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Ni chat ni peuple

Ni chat ni peuple

Hassan Nabha par © Hassan Ammar / AP

Le 4 août dernier à Beyrouth, c’est l’aléatoire qui décida entre la vie et la mort. L’aléatoire d’un composé chimique explosif, laissé dans un hangar au sein d’une population dans l’impasse, au vu et au su d’un pouvoir sans état… d’âme.

N’en déplaise aux adeptes de la grande « expérience libanaise », la certitude sédative que le « phénix renaîtra de ses cendres » n’est qu’une illusion. Force est de constater que notre sort aujourd’hui semble aussi hasardeux que celui du chat dans l’expérience de Schrödinger. Un chat enfermé dans une boîte contenant des particules radioactives. Des particules radioactives ayant une probabilité sur deux de se désintégrer, donnant au chat une chance sur deux de survivre. Un chat à la fois mort et vif.

La triste analogie avec ce paradoxe aussi aléatoire que cruel tiendrait la route, si ce n’était pour le fait que l’expérience scientifique n’est, elle, que théorique. Puisqu’aucun chat ne fut blessé dans le piège élaboré dans la tête de Schrödinger. Alors que 190 personnes furent tuées et plus de 6500 furent blessées dans le piège tendu dans le port de Beyrouth.

Autre différence ; la boîte dans laquelle nous sommes enfermés est bien plus étouffante : nos hangars portuaires et bâtiments civils sont confisqués par la milice d’Iran pour y stocker ses armes et explosifs. Nos institutions publiques sont dépecées et annexées aux autres appareils financiers et sécuritaires d’un régime fétide et ses sbires.

Je ne sais pas pourquoi Schrödinger choisit le chat pour son expérience. Surtout qu’en pratique, un chat dans une boîte ne se serait pas tenu en place. Il aurait miaulé, sauté, griffé les parois de la boîte à la recherche d’une issue. Il aurait renversé les appareils et gâché l’expérience.

Peut-être serait-ce le côté humain du théoricien : pour ne pas souffrir le remords de jouer avec la vie d’un être vivant (même imaginaire), Schrödinger aurait choisi celui qui en a sept.

Les chefs politiques libanais, eux, ne se laissent pas perturber par ce genre de dilemme moral. Ils en sont bien immunisés : le militaire-devenu-président par sa mégalomanie d’abord, par sa sénilité ensuite. Son arriviste de gendre par son populisme crapuleux et son racisme morbide. L’usurpateur du Parlement par sa perfidie. Les autres chefs de guerre par leur soif de sang (durant celle-ci) et d’argent, qui assécha un peuple jusqu’à la dernière goutte et au dernier centime.

Mais c’est le chef de la milice obséquieuse, trônant à la tête de tous ces petits apprentis de la mort, qui déduit au fil des expériences que contrôler la mort valait plus que préserver la vie. Il expérimenta d’abord sur une communauté qu’il disloqua du reste du pays. Il en obtint une base populaire, une milice et surtout, des martyrs. Il se tourna ensuite vers son partenaire politique qu’il assassina – avec d’autres – pour s’approprier l’image d’homme fort et providentiel. Exploitant le sacrifice de millier de Libanais dans la guerre qu’il infligea en 2006, il reprit les rênes d’un État qui lui échappait. Commanditant le massacre de milliers de Syriens pour le compte de son fournisseur, il raffermit la confiance de ses maîtres.

Les victimes du 4 août ne sont ainsi qu’un autre lot de cobayes dans le laboratoire macabre de cette équipe qui cherche toujours à manipuler la mort. Après tout, quelle différence y-a-t-il entre un chat et un peuple, quand l’un comme l’autre se voit dénué de sa nature ?

Une autre différence avec Schrödinger (pour qui le problème ne se posa pas) est que, pour continuer à expérimenter, le chercheur à la blouse noire et ses Renfields auront besoin de cobaye docile. Un cobaye manipulable, qu’ils pourraient facilement renfermer dans la boîte sans risquer une résistance qui gâcherait l’expérience. Un cobaye qui accepte sa condition de cobaye, et qui les accepte comme maîtres du laboratoire. Bref, un chat qui n’est plus un chat. Ou un peuple qui n’est plus un peuple.

Dans l’article Wikipédia sur le chat de Schrödinger, on peut lire, s’agissant de la difficulté d’imaginer quelque chose qui existe sous deux états à la fois : « Si l'on est généralement prêt à accepter ce genre de situation pour une particule, l'esprit refuse d'accepter facilement une situation qui semble aussi peu naturelle quand il s'agit d'un sujet plus familier, comme un chat. »

Il en est de même pour un peuple qui vit et meurt au rythme de l’aléatoire imposé par son despote. Encore faut-il que ce peuple s’en rende compte.

Le 4 août dernier à Beyrouth, c’est l’aléatoire qui décida entre la vie et la mort. L’aléatoire d’un composé chimique explosif, laissé dans un hangar au sein d’une population dans l’impasse, au vu et au su d’un pouvoir sans état… d’âme. N’en déplaise aux adeptes de la grande « expérience libanaise », la certitude sédative que le « phénix renaîtra de ses...

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