« Chut. Il faut baisser la voix et éteindre le téléphone mobile. Les sauveteurs ont introduit un appareil télescopique laser dans les gravats de l’immeuble pour rechercher la personne encore vivante. Les appareils électroniques perturbent ce travail. »
Hier, à 10 heures, Joumana campait toujours devant les décombres de l’immeuble à Mar Mikhaël, à la périphérie de la rue Gemmayzé, sous lequel pourrait se trouver un survivant à l’explosion apocalyptique du 4 août. Elle observe l’opération de secours, critiquant par la même occasion l’irresponsabilité de la classe politique. Elle était arrivée dans la nuit de jeudi à vendredi, peu après minuit. Les travaux de secours, entamés jeudi aux alentours de 18 heures, avaient alors été interrompus et devraient reprendre le lendemain (hier matin) à 8 heures.
Cette décision des autorités a provoqué l’ire des personnes qui se trouvaient sur place et qui suivaient de près l’avancement des travaux, espérant un miracle. Deux jeunes gens, Melissa Fathallah et Maroun Karam, fondateurs de Beitna Baytak et membres de Basecamp, dressé à la gare de Mar Mikhaël, ont multiplié les contacts pour débrouiller une grue et reprendre les travaux. Finalement, vers 2h30, les travaux de recherche ont repris.
Cet espoir de retrouver un survivant a été suscité mercredi soir, lorsqu’un chien renifleur, Flash, de l’équipe des secouristes chiliens Topos Chile, dépêchée à Beyrouth pour retrouver d’éventuels corps ensevelis, a repéré le bâtiment en question. Des scanners thermiques sophistiqués ont capté des signaux en provenance du site, révélant l’existence d’un ou de deux corps sous les décombres, ainsi que des « battements cardiaques ».
« Je suis arrivé à deux heures, raconte Johnny. L’armée nous a demandé de rentrer chez nous, alors qu’il y avait encore un espoir de retrouver des survivants. Cela nous a déçus. Certaines personnes sont montées même sur les décombres annonçant aux soldats qu’elles étaient prêtes à poursuivre les recherches à mains nues. Comment les soldats peuvent-ils être aussi insensibles ? Ce sont ces mêmes soldats qui répriment violemment les protestataires lors des manifestations. Si on avait un président, il serait aux côtés de son peuple en ces moments tragiques. »
Des responsables « apathiques »
« On a décidé d’arrêter les recherches parce que la structure bougeait beaucoup », explique Samer, qui se trouvait sur les lieux de recherches jeudi, dans la nuit. « Apparemment, plusieurs coups de fil ont été passés, mais le propriétaire des grues et des pelleteuses ne répondait pas, poursuit-il. Ils ont alors décidé d’arrêter les travaux, quitte à le rappeler le lendemain (hier) matin. »
Mais les gens rassemblés se sont emportés. « Ils ont réussi à débrouiller les engins nécessaires, renchérit Ziad. Finalement, vers 2h30, les travaux ont repris et l’équipe chilienne est revenue. L’armée nous a beaucoup aidés. »
« Ce qui est aberrant, c’est que des gens ont averti les autorités de l’éventuelle existence de corps sous les décombres, mais elles n’ont pas réagi, reprend Samer, observant la scène. Nos responsables sont apathiques. Si l’équipe chilienne n’était pas venue sur les lieux, qu’est-ce que nous aurions-fait? Pourquoi le Liban n’est-il pas doté des équipements nécessaires? »
Vers 14 heures, la course contre la montre se poursuivait, mais l’espoir de trouver quelqu’un de vivant s’amenuisait. « Hier (jeudi), l’équipe captait 18 respirations par minute, ce matin (hier), elles sont tombées à sept par minute et maintenant, on en est à deux », déplore Wassim Chahine, de Basecamp, qui s’active sur le terrain, ainsi que Live Love Beirut, assurant de la nourriture aux secouristes, « parce que le gouvernement est inexistant », comme le souligne une volontaire. « Les secouristes ont atteint l’emplacement où était supposé se trouver l’éventuel survivant, mais ils n’ont trouvé personne », regrette Wassim.
En fin d’après-midi, le chef de Topos Chile, Fernando Lermanda, a affirmé, lors d’un point de presse, que les quatre tests effectués la veille prouvaient une « présence de vie ». Les spécialistes de l’équipe l’ont également confirmé, « d’autant qu’on a détecté des respirations lentes, environ 18 par minute, et jusqu’à trois mètres de profondeur », a-t-il ajouté. S’étalant sur la procédure technique pour dégager les lieux, M. Lermanda a souligné qu’« à présent, l’équipe ne pouvait ni confirmer ni réfuter la présence d’un survivant ou de dépouilles ». Pour ce faire, il faut attendre que « le lieu où sont supposés se trouver les disparus sera ouvert ». Et de préciser qu’il ne communiquerait plus sur la question « par respect pour les familles » de ces personnes.
Vers 21 heures, l’équipe chilienne s’est retirée des lieux, après s’être assurée qu’aucun signe de vie n’était détectable. Aucun corps ou survivant n’ont été retrouvés. Les travaux de recherche reprendront aujourd’hui, sachant que seuls une chambre et des escaliers attenants devaient encore être inspectés. Les équipes de la Défense civile continuaient de relever les débris.
« Nous allons gagner notre guerre contre l’incurie, l’irresponsabilité, la gabegie, le népotisme et la nullité de tout cet appareil étatique qui ne fonctionne que pour se remplir les poches, martèle Nawal. Et ils vont perdre. Nous allons aussi les juger. Nous pensions qu’ils étaient pourris, il s’est avéré qu’ils sont, de surcroît, criminels. »
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N’oublions pas que c’est le peuple qui les a mis au pouvoir a maintes reprises...
CW
16 h 04, le 05 septembre 2020