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Les caprices du doute

De Socrate à Descartes en passant par les proverbes et dictons issus du bon sens populaire, l’exaltation des vertus du doute, clé de toute sagesse, a été, et demeure, l’un des axes majeurs de la pensée philosophique. Mais toute médaille a son revers, et on n’a pas manqué de faire valoir qu’en poussant cette logique à son terme on en vient inévitablement à douter… du doute. Car une fois systématisées, les remises en question peuvent se heurter à plus d’un écueil. C’est alors que la méfiance vire à la paranoïa, au soupçon obsessionnel, à la complotite : toutes dérives pouvant engendrer découragement, sentiment d’impuissance, inertie, abandon face à des conspirations dont l’ampleur, croyons-nous, nous dépasse.


Or voilà précisément ce qui pourrait nous arriver de pire, à l’heure où le Grand Liban entame, dans les pires conditions possibles et imaginables, son deuxième siècle d’existence. C’est surtout à deux niveaux qu’il va être décisif de faire la part des choses, de tirer le meilleur parti de la situation.


L’initiative Macron. À peine le président français avait-il clôturé sa deuxième visite à Beyrouth en l’espace d’un mois, que nombre de nos concitoyens passaient de l’euphorie à l’abattement, sinon parfois à la colère. Au maître de l’Élysée, ces derniers reprochent d’avoir, le premier en Occident, délivré un certificat de légitimité au Hezbollah, dont le formidable pouvoir d’intimidation armée n’est guère étranger pourtant à ses scores électoraux. Aussi mal accueilli a été le sursis accordé à un establishment aux abois, avec l’agrément concédé par avance au gouvernement que s’emploie à former un obscur ambassadeur tiré en catastrophe de la classique trousse de dépannage.


Comment oublier cependant qu’Emmanuel Macron est aussi le premier, le seul chef d’Etat – serait-il européen, arabe ou martien – à être accouru et ré-accouru au chevet du Liban ; que pour la France, et par-delà toutes les motivations stratégiques, méditerranéennes, culturelles ou platement gazières qu’on lui prête, le Liban, tout éclopé et déguenillé qu’il soit aujourd’hui, n’est pas un de ces points minuscules sur la carte dont la disparition n’empêcherait pas la Terre de continuer de tourner ; que dans le lamentable état où se trouve notre pays, œuvrer à libaniser le Hezbollah reste préférable à toute aventure violente ; que les divergences franco-américaines sur la question, confirmées par Mike Pompeo, peuvent en réalité être signe de complémentarité dans les manœuvres en cours ; et enfin que le délai fixé pour la réalisation des réformes est extrêmement limité, qu’une ultime date de péremption a été fixée pour la camelote étatique avariée, que passé ce délai des sanctions s’abattront sur les prévaricateurs de la république ?


C’est dire que l’initiative de Macron mérite bien davantage que le bénéfice du doute, encore lui. Que l’on arrête, dès lors, de tirer sur le pianiste, il y a bien plus utile et intelligent à faire !


Le devoir de résilience. Tous les Macron du monde n’eurent jamais été en mesure d’afficher des positions aussi tranchées sur le Liban, si les Libanais eux-mêmes ne s’étaient soulevés en masse, par un certain soir d’octobre. Révolution inachevée, certes, qui n’a pas secrété de chefs charismatiques, qui ne s’est pas davantage dotée d’une plateforme cohérente, comme l’a déploré à juste titre l’hôte français ; révolution contre laquelle se sont ligués, il est vrai, la répression officielle, les cogneurs des milices et l’épidémie. Or, tel un bulldozer, la contestation a malgré tout réussi à faire voler en éclats deux murs colossaux, derrière lequel des dirigeants indignes se croyaient totalement, éternellement, à l’abri, ce qui permettait alors l’irruption sur la scène des pressions diplomatiques et autres. Ce sont le mur de la peur et celui de l’autorité, de l’ascendant qu’est censé exercer tout pouvoir en place. Jamais dans les annales libanaises gouvernants n’auront été conspués, insultés avec une telle insolence, que ce soit dans la rue ou sur les ondes de la télévision, dans les colonnes des journaux ou sur les réseaux sociaux. Regardez-les délirer, ces responsables qui parlent de reconquérir la confiance des citoyens, alors qu’ils ont irrémédiablement perdu déjà cette denrée encore plus précieuse, à savoir leur respect : et, du coup, toute respectabilité internationale. Corruption, corruption : quoi de plus infamant en vérité que ces mots qui reviennent, tel un leitmotiv, dans les conseils et sermons prodigués par les gouvernements étrangers ?


Pour tout cela, pour que justice soit faite, pour que soient sanctionnés les criminels, pour redonner espoir au peuple et endiguer l’atterrante vague d’émigration provoquée par le meurtrier scandale du port de Beyrouth, il est primordial que soit maintenue, sous une forme ou une autre – et sans l’ombre d’un doute – la pression du dedans.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

De Socrate à Descartes en passant par les proverbes et dictons issus du bon sens populaire, l’exaltation des vertus du doute, clé de toute sagesse, a été, et demeure, l’un des axes majeurs de la pensée philosophique. Mais toute médaille a son revers, et on n’a pas manqué de faire valoir qu’en poussant cette logique à son terme on en vient inévitablement à douter… du doute. Car...