient notamment la place Tahrir, symbole du soulèvement de 2011 au cœur de la capitale, ainsi que certaines artères d’Alexandrie et de Suez.
Le déploiement des forces a pu être possible en partie parce que la contestation n’est pas nouvelle. Il y a une semaine, lors de manifestations à Guizeh, au Caire et à Alexandrie, des centaines de personnes s’étaient rassemblées pour protester contre la mort de jeunes abattus par la police ou encore pour contester une loi autorisant la destruction de certains logements illégaux, poussant le gouvernement à revenir sur sa décision.
Ce regain de mobilisation intervient un an, jour pour jour, après celle du 20 septembre 2019, qui avait rassemblé jusqu’au 27 septembre des milliers de manifestants, également à l’appel de Mohammad Ali. En 2019, celui-ci avait publié depuis son lieu de résidence en exil une série de vidéos accusant l’entourage du président de s’accaparer les richesses du pays tandis que la population ne cesse de s’enfoncer dans la pauvreté. Selon Amnesty International, plus de 4 000 personnes ont été arrêtées – journalistes, écrivains, avocats – sur des motifs de « terrorisme » durant cette période, marquant l’un des épisodes les plus répressifs de l’ère Sissi.
Médias sociaux à plein régime
Un an plus tard, la situation s’est dégradée. Sur le plan économique, la paupérisation croissante de la population se confirme après une période de relative amélioration, entre 2016 et 2019. Cette dernière année, le taux de pauvreté repart à la hausse pour atteindre des records, avec plus d’un tiers de la population vivant désormais avec moins de 1,53 dollar par jour. Sur le plan sécuritaire, l’année passée marque un renforcement de l’étouffement systématique des voix dissonantes, notamment grâce à l’élargissement de la loi « antiterroriste » votée en avril dernier. Le bilan du gouvernement est également critiqué en politique étrangère. Son échec sur le dossier du barrage de la Renaissance en Éthiopie et dans une moindre mesure son engagement en Libye sont notamment pointés du doigt.
Les médias sociaux tournent à plein régime depuis près d’une semaine pour appeler à une résurrection du mouvement de septembre 2019. Outre les internautes, seuls quelques médias en ligne ont couvert les manifestations. Le média en ligne « Shabaket Rasd » rapporte par exemple que « le mur de la peur s’est brisé » dans plusieurs gouvernorats égyptiens, après avoir directement appelé à la mobilisation.
La presse traditionnelle est restée quant à elle massivement silencieuse face au nouvel élan de contestation. Seule exception notable, l’Egypt Independent, extension de la version anglophone du journal Al-Masri al-yom, a repris l’un des mots d’ordre du mouvement « laissat li wahdak »
( « vous n’êtes pas seuls » ) en le présentant comme un cri de ralliement en soutien au président. « Le hashtag est rapidement devenu l’un des termes les plus recherchés, visant à mettre en avant le soutien envers Sissi et son gouvernement au regard des réussites accomplies depuis 2014 », peut-on lire sur le site du journal.
De nouvelles manifestations étaient attendues hier soir dans les rues du pays, alors que l’appel à la mobilisation était renouvelé sur les réseaux sociaux autour du mot d’ordre « khallik fil shere3 » (« restez dans la rue »). Si certains craignent une nouvelle vague de répression, alors que les autorités ont imposé des restrictions sur internet durant la journée d’hier, les activistes ne perdent pas espoir que le rassemblement se fasse en grand nombre. « La police égyptienne a peur d’une mobilisation massive de citoyens dans la rue », avance Mohammad Ali.