Rechercher
Rechercher

Société - Écoles

Au Liban, la rentrée scolaire s'annonce très compliquée

Les établissements privés n’ont d’autre choix que de poursuivre leur mission, affirme à « L’OLJ » le père Boutros Azar, secrétaire général des écoles catholiques.

Au Liban, la rentrée scolaire s'annonce très compliquée

À l’école des Trois Docteurs à Achrafieh, la directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay inspecte les dégâts provoqués par l’explosion du 4 août. Photo Unesco

Parler de la rentrée scolaire peut sembler incongru tant la souffrance des Beyrouthins est immense et leur traumatisme encore vif depuis l’explosion du port qui a dévasté une partie de la capitale libanaise. Mais malgré cette série de drames, d’inquiétudes et d’espoirs déçus que traversent les Libanais depuis la crise politico-financière, en passant par le soulèvement populaire ou la pandémie de Covid-19 et jusqu’à cet injustifiable incendie qui a ravivé jeudi l’horreur du 4 août, la normalisation est nécessaire. Plus particulièrement pour les enfants, qui ne savent pas mettre des mots sur leur vécu.

La normalisation ne semble pas pourtant être le mot d’ordre de la rentrée scolaire qui débutera le 28 septembre pour les secteurs public et privé, comme l’a annoncé il y a quelques jours le ministre sortant de l’Éducation Tarek Majzoub. Coronavirus oblige, les élèves prétendront au mieux à un enseignement hybride, entre présentiel et à distance. Avec tout ce que cet enseignement comporte comme failles dans l’application du programme, difficultés d’adaptation pour les enseignants, de compréhension pour les élèves, sans compter les problèmes techniques liés à la connexion internet, à la pénurie d’électricité, au coût élevé des équipements électroniques… Or, il faut compter en plus avec la destruction partielle ou totale de plus de 70 écoles publiques et 50 écoles privées à Beyrouth, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Sans oublier que les enseignants devront gérer des enfants parfois traumatisés par l’explosion du 4 août, sinon inquiets, vu les profondes difficultés que traversent leurs parents. Des obstacles de taille, qui viennent s’ajouter aux défis financiers de l’année scolaire dans le privé : paiement des écolages, coût des manuels et des fournitures, alors que les banques continuent de retenir l’argent des déposants et que le dollar s’échange au marché noir à près de 8 000 LL.

Deux à trois mois de réparations

« Nous n’avons aucune donnée claire », révèle à L’Orient-Le Jour la directrice déléguée du collège Saint-Grégoire, Amal Barakat. Aucune visibilité, non seulement à cause « de la situation critique du pays » et des nombreuses questions sur la bonne application de « la distanciation sociale à l’école », coronavirus oblige, mais aussi parce qu’il ne reste des quatre bâtiments de l’établissement des pères jésuites situé dans le quartier de Jeïtaoui, soufflés par l’explosion du port, « que leur squelette ». « Nous n’avons plus ni portes ni fenêtres. Il nous reste quelques tableaux interactifs, et quelques tables et chaises », poursuit la responsable qui estime le coût des dégâts à 820 000 dollars.

Lire aussi

« Les bases scientifiques pour la fermeture et la réouverture du Liban ne sont pas claires »

Alors, dans l’attente d’une concrétisation des promesses internationales, la solidarité locale s’organise. « Les réparations vont bon train, mais risquent de durer plusieurs mois », souligne-t-elle. Comment se déroulera la rentrée ? « En ligne, dès le 15 et jusqu’au 28 septembre. Après, nous trouverons une solution quoi qu’il arrive », promet Mme Barakat à l’intention des 1 100 élèves de l’établissement. Plusieurs options sont envisageables, comme celle d’utiliser les locaux du collège Notre-Dame de Jamhour. Une autre question se pose aussi pour la directrice, liée au fait que de nombreux parents d’élèves ont perdu leur logement. « Ils n’ont plus rien et n’ont toujours pas trouvé où s’installer. Peuvent-ils, dans cette situation, penser à l’école ? Leurs enfants ont-ils la capacité de se concentrer après le cauchemar qu’ils ont vécu ? » interroge-t-elle.

Assurément, les premières séances scolaires porteront sur le drame. Il sera important d’accorder un temps de parole et d’écoute pour permettre aux enfants traumatisés de s’extérioriser. Sauf que le temps presse. Car il faut rattraper le temps perdu de l’année dernière et boucler des programmes certes allégés. « Nous n’avons pas le temps de traiter le traumatisme des enfants », se désole une enseignante, qui préfère garder l’anonymat. « Même notre propre traumatisme, nous devrons l’enfouir », déplore-t-elle, rappelant que de nombreux enseignants ont vu leur habitation dévastée. Parallèlement, la nouvelle année est un casse-tête, et ils ne savent pas trop comment procéder. « Nous n’avons toujours aucune réponse aux questions techniques liées aux coupures de courant. Aucune réponse non plus quant à la gestion pédagogique des cours. Et puis, comment allons-nous gérer notre temps et celui des élèves entre l’enseignement en présentiel et celui à distance ? » demande-t-elle.

Des prix fous

Pour les parents d’élèves, les questions sont tout aussi nombreuses. Elles concernent en premier lieu les tarifs inabordables de l’éducation. « Comment vais-je acheter tout le nécessaire alors que j’ai payé un cahier 50 000 LL, les 4 stylos à bille 25 000 LL et deux manuels scolaires 300 000 LL ? » lance une mère de famille. Le pire est que l’ordinateur ou la tablette constitue désormais un outil indispensable désormais hors de prix, vu la dépréciation de la monnaie nationale. Une autre mère, dont le fils est scolarisé au collège des Antonins à Baabda, salue à ce titre l’initiative de l’établissement qui invite chaque élève à remettre au collège ses manuels de l’année précédente afin qu’ils soient attribués gratuitement et dans l’anonymat à un autre enfant. « Nous n’avons pas à nous soucier du coût des manuels scolaires. À la rentrée, mon fils trouvera sur son bureau des manuels déposés par un élève plus âgé », dit-elle, soulagée. Ce qui la tracasse en revanche, c’est le coût de l’écolage. « Nous ne savons rien pour l’instant, dit-elle. Mais l’administration n’hésite pas à proposer des facilités de paiement aux parents en difficulté financière. » Elle évoque de plus les limites de l’enseignement en ligne et le manque de suivi des élèves de la part des enseignants. « Les élèves en difficulté accumulent des lacunes que seul un suivi personnel peut combler, ce qui n’est pas toujours possible », déplore-t-elle.

À l’école un jour sur deux ?

Dans l’enseignement privé, une certitude s’impose toutefois : celle de poursuivre sa mission en dépit des pertes sans fermer d’écoles, sans renvoyer d’élèves dans la mesure du possible. « Notre tâche est particulièrement ardue cette année avec la pandémie, la crise financière et la destruction d’écoles », affirme à L’Orient-Le Jour le père Boutros Azar, secrétaire général de l’enseignement catholique et coordonnateur de la Fédération des associations éducatives privées. Il révèle que les dégâts subis des écoles catholiques de Beyrouth dus à l’explosion ont été estimés à 12,5 millions de dollars. « Mais l’enseignement privé n’a d’autre choix que de poursuivre sa mission car il est hors de question d’avoir une génération d’ignorants », assure le père Azar. Partant de cette promesse, les écoles privées espèrent une aide des donateurs internationaux pour la reconstruction, et de l’État libanais sous forme de bourses aux élèves. « Après tout, c’est l’État qui est responsable de la loi 46 qui a accordé des hausses salariales aux enseignants et grevé les budgets des écoles privées », rappelle-t-il.

Lire aussi

La rentrée scolaire à partir du 28 septembre avec 50% des élèves en classe dans le public

Alors, pour réussir « l’aventure » de l’année scolaire à venir, les écoles privées étudient le moyen « d’optimiser la proposition d’enseignement hybride » du ministre de l’Éducation, d’autant qu’elles bénéficient d’une « liberté de mouvement » à ce niveau. « Nous pourrions privilégier la présence alternée des élèves un jour sur deux, matin et après-midi, propose-t-il. De la sorte, un groupe d’élèves écoutera la leçon en classe, pendant qu’un autre groupe préparera à la maison les exercices d’application. » Ce qui réduira la dépendance à l’enseignement à distance qui fait face à d’importantes difficultés. Quant à l’épineuse question des écolages, elle n’est pas encore tranchée pour l’instant. « Tout dépendra du nombre d’élèves, des salaires, des budgets scolaires », répond le père Azar.

Si le problème des écoles privées est essentiellement financier et lié au Covid-19, la question est autrement plus politique à l’école publique. « Il existe un problème fondamental de gestion de l’enseignement public », explique à L’OLJ le Pr Adnane el-Amine, chercheur dans le domaine des sciences de l’éducation. Cela se concrétise par « la mauvaise gestion des ressources humaines, l’embauche sur la base du clientélisme et des affiliations partisanes », déplore-t-il. Il constate à ce propos que « tout le système éducatif public est bâti sur le principe du patronage confessionnel et politique, et manque cruellement de vision et de réflexion ». « Les conséquences sont palpables sur le fonctionnement des écoles publiques, les décisions hétéroclites, le niveau des établissements et des élèves, les programmes scolaires obsolètes, l’absence de livre d’histoire », insiste l’expert. Pas question, dans ces circonstances, d’espérer la moindre performance du secteur en cette période de crise aiguë. « Le secteur public n’est pas prêt pour une rentrée scolaire dans ces circonstances », conclut-il.


Parler de la rentrée scolaire peut sembler incongru tant la souffrance des Beyrouthins est immense et leur traumatisme encore vif depuis l’explosion du port qui a dévasté une partie de la capitale libanaise. Mais malgré cette série de drames, d’inquiétudes et d’espoirs déçus que traversent les Libanais depuis la crise politico-financière, en passant par le soulèvement populaire ou...

commentaires (1)

La difference avec la guerre de 75 c'est la grande concentration de la population à Beyrouth. Il y-a tant d'elèves maintenant. Ils doivent vivre normalement alors que nous sommes victimes de plusieurs monstres. Les explosions, la misère, le covid 19, les destructions des ecoles et logements, l'insecurité du futur proche. Solution logique : soit deplacement de la population vers la montagne soit emigration par vagues. La première serait pas mal. Restructuration de l'economie du pays. Vie plus saine. Moins de contaminations covid en vivant dans des espaces plus grands et aérés. Decentralisation.

Massabki Alice

07 h 50, le 12 septembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • La difference avec la guerre de 75 c'est la grande concentration de la population à Beyrouth. Il y-a tant d'elèves maintenant. Ils doivent vivre normalement alors que nous sommes victimes de plusieurs monstres. Les explosions, la misère, le covid 19, les destructions des ecoles et logements, l'insecurité du futur proche. Solution logique : soit deplacement de la population vers la montagne soit emigration par vagues. La première serait pas mal. Restructuration de l'economie du pays. Vie plus saine. Moins de contaminations covid en vivant dans des espaces plus grands et aérés. Decentralisation.

    Massabki Alice

    07 h 50, le 12 septembre 2020

Retour en haut