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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Grand Liban : c’est la même chose, mais différemment

Est-ce que l’histoire se répète ? Arthur Schopenhauer disait que la devise de l’histoire était « Eadem, sed aliter », ce qui veut dire « la même chose mais différemment ». Si nous partons de ce constat, la lecture de la scène politique libanaise se ferait couramment : 100 ans après la création du Grand Liban, ce petit pays se retrouve à nouveau tiraillé.

Un siècle plus tard, le Liban revient à la case départ. Nous nous posons les mêmes questions. Pouvons-nous vivre ensemble ? Avons-nous les mêmes aspirations pour notre pays? La question essentielle reste la suivante : avons-nous la même définition de ce qu’est le Liban ?

L’histoire de tout pays retient en elle un mythe fondateur de la nation. Ce mythe aura pour but de renforcer l’appartenance à la terre, voire à la nation entière, tout en expliquant ses raisons d’être. Il rassemble les citoyens autour d’une même histoire où tous peuvent s’identifier, trouver un passé commun, aspirer vers un avenir commun. Si pour les États-Unis les colons anglais traversent l’Atlantique fuyant un roi oppresseur pour s’installer là où règne la démocratie et la liberté, pour le Liban cela n’est pas aussi évident. En effet, le mythe créateur du Grand Liban ne rassemble autour de lui que deux factions de la société : les druzes et les maronites, habitants historiques du Mont-Liban, « refuge des minorités » de l’époque. Excluant ainsi toute autre minorité culturelle et religieuse, les autres composantes de la société libanaise – toute neuve à l’époque – prennent du temps pour s’identifier à ce pays tout récent.

En 2020, l’histoire de notre pays ne fait point l’unanimité du peuple. Comment comprendre la guerre civile ? Qui est le traître ? Qui a trahi le pays ? Qui est le sauveur ? Qui sont nos ennemis ? Avons-nous, déjà, des ennemis ? Toutes ces questions et bien plus sont le fruit de décennies de « réconciliations » faites sur le sang des Libanais. Parfois dans des pays voisins. Dans des salles climatisées. Parrainées insolemment, après s’être entretués.

Ce système sectaire, cette démocratie consolidative recrée chaque jour la za’ama traditionnelle. Si ce n’est pas le père qui donne l’ordre de tuer c’est parce qu’il a passé le flambeau à son fils. Si ce n’est pas l’oncle qui est élu, c’est parce que son neveu a hérité du siège. Si ce n’est pas le beau-père qui vole c’est parce que le temps est venu pour que l’étoile du gendre brille.

Eadem, sed aliter. La même chose, mais différemment. Nous vivons ce que nos parents ont vécu. Nos parents vivent ce que leurs parents ont vécu. Peut-être les personnages diffèrent. Les uns meurent, d’autres naissent. La tradition, quant à elle, persiste.

Espérer changer c’est savoir qu’on mérite plus. Plus qu’un système sectaire qui nous trie tels les moutons d’une ferme, qui nous piège dans une seule identité : religieuse. Nous sommes bien plus que quelques gouttes d’encre sur l’extrait d’état-civil : orthodoxe, chiite, arménien. Nous sommes bien plus que des victimes de guerres.

Voilà pourquoi bâtir un Liban c’est premièrement bâtir une citoyenneté inclusive. C’est savoir « qu’est-ce que le Liban ». C’est effacer « l’autre » de notre lexique ; car « l’autre » n’est qu’un/e simple Libanais/e comme moi. C’est dépasser les Ave Maria qui se mêlent à l’appel à la prière musulmane, car s’accepter c’est ne plus voir nos différences.

Antonio Gramsci disait : « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés. » Nous voilà, 100 ans après la création du Grand Liban, ne pouvant pas dépasser ce système sectaire et ne donnant pas la place à la naissance d’un Liban laïque. Observant les « phénomènes morbides les plus variés », on se dit d’un ton monotone : « C’est la même chose, mais différemment. »


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Est-ce que l’histoire se répète ? Arthur Schopenhauer disait que la devise de l’histoire était « Eadem, sed aliter », ce qui veut dire « la même chose mais différemment ». Si nous partons de ce constat, la lecture de la scène politique libanaise se ferait couramment : 100 ans après la création du Grand Liban, ce petit pays se retrouve à nouveau...

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