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Nos Lecteurs ont la Parole

Le 4 août nous habite tous

Plus d’un mois vient de s’écouler et chaque jour continue d’apporter son lot de drames et de souffrances, mais aussi une ferme détermination de la société civile à surmonter l’épreuve.

À chaud, l’explosion du 4 août a choqué, ébranlé, horrifié, révolté. Les mots sont trop faibles pour exprimer le cataclysme provoqué par cette minibombe atomique. Les images du port de Beyrouth détruit, des maisons effondrées, éventrées, des blessés courant d’un hôpital à l’autre, les ambulances aux sirènes hurlantes… Tant de « visions » apocalyptiques qu’on cherche à effacer de notre mémoire. En vain !

Mais c’est au fil des jours et à froid qu’on a pris réellement conscience de l’immensité du désastre au cas par cas, avec des témoignages poignants, à l’infini, et dont on se souviendra dans chaque famille et foyer pour des décennies. On a de même réalisé toute l’importance de ces quartiers et secteurs sinistrés de notre capitale : Achrafieh, Gemmayzé, Mar Mikhaël, la Quarantaine, Medawar… et leur grand impact au sein du tissu sociologique du Liban, sur tous les plans : hospitalier, éducatif, professionnel, communautaire, culturel, touristique et du patrimoine.

Plus d’un mois vient de s’écouler et le Liban n’a pas fini d’enterrer ses morts. Pas une région du pays, pas une seule communauté de la grande famille libanaise qui ne pleure les 180 victimes (selon un chiffre provisoire) et qui n’implore le Très-Haut pour le rétablissement des 6 500 blessés. De même, l’immensité et l’étendue du désastre causé par cette double explosion ne fait que s’alourdir ; un vrai cauchemar. On voudrait crier notre colère, notre révolte jusqu’à en perdre la voix. Qu’il s’agisse d’un acte volontaire ou d’une négligence, l’explosion du nitrate d’ammonium au port de Beyrouth est un crime contre l’humanité et la négligence est encore plus criminelle. D’où la nécessité d’une enquête internationale.

Au fil des jours, on découvre l’énormité des destructions et des pertes matérielles. Fierté du Liban, le secteur hospitalier a payé un très lourd tribut. Certains hôpitaux à la pointe de la technologie médicale sont totalement détruits, d’autres lourdement endommagés. Il faudra, dit-on, plus de 100 millions de dollars pour les remettre en fonction. La déflagration a détruit des quartiers entiers de la capitale, causé des dommages, y compris dans les proches banlieues, laissant 300 000 personnes sans abri et souvent sans aucune ressource pour restaurer ou se trouver un logis.

Chaque cas est un drame en soi, un déchirement à l’infini : du jeune couple de mariés qui voit son antre d’amour nouvellement aménagé soufflé et saccagé à la vieille dame de 80 ans qui est née, qui a grandi dans cette maison et qui ne possède plus rien. Que dire des joyaux d’architecture ravagés ? Selon l’Unesco, 640 anciennes demeures et édifices à cachet traditionnel, témoins de notre héritage culturel, ont été gravement endommagés, et 60 sont menacés d’effondrement. Les immeubles modernes, témoins de l’énergie créative du Libanais, sont éventrés.

Les quartiers « branchés », pleins de vie et d’animation, de Gemmayzé et Mar Mikhaël regroupaient le plus grand nombre de maisons de mode et de galeries d’art. Toutes soufflées. Plus de la moitié des restaurants du Grand Beyrouth endommagés, le secteur commercial, touristique et des affaires paralysé depuis des mois, a reçu son coup de grâce. Les sièges et bureaux de presse dans un état lamentable.

Même vision désastreuse dans les 128 écoles privées, publiques et techniques qui accueillaient plus de 550 000 élèves. Idem pour les églises et lieux de culte. On peut s’étendre aussi à l’infini sur le traumatisme causé par l’explosion. Selon l’Unicef, 100 000 enfants libanais ont été directement affectés par l’explosion. Pendant des décennies, on évoquera devant les jeunes générations la décharge criminelle au port de Beyrouth et ses multiples implications.

J’ai vécu les années de guerre de 1975 à 1990, faisant des reportages sur le terrain comme journaliste à la Revue du Liban. Je n’ai jamais ressenti autant de détresse ! Je gardais toujours l’espoir en un meilleur avenir. Aujourd’hui, je dois faire taire toute ma révolte intérieure pour continuer à dire oui, le Liban et ses fils surmonteront cette démoniaque épreuve.

Que dire aux générations montantes en train de plier bagage et de tourner à jamais le dos au Liban ? Je puise l’espoir à leur communiquer, dans cet élan de solidarité qui s’est manifesté spontanément dès l’explosion du 4 août au niveau du secteur hospitalier où médecins, infirmiers et infirmières, secouristes de la Croix-Rouge libanaise se sont dépensés au-delà de tout effort surhumain. Puis dès le 5 août au matin et jusqu’à aujourd’hui, ces volontaires qui affluent pour déblayer les zones sinistrées et apporter leur aide. Les ONG sont mobilisées et élargissent leur champ d’action pour répondre à tant de besoins. Car au-delà des secours alimentaires et médicaux, il est de plus en plus urgent de se préoccuper de la reconstruction. Même implication des fils de la diaspora. Quant à l’État…

Le monde a, sur-le-champ, pris conscience de l’énormité du drame et s’est mobilisé pour se porter à notre secours. Le président français Emmanuel Macron est arrivé moins de 48 heures après l’explosion. Plusieurs diplomates internationaux se rendent à Beyrouth et les aides abondent…

Tous ces élans de solidarité portent en eux un ferment d’espoir. Pour être effectif, il doit se traduire en premier lieu par la réaffirmation indéfectible de l’attachement du Liban à sa pleine souveraineté, à son armée, au Liban de la convivialité, du dialogue intercommunautaire, du droit à la différence, du respect de la liberté, de la justice, de l’ouverture au monde, aux idées, aux cultures…. et l’adhésion immuable de toutes les composantes socio-politiques du pays du Cèdre à la neutralité positive. Autant d’axiomes qui ont façonné le Liban au fil des siècles.

Certes, des réformes sont nécessaires pour répondre aux aspirations et revendications des générations montantes. Mais est-ce le moment ? À quoi riment ces appels pour un amendement de Taëf ou à l’instauration d’une société civile à l’heure où le Liban saigne ? Est-ce pour noyer le poisson dans l’eau ? Il est bien plus urgent aujourd’hui d’entamer les réformes inlassablement réclamées par la communauté internationale en vue de nous octroyer l’aide nécessaire afin de faire face aux inextricables problèmes financiers et socio-économiques dans lesquels le pays se débat au fond du gouffre.

Après la destruction du port historique de Beyrouth et d’une grande partie de la capitale, qu’attendent les dirigeants, les responsables politiques et les forces vives du pays pour se donner la main et répondre à l’urgence du moment ?

Oui, le 4 août nous habite, nous interpelle et nous impose de trouver les réponses adéquates à ce cataclysme, le quatrième au monde.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Plus d’un mois vient de s’écouler et chaque jour continue d’apporter son lot de drames et de souffrances, mais aussi une ferme détermination de la société civile à surmonter l’épreuve. À chaud, l’explosion du 4 août a choqué, ébranlé, horrifié, révolté. Les mots sont trop faibles pour exprimer le cataclysme provoqué par cette minibombe atomique. Les images du port de...

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